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Doc RMC Sport - Un ancien Barjot témoigne de la stratégie déroutante du sport au Qatar

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DOCUMENT RMC SPORT. Gaël Monthurel, ancien pivot des Barjots de Daniel Costantini, s’est exilé au Qatar en 2012 pour entraîner des équipes de jeunes. Il confie à RMC Sport le peu d’engouement du Qatar pour le handball malgré l’organisation actuelle du Mondial, la qualification du pays-hôte pour les quarts de finale de la compétition ainsi que la stratégie sportive de l’émirat, tournée vers la Coupe du monde 2022 de football.

Quelle est la place du handball au Qatar ?

Il n’en a aucune, à part le foot ici… Le handball ne va exister que le temps du championnat du monde. Le Qatar n’est pas très développé sur le plan handballistique, il y a très peu de clubs, seulement dix dans le championnat local. Et, on voit que pour bâtir une équipe nationale, ils ont recruté une quinzaine de joueurs étrangers.

Justement, on a plus l’impression de voir un club qu’une sélection…

Ils ont utilisé les règles de la Fédération internationale de handball (IHF), c’est-à-dire qu’un joueur n’ayant pas fait de compétition internationale pendant 3 mois, peut changer de pays. Il y a 3 ans, ils ont commencé à approcher des joueurs. Je me rappelle qu’à ce moment-là, certains joueurs refusaient de jouer avec leur sélection nationale, car ils étaient en pourparlers avec le Qatar. Ce dernier a des moyens énormes, difficiles à refuser.

Le Qatar a-t-il beaucoup communiqué sur ce Mondial de handball ?

Non, très peu. On voyait que l’organisation se mettait en place, et on la sent énormément depuis une quinzaine de jours. Toute la ville, les immeubles… On a l’impression que c’est les Jeux Olympiques. Depuis juin dernier, les joueurs de la sélection qatarie ne jouent plus en club, ils sont totalement détachés. Les Qataris veulent démontrer qu’ils sont capables d’accueillir de grosses compétitions sportives, et tout ça pour se roder en vue de la Coupe du monde 2022 de football. Ils veulent surtout que ce Mondial de handball soit une réussite, quitte à payer des gens pour venir faire les pseudo-supporteurs.

Comment les Qataris intéressent les jeunes du pays au handball ?

Ils ont très peu de jeunes qui pratiquent le handball, mais aussi du sport en général. Donc pour attirer des jeunes, ils les paient. Les jeunes touchent un petit salaire ou des primes pour les matches. Pour les 15-16 ans, ils font venir des joueurs étrangers, notamment de Bosnie, du Monténégro, de Tunisie et d’Egypte. Ces jeunes sont totalement déscolarisés, ils touchent de l’argent. Leur seul espoir, c’est d’être pris en équipe nationale. Dès lors, ils deviennent automatiquement qataris, continuent avec l’équipe nationale senior et touchent encore un salaire. Les équipes de jeunes au Qatar ne comptent que des étrangers. Bien sûr, les joueurs qui ne sont pas pris en équipe nationale, dehors.

Comment recrutent-ils ces joueurs étrangers ?

Ils ont des recruteurs en Bosnie, au Monténégro, en Tunisie et en Egypte. Ce sont des gamins qui sont déscolarisés à qui on offre l’opportunité de gagner autour de 1 200€/mois. Pour des gamins de 15 ans, c’est énorme. Pour eux, c’est un eldorado, ils prennent donc le risque de venir. Mais c’est une catastrophe : quand ils repartent, ils n’ont rien fait sur le plan scolaire et au niveau du hand, ils ont plus régressé qu’autre chose. Ils n’ont aucun avenir.

C’est facile d’entraîner ces jeunes venus de différents pays et bien payés ?

On essaie de travailler pour les faire progresser. Mais, il y a un gros problème au Qatar, on n’a pas le temps de travailler. Il faut des résultats immédiatement. Si on n’a pas de résultats, ça se termine, et très vite. Même moi qui ai gagné la Coupe-Championnat, ils ont arrêté mon contrat, sans aucune raison valable. Non, ce n’est pas facile. Les jeunes pros viennent à l’entraînement parce qu’ils sont obligés et les Qataris ne viennent pas toujours. Des fois, ils apparaissent à l’entraînement que les jours de matches ou quand c’est le jour de la paie.

Demande-t-on aux entraîneurs de clubs et aux sélectionneurs de faire jouer en priorité les joueurs qataris ?

Dans la sélection senior, je crois qu’il n’y a que 3 ou 4 joueurs qataris. Dans les équipes jeunes, il doit en avoir un. Non, on n’a pas l’obligation de faire jouer des joueurs qataris. Mais ils trouvent des obligations, en disant par exemple : « Pendant le match, tous les joueurs doivent jouer au moins 5 ou 10 minutes. » Je pense que le Mondial ne va pas avoir suffisamment d’impact pour générer de la passion derrière. A la cérémonie d’ouverture, il n’y avait personne. Beaucoup de sélections jouent dans des salles vides. Mais, les Qataris sont capables de mettre du monde dans des bus, de mettre des ouvriers dedans et de les payer. Ça fonctionne comme ça. Ce qu’ils veulent, c’est que les gens voient que le Qatar ait capable d’organiser des compétitions.

L’organisation de toutes ces compétitions, c’est pour se roder ?

Tout à fait. Quand je suis arrivé à Doha en 2012, je vais discuter avec le directeur technique. Je lui dis : « c’est bien, le championnat du monde va développer le handball ici. » Il m’a répondu : « on s’en fout du championnat du monde de hand, ce qu’on veut prouver, c’est qu’on est capables d’organiser. »

Ce Mondial de handball est pourtant un message spectaculaire ?

Oui, mais il ne va servir à rien. L’engouement pour le handball au Qatar est très faible. Quand tu joues, tu fais 200-300 spectateurs, qui ne sont d’ailleurs que des handballeurs. Pour les gros matches, ils font venir des ouvriers pour remplir la salle, ces ouvriers ne connaissent même pas le hand. Ils ne savent même pas quelle équipe joue. On leur donne un tee-shirt de l’équipe qui joue, ils tapent dans leurs mains et c’est tout. Tout est mis en place pour prouver qu’ils sont en mesure d’organiser la Coupe du monde de football 2022. Et c’est vrai qu’ils en sont capables. Quand on voit la démesure des salles qu’ils ont construites pour le Mondial de handball… Alors qu’il y avait déjà 3 ou 4 salles qui auraient largement suffi, devenues pour l’occasion des salles d’entraînement. Alors imaginez ce que ça va être pour le foot.

Et, le niveau d’infrastructures des clubs du championnat local ?

Il y a 3 ou 4 salles à Doha que des clubs de D1 française rêveraient d’avoir, des salles magnifiques à 2 500-3 000 places. Où il n’y avait rien à refaire, même pas un coup de peinture. Je me demande à quoi ça va servir après. Ils sont capables de les raser.

Le Qatar possède le PSG Handball. On en parle ici ?

Oui, puisque le PSG Handball vient une fois par an faire ici une tournée. Mais on parle surtout du PSG de Laurent Blanc, une tête de pont dans le football en Europe. Les Qataris adorent le foot, même si ça s’arrête plus ou moins au Real Madrid et au FC Barcelone. Ils parlent du PSG foot, ils en sont fiers. Comme on dit ici, c’est le Qatar Saint-Germain.