
UFC 264: McGregor, comme un air de crépuscule?
La prédiction est tombée, un classique des sports de combat. "Il est fini. C’est la fin du voyage pour lui." Quand Conor McGregor a lancé cette phrase à l’adresse de Dustin Poirier ce jeudi en conférence de presse pré-UFC 264, où la superstar irlandaise affrontera ce samedi soir le combattant américain pour une "belle" (victoire de McGregor en 2014 et de Poirier en janvier dernier), on n’a pas pu s’empêcher de sourire. Et de se poser une question: la déclaration n’aurait-elle pas été plus légitime… dans l’autre sens?
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A trente-deux ans (trente-trois dans cinq jours), "The Notorious" n’est pas encore à la retraite sportive, même s’il l’annonce souvent avant de se rétracter. Mais il joue gros à la T-Mobile Arena. Très gros. Une idée de comment on va s’en souvenir, de la narration autour de sa carrière. Pas celle de la superstar. Celle du combattant. Depuis quatre ans et demi, l’ancien champion des plumes et des légers a combattu trois fois dans l’octogone. Pour deux défaites (Khabib Nurmagomedov et Poirier) et une victoire (Donald Cerrone). "Vous ne pouvez pas être compétitif au plus haut niveau si vous n’avez pas de rythme, si vous êtes un combattant à temps partiel", avait-il lancé après sa défaite (la première de sa carrière sur TKO) contre Poirier en janvier dernier. Tout juste.
Le combattant d’élite est devenue une attraction populaire. La plus grande star des sports de combat, réalité toujours tangible, mais plus quelqu’un qu’on imagine grimper jusqu’au sommet de la montagne UFC. Il suffit d’observer l’environnement médiatique pour comprendre. Depuis fin 2014-début 2015, chaque combat de Conor est un aimant à lumière. L’attente se conjugue au palpable. Mais cette fois, il y a comme quelque chose qui manque. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, on en parle un peu moins. Comme si on avait compris que le McGregor qui a fait passer le MMA dans une nouvelle dimension ne reviendrait plus. Comme si on n’y croyait plus.
"J’ai l’impression que la hype est bien descendue, confirme Taylor Lapilus, combattant français de MMA, ancien de l’UFC et consultant RMC Sport. Quand on regarde les médias autour de son combat, ça a vraiment baissé. Quand il était là, c’était un événement. Et là, il y a beaucoup moins d’engouement. Il a vraiment besoin de casser la tête de Poirier pour remettre un jeton dans la machine." Son silence médiatique, avec une seule interview accordée à son ami Ariel Helwani, n’a pas aidé. Encore renforcé par sa faible présence dans les vidéos Embedded, série diffusée par l’UFC avant chaque gros événement, où il a fallu attendre le quatrième épisode pour le voir apparaître.
Du neuf avec de l'ancien
"Il était au-dessus de la vague il y a quelques années mais son statut est un peu retombé avec ses défaites, explique Gäel Grimaud, expérimenté combattant tricolore qui fait son retour dans la cage ce vendredi à La Défense Arena à l’occasion de l’événement Hexagone MMA 1. On a vu beaucoup de communication autour de son personnage, il y a même eu un film qui a été fait sur lui, et on a un peu l’impression d’avoir fait le tour de son histoire." Dana White a sa théorie sur la question. "Le silence de Conor veut sans doute dire qu’il est très concentré sur ce combat, qu’il est à 100% dedans, a expliqué le patron exécutif de l’UFC à ESPN. Il a tellement en jeu… La grosse question est: il a tellement d’argent désormais, est-il toujours le même? Est-il à fond? On sait que ce gars aime combattre. Il n’en a plus besoin mais il le fait car il aime ça vraiment. Et il a une belle opportunité."
Elle consiste à battre Poirier, qui a refusé un combat pour le titre des légers (finalement revenu au Brésilien Charles Oliveira après sa victoire sur l’Américain Michael Chandler en mai à l’UFC 262) alors qu’il était numéro 1 de la catégorie pour retrouver Conor et le gros chèque qui va avec, étape à franchir sur la route de l’ambition sportive légitime. "S’il bat Dustin, numéro 1 de la division derrière le champion, il aura un combat pour le titre", confirme White. Où prendre le meilleur sur un Oliveira qui reste sur neuf victoires, dont une seule sur décision, pour s’emparer d’une ceinture UFC pour la troisième fois ferait beaucoup pour remettre l’église McGregor au centre du village MMA.
