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NBA: la loterie de la draft, cette cérémonie si particulière où va se jouer l’avenir de Wembanyama

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Dans la nuit de mardi à mercredi, l’avenir de Victor Wembanyama, annoncé comme le N°1 de la prochaine draft NBA, va être déterminé à l’issue d’une loterie. Entre théorie du complot, grosses surprises et tension permanente, cette soirée si spéciale est devenue un évènement incontournable de l'autre côté de l'Atlantique.
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Sans aucun doute le pile ou face le plus déterminant de toute l’histoire du sport. 19 mars 1969, New York. Ce jour-là, les Phoenix Suns et les Milwaukee Bucks doivent être départagés pour savoir qui aura l’honneur de choisir en première position lors de la traditionnelle draft, cérémonie durant laquelle les franchises NBA sélectionnent chacune leur tour les meilleurs jeunes joueurs de la planète. La règle est alors simple: les deux pires équipes de chaque division (Est et Ouest) sont à la bataille pour obtenir le premier choix. Le moyen pour les départager ? Une pièce d’un demi-dollar lancée en l’air.

Ce fameux 19 mars, la pièce tombe du côté pile et le destin bascule en faveur des Bucks. En une fraction de seconde, la franchise du Wisconsin vient de s’assurer la possibilité de faire venir un certain Kareem Abdul-Jabbar. A l’époque connu sous le nom Lew Alcindor (il changera après une conversion à l’islam), l’intérieur est un véritable phénomène et tous les observateurs s’accordent pour dire qu’il est amené à changer le visage de la franchise NBA qui le draftera. Confirmation en 1971, deux ans après ce pile ou face, quand les Bucks décrochent leur premier titre dans le sillage d’un Lew Alcindor élu meilleur joueur du championnat pour sa deuxième saison dans la Grande Ligue.

"J’ai pris ma voiture pour conduire autour de la ville pendant des heures"

En un jeté de pièce, les Suns, eux, ont laissé filer celui qui deviendra l’un des meilleurs joueurs de l’histoire. "On était estomaqué. Sur un simple mouvement de main… C’était dramatique, a raconté plusieurs années plus tard Jerry Colangelo, manager général de Phoenix à l’époque, dans les colonnes du Los Angeles Times. Dans la foulée, j’ai pris ma voiture pour conduire autour de la ville pendant des heures, simplement pour évacuer. C’était un tournant pour la franchise."

54 ans après ce tournant de 1969, la NBA s’apprête à vivre une nouvelle déflagration avec l’arrivée de Victor Wembanyama. Le prodige français de Boulogne-Levallois (19 ans) affole les recruteurs américains en présentant des aptitudes techniques et une dextérité jamais vues pour un joueur de cette taille (2,23m). Alors qu’il fait d’ores et déjà partie de la liste des prospects les plus attendus de l'histoire, aux côtés de Kareem Abdul-Jabbar, LeBron James ou encore Zion Williamson, sa sélection en première position de la draft 2023 (dans la nuit du 22 au 23 juin) ne fait aucun doute. Sauf que, cette fois, la franchise qui aura l’honneur de le choisir ne sera pas déterminée grâce à un pile ou face.

Instauré depuis 1966, le pile ou face a été remplacé en 1985 par un système de loterie, mis en place pour qu’il y ait plus de deux équipes susceptibles d’avoir le premier choix et éviter que la saison ne soit tronquée par une course à la dernière place. Chaque année, les moins bonnes franchises se voient chacune attribuer une probabilité d’obtenir le premier choix de la draft en fonction de leur classement. Depuis 2019, les trois pires équipes de la saison régulière ont chacune 14% de chance de remporter le jackpot. Avant celà, la dernière équipe de la saison régulière avait 25% de chance d’avoir le premier choix, l’avant-dernière 19,9% et l’antépénultième 15,6%. De sacrés écarts qui favorisaient le tanking, cette fameuse course à la dernière place.

Ce mardi 16 mai (dans la nuit de mardi à mercredi en France), les 14 franchises n’ayant pas réussi à se qualifier pour les playoffs vont donc suivre avec attention la 38e loterie de l’histoire. Avec des chances disparates (14% pour les San Antonio Spurs, Houston Rockets et Detroit Pistons ; 0,5% pour les New Orleans Pelicans) mais un rêve commun: obtenir le first pick et la possibilité de drafter Wembanyama.

