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UFC: Kamaru Usman, au nom du père

Il lui avait caché ses débuts en lutte. Mais il a tout fait pour lui permettre de suivre ses débuts à l'UFC depuis la prison où il était enfermé. Focus sur la relation entre Kamaru Usman et son père, sans qui le champion des welters de l'UFC, qui défend sa ceinture ce week-end face à Gilbert Burns lors de l’UFC 258 (en direct et en exclusivité à partir de 4h dans la nuit de samedi à dimanche sur RMC Sport 1), ne serait pas devenu ce qu'il est devenu.

Colby Covington, son plus grand rival, en avait fait une punchline. Lors d’une conférence de presse fin 2018, l’Américain avait chambré Kamaru Usman – prénom complet : Kamarudeen – en lui intimant de "rester sur les chaînes basiques du câble" car il n’était "pas assez populaire pour les pay-per-views". La formule du combattant pro-Trump avait fait sourire. Mais elle était loin de viser juste. Si on peut débattre des difficultés du champion des welters de l’UFC à vendre une carte sur son nom, qui pourraient se vérifier ce week-end à l’UFC 258 avec son combat pour le titre contre son ancien partenaire d’entraînement Gilbert Burns, la véritable raison de son absence des pay-per-views lors de ses trois premières années à l’UFC est tout autre.

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Elle se résume en un mot: papa. Du printemps 2015 à fin 2018, et si l’on inclut les deux premiers tours de l’émission The Ultimate Fighter, le "Nigerian Nightmare" – surnom emprunté à l’ancien joueur NFL Christian Okoye, qui a déposé la formule mais lui a donné sa bénédiction pour l’utiliser – a combattu onze fois à l’UFC. Sans jamais connaître la défaite. Mais jamais en pay-per-view. Illogique? Tout l’inverse. Celui que son coach de lutte au lycée avait appelé "Marty" car il n’arrivait pas à prononcer son prénom en avait lui-même fait la demande à l’UFC, conscient que le Federal Correctional Instiution de Seagoville, au Texas, ne dépenserait pas pour un paiement à la séance.

Le rapport? Cette prison était celle où était écroué Muhammed Nasiru Usman, son père. Là où ce dernier a pu (et dû) suivre les débuts de son fils à l’UFC. Là où chacun des combats de Kamaru dans la principale organisation de MMA faisait exploser l’affluence dans la salle télé où les six postes, disponibles de six heures du matin à minuit les vendredis et samedis, étaient alors tous allumés sur le même programme et où "le niveau de bruit approprié" réclamé par l’institution dans ce cadre était chaque fois largement dépassé. "Honnêtement, je ne peux pas citer quelque chose qu’on attendait plus que ça. Rien ne pouvait remplacer ça", confie Dee Rays, prisonnier à Seagoville entre 2007 et 2013 et entre 2017 et 2020, dans un article pour ESPN.

"Sentiment de fierté"

Muhammed Nasiru Usman n’a vu son fils combattre en personne que trois fois, en lutte, lors des championnats d’Etat du Texas pendant sa dernière année de lycée, lors d’un meeting pendant sa troisième année d’université et lors des championnats nationaux universitaires de Division II en 2009. Il l’a beaucoup plus vu combattre sur les écrans de la prison, où Kamaru avait appris l’existence de la salle vidéo lors d’une de ses premières visites. Muhammed ne lui a jamais demandé de pousser l’UFC à le laisser loin des pay-per-views pour lui permettre d’en profiter. Mais son fils savait combien sa présence même cathodique pourrait lui faire du bien. "Quand vous êtes dans un endroit comme ça, il est facile d’avoir le sentiment d’être un banni et que personne en dehors ne se soucie de vous ou ne vous attend, témoigne le champion des welters, toujours invaincu à l’UFC (12-0, 17-1 en carrière). Être capable de faire quelque chose que tout le monde pouvait voir en prison, quelque chose qu’il pouvait montrer aux autres, et de pouvoir apporter ça à mon père me donnait un sentiment de fierté."

Au nom du père. L’homme trop souvent éloigné de lui mais sans qui il ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. Son "héros", comme il le résume. Militaire au Nigéria, Muhammed quitte le pays pour les Etats-Unis en 1989, quand Kamaru a deux ans. Le paternel est parti à Dallas, au Texas, pour des études de pharmacien, ambitieux pour lui comme pour l’avenir de sa famille, qu’il compte retrouver ensuite. Les trois fils Usman, Kash, Kamaru et Mohammed, sont élevés par leur mère, Afishetu, enseignante pour les petits tout en gérant une sorte d’épicerie. Six ans plus tard, alors qu’il n’est pas revenu une seule fois entretemps, se contentant du téléphone et de lettres (sans oublier d’envoyer de l’argent ou… une console Nintendo que ses trois fils ne pouvaient faire marcher par manque d’électricité), son père choisit plutôt de ramener sa famille sur le sol américain pour "donner à (s)es enfants un meilleur avenir".

