OL-ASSE: l’émotion de Lacazette, le bonheur de Textor, les consignes de Sage… Les coulisses du derby victorieux des Gones

La longue communion sur le terrain avec les supporters. Les sourires XXL devant le vestiaire, où John Textor félicite tout le monde. Les cris de joie aussi. Après la victoire de l’OL face à Saint-Etienne, dimanche en clôture de la onzième journée de Ligue 1 (1-0), tout dessine ce sentiment jubilatoire supplémentaire chez les Gones. L’ivresse particulière d’un succès face au grand rival. Et puis, il y a les mots d’Alexandre Lacazette à la sortie d’une ambiance incandescente portée par le record d’affluence dans un derby (58.082 spectateurs): "Franchement, je pense que ça va être dans le top 3 de ce que j'ai vécu ici", avoue le capitaine lyonnais. "Dès l'échauffement, ils étaient présents, donc franchement bravo à eux. Ça aide, ça donne envie de tout donner aussi pour eux, pour le soutien qu'ils nous apportent depuis le début de la saison."
Pierre Sage aussi savoure ce score minimaliste (1-0) avec une énorme satisfaction. Le technicien rhodanien obtient ainsi le label "lyonnais" pour sa première plongée dans cette confrontation vieille de plus de soixante-dix ans: "On m'a dit qu'il fallait gagner un derby pour être adopté par les Lyonnais. Je suis content de sortir de la salle d'attente après vingt-six ans de patience", souffle le coach de l’OL en conférence de presse. Il se murmure que c’est l’ancien attaquant Bafétimbi Gomis, qui a joué le derby dans les deux camps, de sa formation chez les Verts (2000-2009) à son quinquennat lyonnais (2009-2014), qui lui glisse cette remarque, entre deux interviews post-match. "Je suis content pour les joueurs et le public", complète Pierre Sage.
"Le match de l’année"
Ce succès est d’autant plus appréciable pour l'OL qu’aucun incident (chant homophobe compris) n’est mentionné dans le rapport du délégué du match. Dès 17h, quelques formules "à l'ancienne" fusent tout de même sur le parvis devant le stade. Plus de quatre heures avant le coup d’envoi, les supporters (plus nombreux que pour un match ordinaire) s’y retrouvent pour une montée en température à base de feux d’artifices, pots de fumée et fumigènes. L’attente s’est tellement éternisée qu’il faut apprécier l’événement à sa juste valeur: "Un stade en feu, une ambiance collective rare, un moment suspendu, le match de l’année", racontent à RMC Sport des acteurs de ce 125e derby.
Il y en a même qui partagent, via une messagerie interne, le geste de Gauthier Larsonneur, le gardien de l’ASSE, pour demander plus d’ambiance et des chants hostiles à son encontre devant le Kop Virage Nord, fief des Bad Gones. Un "chambrage qui correspond aux valeurs des derbys à l’ancienne, ou une telle opposition se fait sur des vannes et non de la violence". Moins de cinq secondes après, le portier des Verts se manque dans sa relance et "offre" un but à Ernest Nuamah, finalement annulé pour une main de Georges Mikautadze sur l’action.
Lucas Perri se lâche en français
Alors que les Lyonnais de naissance, formés aux clubs comme Lacazette et Tolisso, connaissent la frénésie d’un derby, les "bizuts" découvrent le supplément d’âme qui habite l’ensemble du club face à son voisin distant de soixante-cinq kilomètres. Lucas Perri, le gardien brésilien de l’OL, comme porté par l’élan populaire, s’essaie en zone mixte au jeu des questions-réponses avec les journalistes en… français. Le regard fier de son audace d’un soir: "C'est un moment que je vais garder dans ma mémoire pour toute ma vie. Je suis très heureux pour mon premier derby avec la victoire. C’est inégalable cette communion entre une ville, un staff, un public. Un derby, c’est différent."
Isabelle Dias, qui officie au club en tant que professeur de français (entre autres) depuis l’été 2000 et l’arrivée d’Edmilson, aide Lucas Perri sur une ou deux conjugaisons, mais le portier auriverde se débrouille très bien. Notamment quand il raconte son arrêt de la 76e minute devant le Stéphanois Ibrahim Sissoko: "C'est un moment de jeu, une contre-attaque rapide", détaille le géant d’1,97m. "J'ai fait de mon mieux pour créer le doute et rendre la tâche difficile à l’attaquant. Je suis très content d’avoir pu faire l'arrêt et aider l'équipe pour la victoire." Perri a eu droit à l’ovation d’un stade, acquis encore il y a quelques semaines à la cause d’Anthony Lopes: "Il s’est retourné vers nous et il a célébré ça comme un but. On l’a félicité en donnant de la voix dans la tribune", témoigne Thierry Boirivent, le patron des supporters rouge et bleu, situé dans la tribune sud.
Textor rayonnant dans les coursives
Et que dire de John Textor, maillot de l’OL floqué "Tex 44" sur le dos, qui affiche un visage rayonnant en s’arrêtant en zone d’interview, après un tour d’honneur, une photo de famille sur la pelouse et un cri du cœur dans le vestiaire. "Vous avez été super". "Ouais, je suis super heureux", exulte le propriétaire US de l’OL. "C’est mon premier derby, bien plus intense que ce à quoi je m’attendais. Je suis très content, l’équipe a été incroyable. On aurait pu marquer plus en première période, mais Saint-Etienne se battait. C’est ça les derbys, ça doit être comme ça."