"Il finirait comme un des plus grands de tous les temps, juge le boss de l’UFC. Avoir perdu la ceinture, les choses qui lui sont arrivées sur les plans professionnel et personnel, revenir encore, battre le challenger numéro 1 qui vient de la battre puis combattre pour le titre et le gagner… Financièrement, ce serait dingue. Professionnellement aussi. Il y a deux choses qu’il aime : combattre, être compétitif, et l’argent. Et beaucoup de ces deux choses sont en jeu s’il perd samedi." Pour retrouver sa splendeur et s’inventer un avenir sportif, l’Irlandais puise dans son passé. Terminé le "Monsieur Gentil" – qui rattrapait aussi son image écornée par différentes affaires – vu avant Cerrone en janvier 2020 et Poirier en janvier 2021. Le McGregor trop sympa, qui peut battre un "Cowboy" Cerrone vieillissant, est presque un McGregor qui combat avec une main attachée dans le dos, surtout quand il faut faire face à l'élite.
Retour au "Notorious" agressif, arrogant, chambreur et à cheveux ras, comme il les arbore aujourd'huio. Celui qui a conquis la planète avec sa bouche et ses mots, qui déstabilisaient les adversaires avant de monter dans l’octogone, autant qu’avec son bras gauche qui les terminait, à l’image de la victoire en treize secondes sur José Aldo (alors invaincu depuis dix ans) pour conquérir la ceinture des plumes à l’UFC 194 en décembre 2015. Celui qui l’ouvrait mais assumait ce qu’il disait au moment de combattre au point de provoquer des comparaisons avec un certain Muhammad Ali, maître absolu du genre. "J’aime le Conor qui flirte avec la limite car c’est une grande partie de ce qui l’a rendu spécial, confirme l’ancien combattant UFC Chael Sonnen pour ESPN. Je pense qu’il doit revenir à ce gars-là pour revenir au top."

Après avoir vu le ton monter entre les deux derrière les accusations de Poirier de ne pas avoir effectué le don promis à sa fondation (ce qui le poussera à en faire un à… une autre de la même ville), Conor a tenté de faire du Conor grande époque ces derniers jours. Il a publié une demande de message privé de Jolie Poirier, la femme de Justin, ou encore un message vocal insultant (et malaisant) sur Twitter. Il a surtout essayé de faire de la surenchère en conférence de presse. "De l’extérieur, on a le retour d’un Conor sérieux, prêt à gagner et hardcore et je suis excité de voir ce que ça donnera. Cette conférence devrait être fun", prédisait White peu avant.
Il y a bien eu les insultes attendues, assez violentes et parfois à caractère sexuelles (il en a aussi mis une couche dans la même veine sur Twitter), sur Poirier, sur sa femme. Il a même lancé un coup de pied – l’arme qui lui avait fait mal en janvier, d’ailleurs – à son adversaire lors du face-à-face. Mais pour ceux qui le suivent dans l’exercice depuis des années, à l’évidence, le personnage s’essouffle. La difficulté à faire reprendre "Jolie’s wife!" (il voulait chambrer Poirier en lui disant que sa femme était en fait le mari, superbe démonstration de misogynie…) à ses fans alors qu’il faisait s’époumoner des salles au chant de "Fuck the Mayweathers!" avant son combat de boxe contre Floyd Mayweather en 2017 en est une preuve. McGregor était un maître de la guerre mentale, il paraît presque aujourd’hui un homme désespéré qui tente éperdument de plonger Poirier à son jeu comme lors de leur première danse en 2014.
Comme avant Khabib, les attaques sont trop personnelles pour ne pas être gênantes. Elles tombent à plat, surtout. "Tu étais bien meilleur avant, lui a lancé Poirier dans un sourire après une énième diatribe. Ton trash-talking était bien meilleur. Tu es faible." Et l’Américain d’enfoncer le clou: "Il n’a plus l’aura qu’il avait. Il reste un combattant dangereux, aucun doute là-dessus, mais je vois un homme que j’ai battu. Et je sais que je peux le battre encore." Double champion en même temps au Cage Warriors, double champion en même temps à l’UFC (le premier de l’histoire), 22-5 en carrière dont 10-3 à l’UFC, plus grande star de l’histoire du MMA, des millions en pagaille sur son compte jusqu’à devenir en 2020 le sportif le mieux payé de la planète (surtout grâce à son whiskey): beaucoup de combattants rêveraient de la carrière de McGregor.