"Fils, mais qu'est-ce que tu fais à la télé?"

Kamaru, qui "ne (s) souvenai(t) plus vraiment de lui", le retrouve à huit ans. Papa Usman, qui vit d’abord avec sa femme et ses trois enfants dans un appartement à une chambre avant de pouvoir se payer une maison, travaille beaucoup et ne peut pas passer beaucoup de temps avec lui mais leur relation est forte. Ce qui n’empêche pas le futur combattant UFC de… cacher à ses parents sa décision de se mettre à la lutte lors de sa deuxième année au lycée Bowie High School (Arlington, Texas). Son grand frère, Kash, a choisi le football (le nôtre). Son petit frère, Mohammed, préfère le football américain. Pour Kamaru, ce sera la lutte. Mais quand il l’annonce à son père, la réaction est immédiate. "Il m’a dit: 'Quoi? Comme Stone Cold Steve Austin (star de la WWF, ancêtre de la WWE, plus grosse organisation de catch professionnel, ndlr)?, s’amuse le champion des welters dans un film UFC Chronicles disponible sur le Fight Pass de l’organisation américaine. J’ai dû lui dire que je n’allais pas me battre avec des chaises!"

Kamara Usman (à gauche) avec sa fille Samirah et son père Muhammed
Kamara Usman (à gauche) avec sa fille Samirah et son père Muhammed © DR

Il tente de le rassurer. Mais il n’arrive pas à le convaincre. "Quand il m’en a parlé, je n’aimais vraiment pas ça", confirme le paternel. "Je ne leur ai donc pas dit", poursuit son fils. Le subterfuge marche jusqu’à son avant-dernière année lycéenne. Mais sa mère va finir par l’apprendre. "Il y avait un tournoi de la ville qui était télévisé et elle est tombée sur moi alors qu’elle zappait entre les chaînes, raconte Kamaru. Elle m’a dit: 'Fils, mais qu’est-ce que tu fais à la télé?' J’ai dû lui expliquer." La mère en parle au père. Qui finit par venir voir son fils en action: "Les gens me demandaient: 'Vous êtes le père de Kamaru?' J’avais un peu honte d’avoir été absent pour ses combats." Muhammed partage désormais la passion de son fils avec lui. Ambitieux, il va aussi changer de vie et quitter son job dans une pharmacie pour ouvrir une compagnie d’ambulances. Sa société marche, et plutôt bien, mais la justice va s’en mêler.

"Des meurtriers prennent moins"

A l’été 2009, une équipe du SWAT américain vient arrêter Muhammed, accusé de multiple fraudes à l’assurance-maladie via son entreprise. Papa Usman explique encore aujourd’hui que le problème venait de la société de facturation recrutée pour sa compagnie. Persuadé de son innocence, il refuse l’accord proposé par la justice. Onze mois plus tard, en mai 2010, alors qu’il est resté emprisonné dans l’intervalle car pas libérable sous caution, la sentence tombe: sans ressources ou presque (ses comptes ont été gelés), il doit se contenter d’un avocat commis d’office et le jury le reconnaît coupable de quatorze charges fédérales et le condamne à 180 mois de prison et à la restitution de 1,3 million de dollars. "Des meurtriers prennent moins, s’insurge toujours aujourd’hui son fils. Comment peut-on justifier de lui donner autant de temps?"

Un mois plus tôt, Kamaru a remporté en lutte le titre national universitaire de Division II. Sa carrière sur les bancs de la fac prend fin mais la suite se fera sans son père, coincé entre quatre murs. "Il n’avait jamais vraiment été là pour me voir en compétition, rappelle le combattant UFC, mais là, ils me l’ont pris, il ne pouvait plus venir me voir même s’il en avait envie. Ça a fait grossir le feu en moi." Lors de la première visite de sa famille, tout le monde fond en larmes. Et le futur champion des welters de l’UFC prend la plume pour lui écrire une lettre que son père possède toujours: "Ne laisse jamais la famille te voir pleurer". En 2012, après avoir vu Kamaru dire adieu à son rêve olympique en lutte en raison de blessures, Muhammed va être celui qui adoube son choix de se lancer vers le MMA.

