Bayan, une Syrienne en Normandie

Star chez elle, la nageuse d’Alep (Syrie) s’entraîne en Normandie dans le but de se qualifier pour les Jeux Olympiques de Londres. Loin de sa famille et d’un pays défiguré par la guerre.
Pendant que son pays est ensanglanté par la guerre civile, la Syrienne Bayan Jumah fait des longueurs. Arrivée à Rouen en février 2011, la jeune nageuse d’Alep essaie de décrocher son billet pour les Jeux de Londres (50m, 100m et 200m) après avoir laissé derrière elle sa mère et ses frères. « Le plus dur, c’est d’être loin de ma famille mais c’est la vie d’une athlète », glisse Bayan, qui a perdu son père. La Syrienne de 17 ans a atterri en Seine-Maritime à la faveur d’un programme de bourses financé par le comité international olympique (CIO) à destination d’athlètes de pays en difficulté ou manquant de moyens. Le département a joué la carte de la proximité géographique avec l’Angleterre et Londres pour accueillir une quinzaine de jeunes nageurs, judokas, boxeurs et athlètes d’Afrique, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient, qui ambitionnent de participer aux JO.
Mais que ce fut dur au début ! « Elle avait des gros coups de blues, elle pleurait, se remémore Eric Boissière, son entraineur. C’était compliqué aux entraînements. » Débarquée sans parler le moindre mot de français, elle est aidée par une nageuse marocaine qui joue la traductrice en arabe. Un de ses compatriotes, lui, plaque tout et rentre au pays. « J’ai appris à vivre seule. » Progressivement, Bayan trouve ses marques, partage sa chambre avec des colocataires, dompte la langue de Molière. « Elle m’impressionne », applaudit Boissière. Pour autant, elle reste timide. « Elle ne se livre pas énormément, on parle de sa famille. On ne veut pas trop s’immiscer mais on sent qu’il y a de l’inquiétude. » « J’ai peur pour eux », soupire la nageuse. Deux fois par semaine, elle échange avec les siens. « Avec les problèmes en Syrie, c’est compliqué, internet ne marche pas très bien. »
« Je ne pense pas à la politique, je suis ici pour nager »
La politique n’a pas droit de cité chez Bayan. Comme au pays, c’est source d’ennuis que d’en parler. « Je ne pense pas beaucoup aux problèmes politiques, je suis ici pour la natation. » Dans le bassin, la nageuse progresse. « Elle a dominé le stress en compétition parce qu’elle manquait d’opposition », analyse Boissière. En Syrie, Bayan nageait avec les garçons, faute de concurrence chez les filles. Recordwoman dans son pays sur 50m, 100m et 200m, elle a dû affronter un plateau bien plus relevé en France.
Les troubles politiques ont décidé les autorités de Damas de ne pas envoyer de nageurs aux Jeux arabes au Qatar. « J’ai été déçue mais ce n’est pas moi qui décide. » Qualifiée pour les championnats de France jeunes, qui débutent ce jeudi à Saint-Raphaël (jusqu’au 1er avril), elle vise une qualification aux JO. Sur 100m, elle est à une seconde des minima olympiques décrétés par la Syrie (environ 57’’ contre 54’’57 requis lors des sélections françaises à Dunkerque). « Elle n’a que 17 ans, relativise le technicien. Londres n’est qu’une étape, tout commence pour elle. » « La vie ici est calme et magnifique », savoure-t-elle. Pourvu que ça dure.
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