Nantes: pourquoi Domenech est-il toujours autant détesté?

Dix ans après le fiasco de l'équipe de France à la Coupe du monde 2010, Raymond Domenech cristallise encore les critiques, comme le souligne le déferlement de réactions indignées à la suite de sa nomination comme entraîneur de Nantes. Le fruit d'un parcours chaotique et d'une personnalité aussi clivante que provoquante.
Rarement une conférence de presse du FC Nantes n'aura été autant attendue que celle de Raymond Domenech, ce jeudi. Le club, retombé dans le ventre mou de la Ligue 1 depuis son titre de champion de France en 2001, n'était plus habitué à autant d'émulation. Et les anciens joueurs qui en ont fait la légende s'en seraient bien passé.
D'une voix presque unanime, ils ont tous regretté la nomination de l'ancien sélectionneur de l'équipe de France sur le banc de leur FCN. Et ils ne sont pas les seuls. Dix ans après le fiasco de Knysna, la rancoeur contre Domenech est encore tenace. La finale de l'Euro 2016, le titre de champion du monde 2018 ou les dix années passées depuis le Mondial 2010 n'ont pas pas effacé des mémoires le souvenir vivace d'une humiliation en mondovision.
🤔 Le saviez-vous ? Raymond Domenech a débuté sa carrière d'entraîneur sur le banc du FC Mulhouse.https://t.co/FwwxRMpnct
— RMC Sport (@RMCsport) December 26, 2020
A tel point que Domenech semble encore porter aujourd'hui l'étiquette "de l'homme le plus détesté du football français". Dans les faits, ses "fautes" n'ont rien de grave. Son caractère clivant, son goût pour la provocation et ses contre-pieds désarçonnants à la tête de la plus grande vitrine d'exposition du football français l'ont rendu impopulaire auprès de la population française. Sa présence dans les médias ces dernières années a participé à maintenir un degré d'inimitié assez élevé auprès des fans de football, qui redoutaient, peut-être autant qu'ils espéraient secrètement, le retour aux affaires du "Ray". Celui-ci aura au moins la chance, huis clos oblige, de ne pas découvrir tout de suite le ressentiment dans les stades de Ligue 1.
Un mandat sans véritable identité tactique
Avant les polémiques, la nomination de Raymond Domenech interroge sur l'aspect tactique. Il n'a plus entraîné en club depuis Lyon en 1993. Il ne s'est plus assis sur un banc depuis 2010 et la fin de son aventure comme sélectionneur de l'équipe de France. En six ans à la tête des Bleus, Domenech n'a pas laissé un souvenir indélébile en matière de jeu. Son mérite aura tout de même été d'atteindre la finale de la Coupe du monde 2006 en grande partie grâce aux retours de Zinedine Zidane, Claude Makelele et Lilian Thuram, sortis de leur retraite un an plus tôt.
"Ce n'est pas un génie, confie Jérôme Rothen, qui l'a connu en équipe de France. Si c'en était un, ça se saurait et il ne serait pas resté depuis 1993 sans entraîner un club. (...) Quand tu passes quelques années en dehors du terrain, c'est problématique. Il faut se réhabituer, se réinventer. Je pense que lui ne s'est jamais réinventer et d'autres pareils." "C'est un très bon coach, assurait Benoît Pedretti en 2010. Il est très fort tactiquement, il connait très bien le football. Il essaye de mettre en place un 4-2-3-1, mais ce n’est pas facile avec les joueurs qu’il a."
Robert Pirès, lui, avait un avis beaucoup radical sur l'approche du jeu du sélectionneur, avec qui il était en conflit ouvert. "Son avis d'incompétent aigri à l'ego surdimensionné ne m'intéresse pas et ne devrait intéresser personne, avait-il lâché en 2012 au moment de la sortie du livre de Domenech. Raymond Domenech est et a toujours été un mauvais entraîneur et des critiques venant de lui ne m'atteignent pas."
En 2005, Domenech avait avoué être guidé par l'astrologie dans ses choix. "Il y aura 23 joueurs à choisir (pour le Mondial 2006, ndlr), confiait-il. Quelque part, je ne dis pas que ça ne m'influencera pas. Tous les paramètres vont entrer en ligne de compte. Moi, j'en ai ajouté un avec l'astrologie, qui est très minime mais qui est vraiment au bout de la chaîne."
En 2009, le capitaine Thierry Henry avait, au nom du groupe, critiqué le contenu des séances de Domenech. "On ne sait pas comment jouer, où se situer, comment s’organiser, aurait-il lancé au sélectionneur en pleine séance. On ne sait pas quoi faire. On n’a aucun style, aucune idée directrice, aucune identité. Ça ne va pas."
