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Olivier Létang à Nice le 10 novembre 2024

Olivier Létang à Nice le 10 novembre 2024 - Pascal Della Zuana/Icon Sport

"Ego surdimensionné", Gestionnaire d'exception... Olivier Létang, l'hyperprésident qui bouscule le foot français

Ce vendredi, le président du LOSC Olivier Létang fête ses 52 ans, au cours d’une saison pour le moment très bonne pour son club. Il n’y est évidemment pas pour rien, son travail abattu depuis presque quatre ans est colossal. Même si sa manière de faire peut brusquer, voire blesser.

Dans les couloirs de Geoffroy-Guichard, alors que le LOSC vient de s’incliner 1-0, Olivier Létang fulmine devant le vestiaire. Mains dans les poches, le pas lent, il prend le temps de redescendre, de souffler pour ne pas dire un mot trop haut, ne pas exagérer. "Oui je vais venir m’exprimer, dire ce que j’en pense", répond-il, crispé, à un confrère. Il n’accepte pas cette défaite contre le promu, alors que son équipe est qualifiée en Ligue des champions et vit un début de saison plus que correct. Quelques minutes plus tard, il se présente face aux micros et dit sa "honte". Une scène déjà vue plusieurs fois, car le président a l’habitude des sorties médiatiques post-match, que le résultat soit bon ou mauvais. Il le sait, parfois c’est trop, mais Olivier Létang se laisse guider par son caractère assoiffé de victoire. "Je suis excessif", admet-il. Gagner ou perdre, vivre ou mourir… Une volonté sèche de réussir qui lui a toujours permis, comme sur son actuel passage à Lille, d’obtenir des résultats (championnat de France, Coupe de France, Coupe de la Ligue, Trophée des Champions). "Son obsession, c'est la performance et sur tous les critères. Tout doit être focalisé sur gagner des matchs. Il faut que tout soit parfait : la diététique, la vidéo, la mise au vert. Il ne laisse passer aucun détail", annonce Christophe Chenut. Les deux hommes ont une relation longue de 26 ans. Elle date de l’époque où Chenut, alors président de Reims, en CFA2, est contacté par Olivier Létang, alors au Mans (D2). "Il me dit qu’il veut venir jouer chez nous, car sa future femme est à Reims et qu’il a un diplôme de commissariat au compte à 24 ans." Chenut hésite, accepte, le recrute et le rémunère alors comme comptable. "Mais il avait un niveau supérieur à un comptable donc je lui ai dit qu’il serait finalement directeur administratif et financier. Il faut imaginer qu’Olivier négociait du côté administratif avec son entraîneur qui était son patron sur le terrain. C’est un joueur qui n’a jamais fait la sieste de sa vie, il ne sait pas ce que c’est."

Des succès sportifs partout

Olivier Létang dort peu, encore aujourd’hui. L’envie de réussir est déjà débordante et elle n’a pas changé. De ses passages à Paris, Rennes et Lille, Létang a toujours apporté son implication extrême. "Il est exigeant, c’est quelqu’un qui est actif et efficace pour trouver les complémentarités entre les personnes, expose l’ancien gardien Rennais Romain Salin, qui a de bonnes relations avec son ancien président. Il voit vite quelles sont les qualités et les défauts." Pas étonnant lorsqu’on sait que l’intéressé fait tous les déplacements avec l’équipe professionnelle. Et peu importe si l’avion du retour atterrit à 5h du matin, il est au bureau à 9h. Olivier Létang aime maîtriser les choses, les organiser.

Sa vision est claire et efficace :  à Rennes (2017-2020), il a marqué les esprits. Son passage au club correspond au début de changement d’ère, avec la victoire en Coupe de France en 2019. Il a dynamisé le SRFC, amené son énergie. Il a semé la graine, organisé les services pour mieux réussir. "C’est quelqu’un de travailleur qui sait jouer d’un réseau et l’entretenir, il est capable de ça et c’est une preuve d’intelligence", pense Romain Salin. A Lille, le Manceau essaie d’amener la même recette. "Il a une vision globale de la gestion d’un club, qui ne se limite pas qu’au terrain ou qu’aux finances... Tous les autres départements du club ont leur importance, loue Sandrine de Castro, son assistante au LOSC. Il a compris que tout doit tourner en parfaite symbiose pour une réussite totale." Un président "très présent, accessible et proche des salariés", ajoute sa collègue. Un patron qui a le sens du détail : dans son mail de félicitations adressé aux équipes du LOSC après la qualification en Ligue des Champions, le slogan du club (Fier, Force, Férocité) est en rouge. Il le termine par une citation de Winston Churchill : "l’Histoire me sera favorable, car j’ai l’intention de l’écrire."