Les probabilités d’obtenir le premier choix de la prochaine draft

• Detroit Pistons: 14%
• San Antonio Spurs: 14%
• Houston Rockets: 14%
• Charlotte Hornets: 12;5%
• Portland Trail Blazers: 10,5%
• Orlando Magic: 9%
• Indiana Pacers: 6,8%
• Washington Wizards: 6,7%
• Utah Jazz: 4,5%
• Dallas Mavericks: 3%
• Chicago Bulls: 1,8%
• Oklahoma City Thunder: 1,7%
• Toronto Raptors: 1%
• New Orleans Pelicans: 0,5%

Les balles de ping pong ont remplacé la pièce de monnaie

Le principe de la loterie est le suivant: avant la cérémonie, les 14 franchises se voient attribuer un certain nombre de combinaisons de quatre chiffres, avec plus ou moins de combinaisons en fonction des chances d'avoir le first pick (140 combinaisons pour les trois premiers, 5 combinaisons pour le dernier). Ensuite, des balles de ping pong, numérotées de 1 à 14, sont placées dans un tambour qui tourne pendant 20 secondes. Après ces 20 secondes, une balle sort du tambour. L’opération est répétée jusqu’à obtenir une combinaison de quatre chiffres. L’équipe qui possède cette fameuse combinaison remporte le jackpot.

Chaque année, l’annonce des résultats provoque de vives émotions chez les dirigeants et les fans des franchises. La réaction survoltée des membres des New Orleans Pelicans en 2019 lorsqu’ils ont appris qu’ils pouvaient choisir Zion Williamson en première position donne une idée du l'excitation autour de cette loterie.

Pour les franchises, le moment est toujours inoubliable. "Je me rappelle très bien de la loterie, nous confie le Français Maxime Lefèvre, actuel assistant coach de Minnesota et déjà présent dans le staff des Timberwolves en 2020 lorsque ces derniers ont obtenu le first pick. J’étais chez moi. C’était assez cool car tu regardes à la TV et tu vois les équipes s’égrener depuis la 14e place. N°5, N°4, N°3… et toujours pas de Timberwolves ! Jusqu’à ce qu’on voit qu’on a le N°1."

Dans une draft particulièrement ouverte pour le premier choix, sans aucun nom qui sort du lot comme c’est le cas cette année avec Wembanyama, les dirigeants des Wolves ont opté pour Anthony Edwards, sélectionné au All Star Game en février dernier pour sa troisième saison en NBA.

"C’est très perturbant que le destin d’une franchise dépende du hasard"

Pandémie de Covid-19 oblige, les membres des Wolves n’avaient pas pu se réunir pour suivre cette loterie. "Normalement tout le monde se réunit, mais là c’était le Covid donc tout le monde était bloqué chez soi, indique Maxime Lefèvre. C’était une expérience un peu différente de ce que ça doit être habituellement. En temps normal, les dirigeants sont ensemble. A quel point est-ce attendu par les membres de la franchise ? Ça dépend vraiment du niveau de la draft. Cette année, je peux vous dire qu’au sein des Spurs, Rockets et Pistons, ça doit pas mal en parler ! Il doit y avoir une grosse pression et une grosse impatience d’être fixé."

Pour une personne comme Maxime Lefèvre, ancien coordinateur vidéo et désormais assistant coach, l’objectif principal est de disséquer les moindres aspects du jeu pour réduire au maximum les incertitudes. Alors dépendre d’une loterie n’est pas forcément facile à vivre. "C’est très perturbant que le destin d’une franchise dépende du hasard. C’est pour ça que je suis très content d'être de ce côté là, au plus près du parquet, et pas dans les bureaux en haut comme on dit", s’amuse Maxime Lefèvre.

