
Accroupis de g à d: Ndoram, Pedros, Makelele, Loko, Karembeu Debouts : Ouédec, Capron, Le Dizet, Decroix, Casagrande, Ferri - ICON
"Tout était beau, tout était rose", les quasi-invincibles Nantais racontent leur record légendaire que le PSG rêve de faire tomber
"Si c’est ça le foot professionnel, c’est extraordinaire!" Été 1994, Dominique Casagrande, 23 ans, découvre le haut niveau au FC Nantes où il vient d’être recruté comme doublure de David Marraud au poste de gardien de but. A la Jonelière, le centre d’entraînement des Canaris, celui qui vient du club amateur de l’AS Muret, est immédiatement subjugué par la qualité et l’atmosphère des entraînements.
"On s’amusait tous les jours tout en travaillant, poursuit le futur gardien du PSG. On arrivait deux heures avant l’entraînement pour gagner au tennis-ballon. Je n’ai jamais vu ça ailleurs! On était en nage. Il fallait que l’entraîneur Coco Suaudeau ou Georges Eo (son adjoint) interviennent pour qu’on arrête."
Cet été-là, le FC Nantes Atlantique (le nom du club entre 1992 et 2007) a un bon profil d’outsider. Flash back: deux ans plus tôt, les Nantais échappent d’un rien à la relégation administrative en Ligue 2. Faute de moyens, le club n’a pas d’autre choix que de s’appuyer sur son centre de formation, l’un des meilleurs de France à l’époque. Une contrainte qui s’avèrera être un formidable coup du destin.

Une victoire "référence à Auxerre"
Emmenée par une classe biberon hyper talentueuse, l’équipe de Jean-Claude Suaudeau redonne ses lettres de noblesse au fameux jeu à la nantaise. Du mouvement, de la vitesse, des actions à une touche de balle… Le public nantais se régale comme au bon vieux temps. Nantes termine à la 5e place en 1992-1993 et 1993-1994. Habitués à jouer ensemble depuis les équipes de jeunes, Loko, Ouédec, Pedros&co se trouvent les yeux fermés, comme l'explique Christian Karembeu.
"C’est une génération dorée depuis la Coupe Gambardella, la D3, la D4..."
"Des joueurs qui ont grandi et se sont amusés ensemble avec la science du jeu collectif matraquée quotidiennement par le coach", appuie le champion du monde 1998 au micro de RMC Sport.
Pourtant, avant le premier match de la saison face à l’Olympique lyonnais le 29 juillet 1994 à La Beaujoire, personne ne s’attend à ce que cette équipe plane sur le championnat. Et encore moins qu’elle réalise l’incroyable exploit de rester invaincue 32 matchs de rang.
Un record qu’aucune équipe n’a battu depuis 30 ans. Ni l’OL des années 2000, ni le PSG version QSI. "On était une équipe surprise même si on sortait de deux belles saisons, se souvient Japhet N’Doram, indispensable maître à jouer de l’équipe et "papa de tout le monde", selon Dominique Casagrande. On a surpris tout le monde avec un jeu spectaculaire."

