Madiot : "Paris-Roubaix, ce n’est pas une course d’enfants de chœur"

Double vainqueur (1985, 1991), Marc Madiot entretient une relation à part avec « l’Enfer du Nord ». Une attirance unique que le manager de la FDJ, qui tentera de mener Arnaud Démare (12e et meilleur Français l’an dernier) au succès ce dimanche, raconte avec ses mots de passionné.
Marc, vous semblez toujours un peu possédé à l’approche de cette course…
La pression monte gentiment dans les jours et les heures qui précèdent l’épreuve. C’est tout un conditionnement à tous les niveaux : les mécaniciens, l’encadrement, la préparation du matériel, la reconnaissance du parcours… Il y a une montée en pression qui s’installe normalement et naturellement.
Est-ce qu’il existe un rapport mystique avec cette course ?
C’est une course dont il faut avoir envie. Si on n’en a pas envie, on ne peut pas l’avoir, ça c’est sûr. Après, mystique, je ne sais pas… Il faut se conditionner, se mobiliser et se concentrer pour l’évènement. Il faut emmagasiner de l’agressivité, à la limite de la violence parce qu’il faut déjà se faire violence soi-même. Il ne faut pas avoir d’états d’âme par rapport à la concurrence. Un coureur qui tombe dans le peloton, ce n’est pas grave. Quand on est dans une autre course, un autre jour, on a plutôt tendance à être compatissant. Là, on ne doit pas l’être. Si on est en mode : « tout le monde, il est gentil, tout le monde, il est beau » et si on fait les enfants de chœur, on n’a aucune chance de gagner. Ce n’est pas une course d’enfants de chœur Paris-Roubaix. C’est une course où il faut être méchant. Moi, j’étais méchant et si on n’est pas agressif, on ne peut pas la gagner.
Mais il faut aussi la respecter cette course…
D’avoir de l’agressivité, de la méchanceté, cela fait aussi partie du respect de la course. Si on vient en étant gentil, bien peigné et propre sur soi, c’est que l’on ne respecte pas ce style de course. C’est une course violente. C’est violent, les pavés. C’est de l’homme à homme. C’est un ring de boxe. Si on n’y met pas la méchanceté et l’agressivité qu’il faut pour aller chercher un résultat, c’est que l’on ne respecte pas la course, que l’on vient à reculons et que l’on n’a pas envie. Avoir envie de cette course, c’est avoir de l’agressivité dans le bon sens du terme.
Vous avez évoqué le fait de devoir détester cette course…
L’agressivité, ça veut dire quoi ? Ce n’est pas une question de détester cette course. L’agressivité, c’est pour aller chercher un résultat. Être capable de faire sa place, de jouer des coudes pour repousser la concurrence à l’arrière. C’est une guerre permanente. Si on est gentil et poli, on n’a aucune chance de s’en sortir. Il faut se conditionner à tout ça.
Le mot « guerre » est lâché…
On peut être le plus gentil des garçons toute l’année, le jour de Roubaix, il faut être méchant. Si on n’est pas capable de se sublimer et d’emmagasiner une forme de haine et de violence avant d’aborder cette journée-là, on n’a rien à y faire. Le soir, on redevient gentil, mais le soir de la course, on est méchant. Il faut être agressif et aller à la castagne. Il n’y a pas de politesse à faire dans cette course-là.
« Arnaud Démare a ce qu’il faut pour être méchant »
Finalement, on se bat contre la course ?
Non, on se bat déjà contre soi-même parce qu’il y a de multiples raisons de renoncer. Il faut être béton armé dans la tête et ne jamais avoir de moments de relâchement. Il faut toujours penser que c’est possible, qu’on peut aller chercher le résultat, qu’on peut gagner et que les autres, on va les faire plier. Si on sent que l’on est dans un bon jour, il faut se dire qu’on va les faire plier. Les plier, c’est les casser en deux. Ce n’est pas être gentil, poli. « S’il te plait… vas-y mon garçon, passe devant moi » … Non ! C’est les plier en deux.
Vous avez ce qu’il faut comme méchants au sein de la FDJ.fr ?
J’essaye de les rendre méchant au moins une fois par an. C’est mon boulot. De temps en temps, je n’y arrive pas toujours. J’y suis arrivé avec Frédéric Guesdon (dernier vainqueur français du Paris Roubaix) et j’espère y arriver encore un jour. Arnaud Démare, je pense qu’il a ce qu’il faut pour être méchant un jour dans cette course. C’est vraiment une course où il faut mettre de la rage, de la haine, de la violence. Je sais que ce n’est pas forcément bien mais ce n’est pas une course de bien. C’est une course de méchants.
Comment faites-vous pour rendre méchant Arnaud Démare ? Vous lui montrez un pavé et il doit tirer des fléchettes dessus ?
Non, non, mais on les conditionne. J’insiste beaucoup là-dessus car il faut vraiment être prêt dans la tête. Si on n’est qu’à moitié prêt ou qu’on se dit qu’on verra bien ce qu’il se passe en cours de route… on ne peut pas aller chercher un résultat en pensant cela. Il faut se dire : ‘‘Je peux le faire et je mets les atouts dans mon jeu pour le faire’’. Après, ça marche ou ça ne marche pas. Mais il faut se conditionner pour le faire.
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