Troisième pire bilan de la NBA en 2019-2020, les Timberwolves savaient avant la loterie qu’ils étaient bien placés, avec 14% de chances d’obtenir le first pick. Au cours des trois dernières années, ce premier choix est à chaque fois revenu à l’une des trois équipes qui avaient le plus de probabilités de remporter la timbale (Wolves en 2020, Pistons en 2021 et Magic en 2022). Mais, en 2019, les Pelicans se sont vus offrir le droit de drafter Zion Williamson alors qu’ils n’avaient que 6% de chances lors de la loterie. Les New York Knicks, Cleveland Cavaliers, Phoenix Suns, Chicago Bulls, Atlanta Hawks et Washington Wizards, tous mieux positionnés sur la ligne de départ, se sont ainsi tous fait griller la priorité.

"J’ai assisté à des procès pour meurtre où la tension n’était pas aussi forte"

Depuis la mise en place de cette loterie, la palme du hold up ne revient pas aux Pelicans. Orlando Magic en 1993 (1,52% de chance, draft de Chris Webber en N°1), New Jersey Nets en 2000 (4,4%, Kenyon Martin), Chicago Bulls en 2008 (1,7%, Derrick Rose), Cleveland Cavaliers en 2014 (1,7%, Andrew Wiggins)... Au cours des 30 dernières années, plusieurs franchises ont raflé la mise alors qu’elles partaient de très loin.

"L'enveloppe froide" de 1985

La grande histoire de la loterie est également faite de chapitres un peu plus sombres. Le plus connu d’entre eux est incontestablement celui autour de la cérémonie de mai 1985. Cette année-là, pour la toute première édition, le first pick est particulièrement convoité car le phénomène Patrick Ewing se présente à la draft. Le pivot vient de martyriser le championnat universitaire avec sa fac de Georgetown et fait saliver tous les dirigeants NBA. "C’était très tendu. J’ai assisté à des procès pour meurtre où la tension n’était pas aussi forte", se souvient Pat O’Brien, commentateur de CBS, dans des propos rapporté par Sport Illusttrated.

À l’époque, les fameuses boules de ping pong n’ont pas encore été mises en place. Les sept équipes les moins performantes de la saison régulière sont départagées avec un système d’enveloppe, une par franchise. Celles-ci sont placées dans une boule de plastique géante, mélangées puis tirées au sort une par une pour déterminer l’ordre de la draft. La dernière enveloppe tirée est celle des New York Knicks, qui remportent donc le gros lot. "Nous sommes très contents de la loterie", déclare alors David Stern, le patron de la NBA. Avec l’assurance de voir le phénomène universitaire du moment rejoindre l’une des franchises les plus médiatisées, le scénario est en effet idéal. Peut-être trop.

Le dénouement de cette loterie provoque immédiatement un tollé. Les théories du complot ne tardent pas à émerger, certains fans et patrons de franchises estimant que New York a été avantagé pour les fortes retombées économiques qu'offre la présence d’une superstar en devenir dans la Grosse Pomme. L’enveloppe des Knicks aurait été réfrigérée et écornée pour permettre à David Stern de la reconnaître. L’identité de l’homme qui a placé les enveloppes dans la boule géante, un expert comptable du cabinet Ersnt & Whinney, qui gère l’audit du groupe propriétaire des Knicks, n’aide pas.

En parfait businessman, David Stern se félicite du retentissement médiatique de cette première loterie. Même avec ces soupçons de truquage, un bad buzz reste un buzz. "Si les gens veulent dire quela loterie a été truquée, très bien, lance à l’époque le patron de la Grande Ligue. Tant qu'ils épellent bien notre nom... Ça veut dire qu'ils s'intéressent à nous. C'est formidable."

En organisant cette loterie, la NBA a réussi son coup: elle a créé un évènement. "Il ne fait aucun doute que l'année qui a suivi la loterie pour Ewing, les gens ont allumé leur télévision juste pour voir si quelque chose de particulier se reproduirait. Puis l'année d'après et l'année d'après…", résume Sports Illustrated dans un long dossier consacré à cette soirée de mai 1985. Si elle passionne l’Amérique depuis près de 40 ans, la prochaine loterie, qui déterminera l’avenir de Victor Wembanyama, devrait quant à elle enregistrer un record de téléspectateurs français. Pour le plus grand plaisir des patrons de la NBA.

Felix Gabory Journaliste RMC Sport

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