Pedros-Loko, un chef d’œuvre à La Beaujoire
Face à l’OL, les Canaris débutent par un résultat nul (1-1). "De belles promesses" titre L’Équipe. Bien senti. Nantes terminera champion de France devant Lyon. La semaine suivante, Nantes pose les bases de son incroyable épopée en allant s’imposer à Auxerre (1-2), à l’Abbé-Deschamps. Un stade où les Canaris avaient la mauvaise habitude de repartir avec une défaite.
"Un match référence, on joue à dix (expulsion de Pignol)", se souvient Karembeu. Après avoir battu Caen et Lille sur le même score, Nantes accueille le PSG, champion de France en titre, le 19 août à La Beaujoire. Un autre match qui forgera l'épopée. Les Canaris font tomber le champion 1-0 grâce à un but d’anthologie de Patrice Loko après un une-deux aérien avec Reynald Pedros. L'ex-milieu du Real Madrid en tremble encore.
"Dès que je revois ce but, j’en ai encore des frissons"
Époustouflante pour le public, cette action ne doit rien au hasard. Elle a été mille fois répétée dans la "fosse" de la Jonelière. La "fosse" c’est le nom donné à un terrain réduit entouré de quatre murs où les Canaris affinent leurs automatismes et apprennent à enchaîner les passes sans que le ballon ne touche le sol.
Ça chauffe entre N’Doram et Zidane...
Cette victoire face au PSG propulse les Nantais à la première place du classement. Ils ne la quitteront plus. "Battre Auxerre ou le PSG nous a donné confiance, reconnaît Japhet N’Doram. Ça nous a alerté sur le fait qu’on pouvait aller très loin en championnat. On était imbattable. On s’est rendu compte au fil du temps qu’on avait le potentiel pour aller au bout de la compétition. On ne calculait pas. On engrangeait les points sans se rendre compte qu’on était invaincu jusqu’à cette 32e journée. On n’avait peur de rien." La crainte des adversaires, elle, se lit dans leurs yeux avant même le coup d’envoi. Les équipes défilent mais les Nantais vont vite. Beaucoup trop vite.
"Ça allait à 2000 à l’heure"
A La Beaujoire, Saint-Étienne, Lens, Strasbourg, Lille, Martigues payent le "tarif maison", 3-0. Dans un match fou en plein cœur de l’automne, Bordeaux encaisse trois "pions" également. Mais les Girondins en marquent autant et égalisent à la dernière seconde sur une volée exceptionnelle de Christophe Dugarry (3-3). Un derby de l’Atlantique très chaud à l’image d’une friction entre N’Doram et Zinédine Zidane. "J’étais en colère après lui. Ferri l’empêchait de jouer, le marquait à la culotte. Il s’est énervé, il lui a donné un coup de coude. C’était juste devant moi, je n’ai pas apprécié."

Casagrande: "Tout était travaillé"
Parfois chauds sur la pelouse, les matchs du FC Nantes le sont aussi sur au bord du terrain, près des bancs de touche. Avec Jean-Claude Suaudeau et son adjoint Georges Eo, une petite étincelle suffit pour que ça parte en vrille. "C’était une belle brochette, rigole Dominique Casagrande, devenu titulaire dans les buts après une blessure de David Marraud. Georges Eo était capable de mettre la pression mais une pression intelligente. Il savait le faire. Quand on entendait que ça se disputait sur les bancs, ça nous motivait, nous aussi."
Nantes brille mais Nantes agace. Avec son jeu léché et son banc de touche volcanique, l’étiquette d’équipe arrogante colle vite aux ailes des Canaris. "Les joueurs étaient fascinés, ils voulaient nous contrer mais beaucoup d’équipes ont pris le bouillon, se souvient Casagrande. Quand tout peut paraître facile on pense qu’on est arrogant. Mais tout était travaillé."