Suivi par Leonardo

Un homme aussi proche des joueurs et du vestiaire, toujours très intéressé par le sportif, même si son rôle l’oblige à prendre de la hauteur. "Il nous faisait réunir les cadres dans son bureau toutes les semaines pour transmettre les valeurs, mettre un cadre dans le vestiaire", se souvient Salin. Très franc avec eux, notamment lorsque quelque chose lui déplaît. Capable d’aimer, beaucoup, et de recadrer, très fort. Le président s’est servi de son passage comme directeur sportif au PSG, de 2012 à 2017, dans un environnement peuplé de stars. Il y a côtoyé Leonardo, qui estime avoir eu de l’influence dans sa carrière. Les deux hommes sont restés en contact et le Brésilien suit de près la trajectoire de son ex-collègue. Durant sa période parisienne, il nouera aussi une relation très forte avec Thiago Motta avec qui il refait régulièrement le monde du football au travers d’interminables discussions. "Si le LOSC se retrouve là où il est c’est grâce au travail d’Olivier Létang", avait même lâché dans la presse l’actuel entraineur de la Juventus avant la rencontre face à Lille. Grâce à son abnégation. Olivier Létang a du mal à concevoir que certains n’aient pas la même implication. "Je suis très dur envers moi-même", glisse-t-il. Il écoute, aussi. "Il prend en compte les conseils d’un certain nombre de personnes en qui il a une totale confiance, des personnes qu’il consulte dès qu’un sujet le justifie, explique son ami Christophe Chenut. Il est entouré de gens avec lesquels il travaille depuis très longtemps." Ceux qui le connaissent de très près n’hésitent d’ailleurs pas à le qualifier d’"humain" dans sa manière d’être.  "C’est une personne impliquée et intéressée par les autres, appuie Sandrine de Castro, qui le côtoie au quotidien. Lorsqu’il est arrivé ici, une de ses précédentes assistantes m’a téléphoné pour me dire que j’avais beaucoup de chances de pouvoir travailler avec lui, et elle avait mis en avant son côté très humain." Ce n’est pourtant pas la caractéristique première soulevée par certains de nos interlocuteurs.

Le "Roi Soleil"

Car si son bilan sportif est indéniable, ses passages ont laissé quelques traces. Pour résumer : un camp l’aime pour sa capacité à tirer un club vers le haut, un autre regrette ses méthodes. Cela dépend aussi, parfois, des expériences personnelles de chacun. La personnalité du patron divise. Et sa capacité à s’immiscer dans les dossiers froisse. "Il aime briller et par certains côtés, il est aussi brillant. Mais il anticipait un peu trop les démarches et c’est un peu dérangeant", regrette un ex-salarié du SRFC. Comme court-circuiter les recrutements. "J’ai commencé à montrer que je n’étais pas vraiment d’accord puis il m’a convoqué. Il aime briller, il faut qu’on parle de lui, qu’on reconnaisse qu’il a fait beaucoup de choses", abonde un autre. A Rennes, certains sourient en rappelant qu’il s’était fièrement promené avec la Coupe de France dans toute la ville pendant une semaine. "Un ego surdimensionné" raillent certains. A Rennes encore, après une victoire contre Astana et une qualification pour les 16es de finale de Ligue Europa, il aurait par exemple, avant de féliciter l’entraîneur Julien Stéphan, lâché cette phrase : "Je le savais, j’ai toujours passé les poules."

Le président de Lille, Olivier Létang, en mai 2024
Le président de Lille, Olivier Létang, en mai 2024 © Icon Sport

Ses détracteurs ont par ailleurs tous un point commun : ils préfèrent parler "en off", comprendre ne pas être cités. "Je ne sais pas qui n’a pas de mal avec lui, accuse même un proche de joueur ayant évolué sous sa présidence. Mais comment veux-tu critiquer quelqu’un si le club est sain ? Le critiquer sur ça serait malvenu, mais l’homme..." D’autres estiment qu’il "aime avoir sa petite cour autour de lui". "Il a des compétences et des qualités peut-être. Mais c’est quelqu’un qui a besoin de s’immiscer un peu trop, grince un ancien entraîneur. Il prend de haut, il pense en savoir plus que tout le monde, mieux savoir. Certains personnages comme ça ne savent pas rester dans l’ombre, ils préfèrent rester dans la lumière."

