Eboueuse le matin, combattante l’après-midi: la Française qui vise un titre mondial en MMA

Eboueuse pour gagner sa vie, Marine Cruau-Delfau va voir la première partie de son rêve se réaliser ce mercredi: la combattante française de 21 ans participe à Bahreïn aux championnats du monde amateurs de MMA. Avec l’ambition de "ramener une médaille" pour sa... première compétition dans une discipline dont elle espère pouvoir vivre à l’avenir.
Peut-on devenir championne du monde dans une discipline dont on dispute une compétition pour la... première fois? Improbable, l’équation dessine pourtant l’objectif de Marine Cruau-Delfau à partir de ce mercredi à Bahreïn lors des championnats du monde amateurs de MMA (arts martiaux mixtes). Engagée chez les légers, à moins de 70,3 kilos, la combattante française de 21 ans s’avance avec "l’envie de ramener une médaille, en or de préférence". Ambitieux pour celle qui n’est jamais montée dans la cage en compétition. Mais qui se dit "prête" et "bien entraînée" pour atteindre son but. Cette situation, c’est un peu l’histoire du MMA en France, pays où sa pratique en compétition n’est toujours pas autorisée, même si cela devrait être le cas dès le début d’année 2020. C’est aussi, et surtout, son histoire personnelle.
"Je n’avais pas l’image du sang qui coule à flot ou ce genre de choses"
Marine compte à peine deux chiffres à son âge quand elle découvre le MMA. Une tentation alors interdite. "La toute première fois que j’ai vu du MMA, je ne savais pas ce que c’était, raconte-t-elle dans un sourire. J’avais douze ans et mon père en avait enregistré. Je regardais discrètement car je n’avais pas le droit." Mais son esprit a déjà pris le chemin du combat. "Je voulais faire des arts martiaux, poursuit-elle. Mon père n’était pas hyper chaud au début mais il a bien voulu pour le krav-maga." Inscrite au club ADAM à Bordeaux, où elle est installée depuis une dizaine d’années (elle vient de Valras, près de Béziers), Marine Cruau-Delfau va devenir en quelques années la plus jeune ceinture noire de la Fédération européenne de la discipline.
>> Vivez les plus grands événements MMA avec les offres RMC Sport

Mais celle qui a également passé avec succès des diplômes pour devenir coach va trouver plus ludique. "ADAM est un club multidisciplinaire et avant les cours de krav-maga, il y avait du MMA. Ce que j’aime bien dans le krav-maga, c’est la partie combat. Et je me suis dit: 'Le MMA, c’est génial, on fait tout ce que j’aime pendant tout le cours'. Je n’avais pas tapé MMA sur internet donc je n’avais pas l’image du sang qui coule à flot ou ce genre de choses. C’était juste: 'Les gens font ce que j’aime bien, ils rigolent, il y a une bonne ambiance, j’y vais'." Le pas du MMA est franchi à dix-huit ans. Un stage avec Jérôme Le Banner va valider son choix. La star française du kickboxing souhaite la voir faire de la compétition. Impossible en France, législation oblige.
"J’ai travaillé avec des sportifs professionnels qui n’ont pas fait la moitié de ce que je lui ai fait faire"
Repérée par le boss de la MMA Factory parisienne, Fernand Lopez, qui souhaite la faire monter dans la capitale pour la prendre en mains, Marine Cruau-Delfau décide de rester à Bordeaux. Pour progresser, elle rejoint en parallèle l’académie Pythagore de Manu Fernandez, un des pionniers de la discipline en France. Objectif: devenir pro à moyen terme. "Manu Fernandez a tous les contacts dans ce milieu et je lui fais entièrement confiance pour ma carrière", ajoute-t-elle. Boxe, grappling, jiu-jitsu brésilien, MMA de façon globale: son champ d’action s’est multiplié au fil du temps. Son appétit aussi. "On n’avait pas trop de repères, que ce soit elle ou moi, mais de toute façon, elle m’a toujours bluffé, témoigne Laurent, un de ses coaches (spécialiste de krav-maga). Marine, c’est une éponge. On lui montre un truc et elle le ressort direct. Elle en veut vraiment. J’ai travaillé avec des sportifs professionnels qui n’ont pas fait la moitié de ce que je lui ai fait faire, avec des méthodes à l’ancienne de l’armée que peu de personnes ne subiraient maintenant mais qu’elle a fait sans broncher et même en en redemandant."