Et là où certains pourraient penser qu’il surjoue un peu, l’Américain John Textor démontre qu’il connaît désormais le club qu'il dirige. Le natif du Missouri en a appris l’histoire et les codes dès sa prise de fonction, à travers une plongée dans le musée. "Oui, il est imprégné de cette culture", révèle un membre de son entourage. "Il veut tout savoir sur le club et il sait que le derby en fait partie." Textor avait coché cette date du 10 novembre dès la sortie du calendrier de la saison en juin dernier. Et le Jour J, il en profite à fond: match des U19 l’après-midi avec Mathieu Louis-Jean (à la tête du recrutement depuis un an et demi), observation de l’échauffement au bord de la pelouse, échange avec les jeunes pupilles de la nation qui donnent le coup d’envoi … En tribune présidentielle, il retrouve son prédécesseur Jean-Michel Aulas mais également des artistes comme Zazie, Pierre Garnier, Gauvin Sers, qui ont répété leur show organisé au profit d’une opération caritative, prévu le lendemain à la LDLC Arena (qui jouxte le stade de l’OL).
Pierre Sage avait anticipé les choses
Un derby, ça se prépare minutieusement en amont. Dès le dimanche 27 octobre, lors du match nul face à Auxerre au Groupama Stadium (2-2), Pierre Sage protège trois de ses cadres d’un possible avertissement synonyme de suspension contre l’ASSE: Mata, Tolisso et Cherki. Seul ce dernier rentre à petit quart d’heure de la fin. Même mise dans le formol des cadres lors du nul à Hoffenheim en Ligue Europa (2-2), à trois jours du grand rendez-vous: Perri, Maintland Niles, Niakhaté, Tagliafico, Tolisso, Vérétout, Cherki, Lacazette et Fofana sont sur le banc. Matic est laissé à Lyon. Seul Duje Caleta-Car enchaîne les deux matchs.
Et puis, il y a le calendrier de l’avant, en mode "derby", ces ultimes 48 heures de préparation du Jour J. Pierre Sage les détaille pour RMC Sport: "Nous savions que les supporters allaient venir à l’entraînement, mais nous avons orchestré l’emploi du temps général des joueurs et l’agencement de la séance en fonction. Légèrement décalé, l’échauffement débute, avec au fil des quelques minutes, la tribune qui se remplit peu à peu. Une fois tout le public autour du terrain, j’ajuste la suite de la séance avec la ‘véritable partie’ entraînement, quand il y avait un maximum de supporters. Et un maximum de bruit." Avec un effet "wahou". "Ah oui, quand même, c’est cela", avoue Moussa Niakhaté à son coach au moment de rentrer aux vestiaires.
Une belle opération au classement
La suite? C’est la causerie de Pierre Sage, avec l’appui d’une vidéo. "Pas tactique ou de jeu", précise le coach lyonnais. "Elle était centrée sur des buts, des actions symboliques, des joies d’autres derbys. Je voulais leur montrer que c’était du foot, mais… particulier. Je voulais leur installer cette flamme du derby dans la tête. Nous étions à quelques heures du match. Car après le retour d’Allemagne, nous n’avions que très peu de temps pour préparer l’aspect motivation." Et enfin, la dernière phase de la préparation, peu après 19h: "Lorsque les joueurs sont arrivés au stade, ils ont aussi compris quelle était l’importance de ce genre de match", témoigne Pierre Sage. "Il y avait beaucoup d’engouement autour de l’équipe et de ce match-là, et on est content de l’avoir gagné, au moins pour ça."
Nice et Lille qui se neutralisent (2-2), Marseille qui trébuche contre Auxerre (1-3), Reims et Lens vainqueurs, tout comme Monaco. Quand ils donnent le coup d’envoi du derby, les Lyonnais savent qu’ils ne doivent pas se manquer pour recoller un peu plus aux places européennes au terme du week-end. L’équation pour une belle opération s’écrit facilement: il faut gagner. "Une forme d’obligation comptable, en plus d’une question d’honneur et de suprématie régionale", résume un proche du staff. Ce succès permet au final une petite ascension au classement: sixième au matin de la 11e journée, à cinq points du podium, l’OL intègre le Top 5. De quoi dépoussiérer les statistiques récentes: il faut remonter à l’automne 2022 pour voir une apparition dans le Top 5 de la Ligue 1 et même à la saison 2018-2019 pour que l’OL possède 18 points en 11 journées. L’an passé, en plein marasme, l’OL n'avait récolté que 4 points sur 33 possibles, avec une place de lanterne rouge pour la première fois dans son histoire.
Des progrès attendus dans le jeu
Reste un constat: il faudra faire plus dans les autres matchs de la saison pour atteindre les objectifs élevés du président et propriétaire, qui visent au minimum le podium: "Notre équipe a su jouer avec le ballon lors de la première mi-temps", explique Lucas Perri. "On aurait pu marquer plus. En deuxième, on a plus souffert et on a offert des possibilités à Saint-Étienne. Mais je suis très heureux de la victoire." Karim Mokeddem, qui connait bien Pierre Sage pour l’avoir eu comme adjoint à Lyon-La Duchère, décrypte dans l’émission Kop Gones sur BFM Lyon: "A la fin du match, il y a un gros plan sur lui. Et je vois son sourire crispé. Je sais ce que cela veut dire", résume l’actuel entraîneur de Sochaux.
A froid, Pierre Sage confirme: "Oui, malgré tout, je ne suis pas très satisfait de notre deuxième période. On a laissé quelques opportunités à notre adversaire, notamment sur des erreurs, un peu à l'image des égalisations qu'on avait concédées dans nos matchs précédents. Donc, on est content d'avoir gagné, mais on reste aussi vigilant sur l'analyse de la performance." En attendant d'éventuels progrès, ces trois points supplémentaires tombent à pic. De quoi offrir, une trêve internationale plus confortable. Et "trois jours off avec une reprise jeudi matin", complète Pierre Sage, qui tient à préciser que ces congés avaient été calés à l’avance.