Arrêts maladie, flamme olympique et labrador

Une des personnes interrogées l’appelle "le Roi Soleil." Dans le Nord, pour illustrer sa manière d’être, des observateurs donnent même l’exemple de la place prise par... son labrador. Qui se balade allègrement dans les bureaux du club, à la cantine, et a même déjà chipé une coupelle en plein entraînement sur la pelouse. Il a aussi porté la flamme olympique, devant les caméras, alors qu’il n’a pas libéré ses joueurs pour les JO... Létang prendrait donc trop de place? " Il doit aussi progresser sur des points, convient Romain Salin. Il en est assez conscient, mais comme c’est un gros travailleur, il a aussi un ego très fort, car il veut gagner et être sur la couverture. Mais il faut être le meilleur." Il est à l’aise quand il communique et Létang le sait. Après la victoire contre Bologne en Ligue des champions, il est de nouveau venu exprimer sa fierté. Il veut d’ailleurs maîtriser la communication du club, a un regard sur les rares prises de paroles de ses joueurs ou entraîneurs hors conférence de presse. Il sait orienter son discours où les personnes qui s’approchent de lui dans une direction qui, au fond, finira par lui servir.

Olivier Létang fatigue, aussi. A Rennes ou Lille, des salariés se sont mis en arrêt maladie, usés. Et sa réputation sur la pression mise au quotidien n’est plus à faire. "Je pense avoir beaucoup progressé dans le management", répond pourtant l’intéressé. Sandrine de Castro, elle, forcément, atténue: "A son poste, il est essentiel d’être exigeant. Je dirais plutôt qu’il analyse pourquoi cela n’a pas fonctionné, quelles ont été les raisons de l’échec. Il sait tirer les leçons des échecs et faire en sorte que cela ne se reproduise pas." Létang se dit "dingue" du travail en équipe. Christophe Chenut ajoute : "Il y a des personnes comme ça qui vont plus vite, qui bossent plus. Et je lui dis ‘tu ne peux pas demander à tout le monde d’aller à la même vitesse que toi’. Il faut accepter que tout le monde n’ait pas forcément la même capacité à aller si vite, si loin. Ce n’est pas évident. Certains ont pu s’exprimer de façon dure à son égard car pour y arriver, il pousse des gens dans leurs retranchements, met en place des structures et parfois ça froisse des égos."

Fan du Barça de Cruyff et de Coldplay

Des entraîneurs, eux, s’y sont confrontés. Comme Paulo Fonseca, qui n’avait pas du tout apprécié une réunion organisée par le président avec les joueurs, sans en informer un seul membre du staff, et a tenté de l’écarter doucement du vestiaire. Pas facile de se faire sa place comme coach sous sa tutelle. Sabri Lamouchi ou Christian Gourcuff, à Rennes sont partis fâchés. Son éviction du club en 2020, liée à une gestion critiquée et des relations détériorées au SRFC, est d’ailleurs l’une des grandes cicatrices d’Olivier Létang. "C’est le seul président qui a été limogé, raille l’un de ses anciens coachs. On parle toujours des entraîneurs mais pas des présidents." A Lille, Christophe Galtier et Paulo Fonseca, eux, ne l’ont pas adoré. "Mais je trouve que ce qui est bien, c’est qu’on a le droit de donner son avis, il nous laisse la possibilité de communiquer, défend Romain Salin. Il est très proche des joueurs, certainement que ça peut parfois faire peur à un entraîneur. Je me rappelle que parfois il y avait des interventions avant le discours de l’entraîneur. Il faut juste bien se caler avec l’entraîneur pour que les discours se complètent, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour moi il avait cette marge de progression." Il en a marqué certains et des joueurs cadres rennais lui avaient personnellement envoyé un message lors de son éviction en février 2020, regrettant son départ.