Nantes s’offre son "tarif maison" au Parc des Princes
Le FC Nantes boucle l’année 1994 par un ultime succès à Caen (0-2). Le sommet du championnat a lieu le 11 janvier 1995. Le PSG accueille les Nantais, bien décidé à prendre sa revanche du match aller avec ce qu’il faut d’agressivité. Un choc qui tourne à la déroute. Les Parisiens sont plombés par l’expulsion de Daniel Bravo dès la 24e minute après un tacle par derrière sur Japhet N’Doram. Le Tchadien se souvient d'une rencontre "très tendue".
"Ils étaient très agressifs, on a subi des coups"
"Ils ont voulu nous intimider avec de l’agressivité. Ils étaient beaucoup plus nerveux. Avec le carton rouge, c’était un peu plus compliqué pour eux". Et comme à l’aller, ça chauffe aussi entre Coco Suaudeau et Luis Fernandez. "On avait un jeu plaisant, poursuit Ndoram. Une jeune équipe qui bouscule la hiérarchie, ça amène de tension. On les a bousculés. Ils n’ont pas accepté. Pas que les Parisiens d’ailleurs, partout où on est allé il y avait pas mal de tension entre les entraîneurs. Et avec nous aussi sur le terrain. On ne se laissait pas faire. On était des combattants aussi".
Nantes s’offre son "tarif maison" au Parc, 3-0. Patrice Loko et Japhet N’Doram, auteur d’un doublé, écœurent les Parisiens. "Prendre trois points leur a mis un coup derrière la tête. Après, il fallait venir nous chercher. On n’a rien lâché."
Et Strasbourg fit tomber les Canaris...
Après une victoire contre Sochaux (2-0) à La Beaujoire, Nantes avance en patron jusqu’à un déplacement à Strasbourg le 15 avril. Le coup d’arrêt. Après 32 matchs sans défaite, les Canaris chutent à La Meinau malgré une copie correcte et de nombreuses occasions manquées. "A la fin du match, ça avait été un peu chaud. On s’était permis de les allumer et de les chambrer, raconte le Strasbourgeois Pascal Baills dans La Belle Équipe, le livre de Fabien Lévêque sur la folle saison des Canaris. Certains parlaient un peu trop dans cette équipe et j’avais dit à Dominique Casagrande de fermer sa gueule."
Réponse du gardien nantais: "Pascal Baills aurait rêvé de jouer à Nantes. Mais bravo à eux. Ce sont les seuls qui nous ont fait tomber." Ce record qui tient toujours, les Nantais n’en avait pas fait un objectif. "On n’en parlait jamais", confirme Christian Karembeu.
"Quand le chiffre de 32 est arrivé, je me suis dit: 'Ah bon?'"
"Et puis ce coup d’arrêt, le coach l’avait déjà anticipé. Il savait qu’il allait arriver tôt ou tard. Ça n’a pas ébranlé la structure de l’équipe. Au contraire, ça nous a renforcés." Dominique Casagrande va même plus loin: "A la fin, ce record pesait un peu. C’était pas mal qu’on soit tombé, ça a remis un coup de boost pour le titre." Après le trou d’air, Nantes reprend sa marche en avant vers le 7e titre de son histoire, acté le 19 mai à Bastia (2-2) et dignement fêté face à Cannes à La Beaujoire (2-1). "La semaine a été compliquée pour certains, sourit Casagrande. Pour moi? J’arrivais du monde universitaire, j’avais l’habitude."
N'Doram: "Les gens parlent plus de notre jeu que du record"
Le titre, la meilleure attaque (71 buts), la meilleure défense (34), le meilleur buteur (Patrice Loko, 22 buts) et le record d’invincibilité… Difficile de faire saison plus aboutie. "C’est juste magique. J’ai eu ma fille un jour avant le sacre", glisse, ému, Christian Karembeu. "Tout était beau, tout était rose, poursuit Casagrande. C’était une bande de copains. La mayonnaise a pris avec tout le monde. Une année au-dessus de tout." Trente ans après, Japhet N’Doram avoue être "surtout fier du contenu qui a séduit tout le football français. Les records sont faits pour être battus. Mais les gens parlent plus de notre jeu que du record."

L’exploit se mesure aussi par la succession de grandes équipes et de stars qui ont joué en Ligue 1 depuis le titre du FCN il y a 30 ans. L’OL de Juninho et Benzema n’ont pas fait tomber ce record. Ronaldinho, Zlatan, Neymar, Mbappé et Messi non plus. Dominique Casagrande a même fait de ces premières défaites lyonnaises ou parisiennes une tradition.
"Chaque année, j’envoie un SMS au groupe: 'putain, un an de plus'"
Les Nantais voient les Parisiens battre leur record cette saison
Ce record d’invincibilité sera-t-il (enfin) battu cette saison par le PSG de Luis Enrique? C’est un grand oui pour Dominique Casagrande. "Je pense qu’il va prendre une gifle." C’est oui aussi pour Japhet N’Doram.
"Je crois que ce sera pour cette année"
"Quand je vois cette équipe jouer, elle dégage sur le plan collectif quelque chose qui ressemble à ce que nous avons vécu. Depuis 4-5 ans, c’est la première fois que cette équipe est aussi forte collectivement. Ils peuvent faire toute la saison sans perdre." Signe du destin, comme en 1995, c’est à Strasbourg lors de la 32e journée de Ligue 1 que les Parisiens pourraient égaler la marque historique des Canaris.

Record battu ou pas, les champions de France 1995 se réuniront le 17 mai à Nantes pour un repas entre "anciens". "Tout le monde a dit OK, se réjouit Dominique Casagrande. On ne l’a jamais fait jusqu’à présent. J’ai eu envie de faire ce repas. C’est bien de le faire parce que c’est peut-être les derniers moments de ce record", conclut l’ancien portier des Canaris, un peu nostalgique mais surtout heureux et serein. Comme il y a 30 ans.
Comment le PSG peut aller battre le record du FC Nantes
23e journée : Lyon-PSG
24e journée : PSG-Lille
25e journée : Rennes-PSG
26e journée : PSG-OM
27e journée : Saint-Etienne-PSG
28e journée : PSG-Angers
29e journée : Nantes-PSG
30e journée : PSG-Le Havre
31e journée : PSG-Nice
32e journée : Strasbourg-PSG
33e journée : Montpellier-PSG