El Moutawakil : « Je suis une féministe sans le savoir »

En décrochant l’or sur 400m haies en 1984, Nawal El Moutawakil est devenue la première femme africaine championne olympique. Militante et membre du CIO, la Marocaine est très émue de voir qu’à Londres, il n’y a plus de délégation sans femmes.
Nawal El Moutawakil, quel est votre sentiment en voyant que l’Arabie Saoudite, dernier pays à pratiquer la ségrégation contre les femmes aux JO, va envoyer deux athlètes ?
C’est quelque chose d’extraordinaire de voir tous les comités nationaux olympiques au moins représentés par une femme. C’est une satisfaction extrême pour nous les femmes qui avons milité dans la commission du CIO « Femmes et Sport ». Je me souviens qu’en 1984, à Los Angeles, j’étais la seule jeune fille dans la délégation marocaine. Je me demandais pourquoi il n’y avait pas d’autres femmes ? Pas d’athlète, pas d’entraineur, pas de médecin, pas de journaliste… C’était tout naturel pour moi de m’interroger sur ces questions alors que j’avais réalisé une performance qui a changé non seulement ma vie, mais la vie de tant de jeunes filles de mon continent. On voulait concourir contre nos consœurs d’autres continents en toute liberté. C’est une énorme satisfaction de voir l’Arabie Saoudite boucler la boucle après tant d’années.
Le combat est-il gagné ?
Je constate que l’athlétisme est le plus représenté chez les filles d’Arabie Saoudite, du Qatar et de Brunei (les trois derniers pays à envoyer des femmes, cet été à Londres, ndlr) et c’est une satisfaction parce que pour moi, c’est le sport roi. Je souhaite beaucoup de succès à ces filles parce que ça n’a pas été facile. Il y a eu beaucoup de va-et-vient entre le comité international olympique, certaines fédérations internationales, les CNO et des clubs au niveau local. Je viendrai personnellement les encourager sur chaque site comme j’avais fait pour Roqaya (Al-Gassra) du Bahreïn qui a couru en 2004 à Athènes. Avec sa tenue traditionnelle, elle avait fait un 100m avec une assurance incroyable.
Allez-vous remettre des médailles à des athlètes féminines ?
Oui, je choisis toujours le 400m haies dames qui reste ma discipline. Ça reste l’épreuve qui regroupe toutes les valeurs olympiques. C’est une école de la vie : il y a un départ, un finish et entre les deux, dix obstacles. Souvent vous les sautez, mais souvent aussi vous tombez et il faut se relever. Ainsi est faite la vie.
Peut-on dire que vous êtes encore une athlète marocaine féministe ?
Sans le vouloir, je le suis. Je n’étais pas préparée à le devenir à l’époque où j’ai couru. En 1984, les conditions étaient réunies pour être au summum de ma forme sportive. J’ai pulvérisé le record d’Afrique avec ce temps de 54’’61. Ce chrono a bouleversé ma vie et celles d’autres filles des pays musulmans, africains, arabes. Des pays où la femme n’avait pas le droit de concourir, n’avait pas accès à l’éducation physique et au sport. A partir de là, ma vie a basculé. J’ai arrêté très jeune pour militer autrement. Le sport est comme l’oxygène. Il fait de vous quelqu’un de fort.
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