Mais l’homme qui voulait "prendre le contrôle, pas juste participer" à ses débuts à l’UFC en 2013 s’en satisferait-il? Il s’annonçait alors comme "le meilleur de la planète" avec la volonté de devenir "le meilleur de l’histoire". Il n’a pas été loin du premier à son apogée. Mais comment prétendre au second quand on n’a jamais défendu une seule fois une ceinture à l’UFC? Dans les sports de combat, on dit souvent qu’un vrai champion est un champion qui a défendu son titre. Avec cette définition, il ne l’a jamais été. Mais son pouvoir d’attraction reste plus important que celui de n’importe quel autre membre de l’UFC.
Que cherche-t-il encore?
"Il reste le combattant le plus populaire, celui qui fait le plus de ventes en pay-per-view, appuie Alex Morgan, combattant québécois lui aussi présent sur la carte de l’événement Hexagone MMA 1. Il a perdu un peu de hype du côté de monsieur et madame tout-le-monde mais la communauté du MMA a très hâte de le voir dans la cage." S’il s'incline samedi, une deuxième défaite de rang inédite dans sa carrière (il n'a également jamais perdu deux fois contre le même adversaire, ce qui serait le cas avec Poirier), les ambitions de nouveau titre seront rangées au placard. Mais la poule aux œufs d’or n’aura pas disparu. Pour ceux qui lui font face, et Poirier vient de le prouver, il reste plus important qu’une ceinture. Il est toujours LE money fight. Dana White dit même que l’UFC 264 est le pay-per-view avec le plus de préventes de l’histoire de la compagnie. Vu la source, on n’est pas obligé de le croire (il lâche très souvent des choses comme ça). Mais vu qu'il s'agit de Conor, responsable des six pay-per-views les plus vendus de l'histoire de l'UFC, ce n'est pas impossible non plus. Il y aura donc encore de quoi faire pour lui.
La trilogie contre Nate Diaz, possibilité qui fait le plus de sens, un rêve pour fans contre Jorge Masvidal voire un retour à la boxe – il continue de laisser la porte ouverte à une revanche contre Mayweather mais la perspective de le voir affronter Manny Pacquiao est morte, sa société de représentation Paradigm Sports Management attaquant le Philippin en justice pour rupture de contrat, et il n’a pas dit non à terme aux frères Jake et Logan Paul, les YouTubeurs stars qui se sont lancés dans le noble art: "Il ne faut jamais dire jamais. Si ces idiots continuent à combattre, qui sait?" – sont autant de voies empruntables en cas de nouveau revers contre Poirier. Il y aurait aussi, sans doute à plus long terme, la possibilité du catch et de la WWE, comme l'a fait Ronda Rousey ces dernières années. Que cherche-t-il encore? Si c’est l’argent et son objectif annoncé du milliard de dollars en carrière, elles seraient tout aussi efficace que de se battre pour une ceinture. Si c’est l’immortalité sportive, seule une victoire et un titre iront dans ce sens.
L’homme a "des erreurs à corriger" (son approche technique du dernier combat, en posture de boxeur, est notamment à revoir, tout comme sa gestion des coups de pied adverses), "des tactiques à préparer" et "ce feu en (lui)" est ce qui "(l)e fait (s)e lever le matin". Reste à prouver. "Je pense qu’il va être capable de ressusciter l’intérêt du grand public", estime Gaël Grimaud. "Il reste un très bon combattant, extrêmement précis, avec de bonnes mains, fort mentalement, un modèle de persévérance et un athlète exceptionnel qui a porté l’UFC à un autre niveau, rappelle Alex Morgan. S’il a vraiment pris ce combat au sérieux, et je pense que c’est le cas, il a des chances de battre Poirier. Mais s’il y a juste eu du plaisir, comme dans le dernier combat où il est arrivé en yacht, bien relax, qu’il ne s’est peut-être pas préparé comme il l’aurait dû, Poirier va gagner."
A ses débuts à l’UFC, McGregor avait lâché une phrase qui prend un autre sens avec le recul: "Être un vainqueur peut vous emporter, surtout à l’UFC avec toute cette lumière médiatique, les gens qui veulent un autographe ou une photo. Cela peut vous faire sentir plus grand que vous ne l’êtes. Il ne faut pas avoir d’ego dans ce jeu." Le sien lui a longtemps servi à tout exploser sur sa route. Désormais, dans sa quête de retrouver la gloire sportive, il lui joue peut-être des tours.