L’entraînement va maintenant se confronter à la compétition. Des championnats du monde amateurs organisés pour la sixième année consécutive par l’International MMA Federation (IMMAF), avec un format de combats différent de celui des professionnels (trois rounds de trois minutes, protège-tibias obligatoires, gants plus épais et plus lourds), pour lesquels elle a été sélectionnée après de nombreux tests. Et qui permettent à de nombreux jeunes de signer dans des structures pros. La compétition est même soutenue par l’UFC, principale organisation de combats de MMA professionnels à travers la planète. Et la Bordelaise compte bien s’en servir comme d’un tremplin. "J’aspire à faire du MMA en professionnel, oui, confirme-t-elle. Quand on va faire une grosse compétition internationale comme ça, il y a forcément un objectif de professionnalisme derrière. J’ai vu que pas mal de gagnants, deuxièmes ou troisièmes ont pu intégrer directement des organisations plus grosses que ceux qui commencent chez les pros et doivent combattre dans des petites organisations et monter petit à petit."
"J’ai réussi à récolter l’argent grâce à une cagnotte en ligne"
Son coach, qui aussi beaucoup travaillé avec elle sur le psychologique, sa confiance et sa gestion des émotions, préfère mettre le frein: "Même si elle venait à ne pas gagner, elle démarre et ce n’est que de l’expérience. Sa courbe de progression ne peut être qu’exponentielle. Donc j’aurais tendance à dédramatiser la situation. C’est un gros événement, effectivement, mais elle a toujours tout réussi. Sa ceinture noire, elle l’a passée tranquille. Je ne m’en fais pas pour elle. Dans tous les cas, elle rebondira." Tout sauf à l’ordre du jour pour l’instant. Sa volonté de se trouver un avenir dans le MMA ne fait aucun doute. Il suffit de lui demander comment elle gagne sa vie en parallèle du sport et d’observer son emploi du temps pour comprendre. "Pour l’instant, je suis saisonnière à Bordeaux Métropole en tant qu’éboueuse, raconte-t-elle. Enfin, agent de collecte. (Rires.) C’est bien car j’embauche tôt le matin et je finis en général vers 12-12h30 donc après j’ai le temps de m’entraîner."

Des journées qui commencent à quatre heures du matin, deux séances et trois heures d’entraînement par jour (seul jour de repos le dimanche), cinq disciplines à maîtriser: il y a de la volonté, beaucoup de volonté, chez cette jeune femme si heureuse de porter les couleurs de la France et de "tenter de les représenter au mieux" en compétition. Il faut payer pour participer à ces championnats du monde? Aucun problème, débrouille et système D sont au menu. "Nous sommes amateurs et pas encore légalisés en France donc il n’y a pas de sous, rappelle-t-elle. Du coup, tous les participants aux championnats du monde ont dû financer leur inscription. Je n’ai pas trouvé de sponsor mais j’ai compté sur les copains, surtout ceux de mes deux clubs. J’ai réussi à récolter l’argent grâce à une cagnotte en ligne qui a super bien marché et qui m'a rapporté près de 1200 euros."
"Mon objectif est déjà de m’amuser"
Reste maintenant à combattre. A la voir à l’entraînement en mode ground-and-pound (frapper un adversaire au sol en position dominante), on sent les qualités et le potentiel. Mais la chose reste un saut dans l’inconnu quand on n’a jamais pris part à une compétition de MMA. "Je mentirais si je disais que j’étais ultra confiante et que ça allait être hyper facile, reconnaît-elle. Il y a de l’appréhension, oui, mais c’est ça qui est bon. C’est du bon stress, de l’impatience. Mon objectif est déjà de m’amuser, de prendre du plaisir. Et j’aimerais bien ramener une médaille." Qui ouvrirait sans doute quelques portes à celle qui "aime le combat dur".
"Ce qui fait vraiment rêver, c’est de pouvoir vivre du MMA"
On ne met pas la charrue avant les bœufs mais quand on pense MMA, l’UFC arrive vite dans la conversation. Ses lumières, ses gros chèques. Ça donne envie? "Ce serait cool mais ce qui fait vraiment rêver, c’est de pouvoir vivre du MMA", nuance la combattante française. La légalisation en France à l’horizon, elle pourrait aussi jouer à terme un rôle d’ambassadrice. De modèle pour les générations à suivre. Cela commence par transformer les fantasmes sur cette discipline. "Aujourd’hui, ce sport a une mauvaise image, notamment à cause de mecs comme McGregor et Khabib, pointe-t-elle pour 20 Minutes. Mais c’est un sport très réglementé et avec beaucoup de respect entre les combattants. Ce n’est pas qu’un truc de bourrin ! C’est hyper stratégique et technique." Rendez-vous ce mercredi pour mettre enfin tout cela en application en compétition.
Votre opinion