Avec le temps, Olivier Létang a pris conscient de ses défauts et y pense peut-être lors de ses rares moments de déconnexion, lorsqu’il fait de la course à pied ou du vélo, deux de ses passions. Ou en écoutant Coldplay, l’un de ses groupes préférés. "Je suis un laborieux", sourit celui qui, fan du Barça de Johan Cruyff, a une photo du Néerlandais au-dessus de son bureau. Létang trace sa route, en plaçant l’intérêt du club au-dessus de tout. La pelouse n’est pas en bon état ? Le club ne paye pas les loyers à la Métropole Européenne de Lille, le conflit s’enlise et les salariés de la "MEL" ne viennent plus au stade. "Je veux le meilleur pour mon club, je vais tout faire pour le protéger." Peu importe, tant que le LOSC tourne. Il en tire sa gloire personnelle, c’est vrai, et n’hésite d’ailleurs pas à rabâcher sa fierté, en 2021, d’avoir gagné le trophée de meilleur président d’Europe décerné par le journal Italien Tuttosport.

"Il ne se planque pas"

Il faut rentrer dans son cercle proche, qui l’accompagne de club en club, pour le comprendre parfaitement. Briser ce qu’il appelle sa "carapace", nécessaire dans ce milieu. Comprendre pourquoi, partout où il passe, il gagne. Et partout où il passe, le club est sain. Car les résultats financiers aussi, sont bons, avec Olivier Létang. "A la DNCG, ils étaient hallucinés car c’était un joueur qui leur présentait les comptes, se souvient Christophe Chenut, époque Reims. On n’a jamais perdu d’argent, il n’y a pas une saison où on a rendu des comptes déficitaires. A Reims, c’était mon garde-fou. C’est un très bon gestionnaire, un très bon négociateur." Aujourd’hui encore, les membres de la DNCG le considèrent comme l’un des tous meilleurs gestionnaires. A Lille, il a réussi à éponger la dette qui s’élevait à près de 270 millions d’euros. Allier sport et business, deux caractéristiques essentielles aujourd’hui, encore plus en période de vache maigre économique, est sa grande force. Le président du LOSC possède d’ailleurs un diplôme en management et gestion financière à l’ESSEC.

Olivier Létang a déjà été invité à venir témoigner de son expérience professionnelle devant des chefs d’entreprise de PME. L’un d’eux a un souvenir de sa prise de parole : "C’est quelqu’un qui a discours de dirigeant, avec un discours construit. Il donne sa vision stratégique, développe son plan opérationnel pour atteindre son objectif. Il est assez sûr de lui, c’est clair, il dégage de la confiance. Pour être un dirigeant d’entreprise il faut de l’égo. Pour diriger des joueurs de foot, il en faut sans doute encore plus. Si certains entrepreneurs se refusaient à envisager d’investir dans le foot, avec lui ils reverraient peut-être leur position." Impliqué dans la vie du foot français, Létang donne sa vision, sans peur. Bernard Joannin, président d’Amiens membre du Conseil d’Administration de la Ligue comme Létang, travaille aussi avec lui dans le groupe de travail mis en place pour chercher des économies au sein de le LFP-LFP Médias. "Si je devais retenir une qualité, je dirais l’abnégation. C’est quelqu’un de très travailleur, qui va au bout des dossiers. Il peut parfois paraître hautain, mais en réalité il ne l’est pas. Il aime aller chercher l’excellence. Il nous aide beaucoup dans cette recherche de nouveaux financements pour le foot français. Il ne se planque pas."

Et dans quelques années ?

Une force de travail reconnue. Sur la gestion, le fond qui détient le LOSC, Merlyn Partners, lui voue une confiance aveugle. Mais pour combien de temps sera-t-il à Lille, puisque les propriétaires ne sont pas voués à rester à long terme ? "Je pense qu’il rêve de créer son entreprise", glisse un président, alors que le patron du LOSC a toujours été salarié jusqu’ici. Létang avait jeté un œil, pendant la période Covid, pour éventuellement racheter un club, plus petit. Mais il faut avoir les reins solides. "Fondamentalement, il souhaite qu’on lui fasse confiance et qu’on le laisse faire. Aujourd’hui, il n’y a pas de frustration, juge Christophe Chenut. Il gère le club comme si c’était le sien. Cette autonomie le satisfait pleinement." "Il est bien à sa place mais il faut qu’il reste à sa place", résume en souriant un ancien salarié à Rennes. Sa soif de succès fait de lui quelqu’un de fiable et maintenant réputé. En attendant, l’homme de 52 ans reviendra probablement sous peu devant les médias, après un match réussi ou raté. Avec toujours un discours musclé, teinté d’émotions. Gagner ou perdre, vivre ou mourir...

Valentin Jamin avec LB, JB, XG.