Sa demande en mariage, point d'orgue d'une communication grinçante
Nommé en 2004 après le départ de Jacques Santini à Tottenham, Domenech a marqué une différence de ton en conférence de presse. Rapidement, l'ancien sélectionneur des Espoirs a manié l'ironie. Cela fut d'abord plutôt bien accueilli, après la voix monocorde de son prédécesseur. Ce fut vite une habitude aiguisant son goût pour la provocation, sourire en coin, regard ciblé et réparties travaillées. Il s'était dit prêt à "passer pour le roi des cons" pour faire fonctionner l'équipe, avait raillé le goût pour "l'odeur du sang" des journalistes avant un match crucial face à la Serbie en 2008 et s'était réjoui "que la loi de la guillotine" n'existe plus. Et puis, il y eut cette sortie lunaire à la sortie de l'élimination d'un Euro 2008 désastreux, conclu par une défaite face à l'Italie (2-0): sa demande en mariage en direct à la télévision, à sa compagne, la journaliste Estelle Denis, présente sur le plateau de M6.
"J'ai juste un truc à dire là. Je n'ai qu'un seul projet, c'est d'épouser Estelle. C'est donc aujourd'hui que je le lui demande vraiment. Je sais que c'est difficile mais c'est dans ces moments-là qu'on a besoin de tout le monde. Et moi, j'ai besoin d'elle." Immense gêne en plateau et colère nationale des fans de football. Déjà très étiré, le lien entre Domenech et les supporters français, furieux de voir l'équipe de France instrumentalisée par le sélectionneur, a basculé vers la rupture ce soir-là. Le lendemain, il s'était excusé pour cette "erreur de communication" de cette manière: "Pardonnez-moi d'avoir eu un brin d'humanité. (...) Un instant, je n'ai pas été un robot."
Le fiasco Knysna
La Coupe du monde 2010 fut à la fois le point d'orgue et le point final de l'aventure de Raymond Domenech à la tête de l'équipe de France. Le sélectionneur aurait pourtant pu en ressortir comme victime puisque c'est lui qui s'est retrouvé comme la cible des insultes prétendument lancées par Nicolas Anelka à la mi-temps de France-Mexique et affichées en Une de L'Equipe: "va te faire e..., sale fils de p..." Si Anelka et Domenech ont démenti, quelques années plus tard, la teneur exacte de ces propos, le mal était fait. Et le pire fut à venir avec la grève de l'entraînement, le lancer de chrono de Robert Duverne, qu'il devrait nommer adjoint à Nantes, et Domenech rabaissé comme simple lecteur d'une lettre des joueurs devant les journalistes du monde entier.
🇫🇷 Selon 20 Minutes et Ouest-France, Raymond Domenech devrait prendre Robert Duverne comme adjoint à Nantes.https://t.co/vyAHyQvFpK
— RMC Sport (@RMCsport) December 29, 2020
Domenech porte sa part de responsabilité dans cet échec pour ne pas avoir réussi à fédérer et faire s'entendre des joueurs au fort caractère. Sa gestion du cas Thierry Henry, retenu presque à contrecoeur et relégué comme simple remplaçant, en fut une illustration. Il fut finalement licencié pour "faute grave" par le président de la Fédération d'alors, Fernand Duchaussoy. Son contrat fut finalement rompu à l'amiable avec Noël le Graët, nommé quelques mois plus tard à la FFF et avec lequel il entretenait de bonnes relations.
Un après-Knysna aussi clivant
Dix ans se sont passés depuis cette période la plus noire du football français mais Domenech a continué de cristalliser une rancune. Parce qu'il est resté dans le paysage du football français en entrant dans les médias, qu'il adorait titiller lorsqu'il était en poste. A partir de 2012, il a collaboré avec Ma Chaîne Sport, puis RTL et Europe 1. En 2016, il a ensuite rejoint la Chaine L'Equipe tout en conservant sa liberté de ton, comme lorsqu'il a moqué les choix tactiques de Gian Piero Gasperini lors de la défaite de l'Atalanta Bergame face au PSG l'été dernier en Ligue des champions.
Après son élection comme président de l'Unecatef en 2016, il a souvent critiqué la nomination d'entraîneurs étrangers. Sylvinho en a fait les frais à Lyon, au point de s'attirer les foudres de Jean-Michel Aulas, son ancien président. Domenech s'est aussi attaché à défendre le respect de l'âge limite (65 ans) pour entraîner et à dénoncer la durée de contrat de six mois parfois proposée à ses pairs. Il s'était ému de la dérogation accordée à Claudio Ranieri en 2017 à Nantes alors que l'Italien (66 ans) dépassait l'âge-limite. Ce sera aussi le cas de Domenech (69 ans), qui va s'engager pour six mois. Une durée qu'il estimait trop courte il y a encore quelque temps.
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