"J'ai vu la vie qui revenait en lui"

La scène se passe derrière une vitre d’un centre de détention de Dallas, où son père est alors emprisonné. "Il avait sur son téléphone une vidéo d’entraînement, de sparring, qu’il m’a montrée, raconte papa Usman. Je lui ai dit que ce n’était pas ce que je souhaitais pour lui mais je lui ai donné ma bénédiction si c’était vraiment ce qu’il voulait faire." "Ça voulait dire beaucoup pour moi et c’était aussi un moyen de le garder dans la boucle, de lui montrer qu’il avait toujours la main sur sa famille", explique Kamaru. Pour vivre son rêve et devenir un combattant de MMA complet, le lutteur rejoint la Floride et la salle des Blackzilians. Qui l’incluent dans leur effectif pour l’émission The Ultimate Fighter au printemps 2015, moins de deux ans et demi après ses débuts professionnels (novembre 2012).

Kamaru a une motivation en plus sur les autres : il sait que son père va pouvoir le voir sur les écrans de la prison de Seagoville. "J’étais hyper nerveux avant son premier combat, se souvient Muhammed. Mais après, les autres détenus sont venus me féliciter et me dire que mon fils serait un jour champion." "J’ai vu le changement, l’excitation, la vie qui revenait en lui, sourit Kamaru. Je ne peux même pas expliquer combien ça m’a apporté mentalement. C’était déterminant dans tout ce que j’ai fait à partir de là. J’étais capable d’apporter à mon père une chose à laquelle s’accrocher. Et il pouvait partager ça avec ceux avec qui il passait ses journées." Usman remporte l’émission, avec une victoire par soumission sur Hayder Hassan en finale, et le contrat UFC qui va avec. Sa première demande? "Rester sur les chaînes basiques du câble", comme dirait Covington, pour permettre à papa de le voir.

Les gardiens de prison font un live

Le garçon domine la concurrence et enchaîne les victoires. Après neuf de suite à l’UFC, l’organisation ne peut que lui offrir un combat pour le titre contre le champion Tyron Woodley, en mars 2019 lors de l’UFC 235. Problème? Ce sera forcément en pay-per-view. Et Muhammed ne pourra pas le voir dans sa prison. "Si j’avais pu, je leur aurais dit de ne pas le mettre en pay-per-view, confirme Kamaru. Je voulais tellement qu’il puisse voir ça… Mais même s’il n’était pas physiquement avec moi, je sentais son esprit autour de moi." A Seagoville, les gardiens tiennent au courant Muhammed et les autres détenus de l’évolution du combat. Où Usman signe une nouvelle démonstration pour monter sur le trône des welters. Sa mère, sa femme et sa fille Samirah, née en 2014, montent dans l’octogone pour célébrer avec lui.

Kamaru Usman (de face) lors de sa victoire sur Tyron Woodley pour le titre des welters de l'UFC en mars 2019
Kamaru Usman (de face) lors de sa victoire sur Tyron Woodley pour le titre des welters de l'UFC en mars 2019 © AFP

Son père, lui, savoure de loin. En pleurant. De retour au vestiaire, Kamaru peut lui parler au téléphone. "Je pouvais ressentir sa joie au bout du fil. C’est un moment que je n’oublierai jamais." Et son père de s’en amuser: "Ça m’a rendu encore plus populaire en prison". Quinze jours plus tard, le nouveau champion des welters raconte l’histoire de son père pour la première fois dans le podcast de Joe Rogan. Un avocat l’écoute et décide de l’aider à accélérer le processus de liberté conditionnelle. Le 5 février 2020, près de onze ans après son arrestation et deux mois après la victoire de son fils par TKO sur son rival Colby Covington pour la première défense de son titre, Muhammed est libéré et retrouve les siens. Il peut embrasser sa femme, ses enfants, découvrir enfin sa petite-fille et assister à la demande en mariage de son fils Kash à sa compagne Jasica.

"Je saisis encore mieux l’importance de sa présence dans nos vies. Le voir à la maison représente tout pour moi", savoure Kamaru. Qui a aussi mieux compris son rôle de père en traversant de telles épreuves: "Être père est plus important que tout ce que je peux réussir d’autre dans ma vie. Plus important que n’importe quelle médaille ou n’importe quelle ceinture." Reste désormais à accomplir un rêve: combattre dans l’octogone avec son père à ses côtés. Il aurait adoré pouvoir le faire en juillet dernier pour sa deuxième défense (victorieuse) de la ceinture, face à la star Jorge Masvidal, mais la pandémie qui a bousculé nos modes de vie en a décidé autrement, l’obligeant à rester dans la bulle de Fight Island à Abu Dhabi alors que ses parents regardaient le combat depuis le Texas. Ils seront sans doute à Las Vegas, cette fois, pour l'UFC 258. Kamaru Usman pourra bientôt enfin partager tout ça avec lui. A coup sûr sa plus belle victoire.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport