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Oscar Jégou, le 08 juin 2024

Oscar Jégou, le 08 juin 2024 - Thibaut Bossenie/Icon Sport

XV de France: "Il vit tout à fond!" De retour chez les Bleus après l’affaire, sur les traces d’Oscar Jegou, devenu indiscutable à La Rochelle

Présent sur la liste des 42 joueurs appelés à préparer le Tournoi 2025 des VI Nations (31 janvier-15 mars) avec le XV de France, Oscar Jegou s’apprête à retrouver le maillot bleu, un mois après un non-lieu dans l’affaire de Mendoza et un semestre après une première tournée internationale qui a viré au cauchemar sur le plan extra-sportif. Très performant en club depuis son retour à la compétition, c’est sur les terrains que le Rochelais de 21 ans entend se faire un nom et redorer son image auprès de l’opinion publique. RMC Sport se penche sur le parcours, la personnalité et le potentiel du troisième ligne que beaucoup considèrent comme un phénoménal athlète.

Né à La Rochelle (Charente-Maritime) le 31 mai 2003, c’est sur l’île d’Oléron, à 1h de route plus au sud, qu’Oscar Jegou a passé sa petite enfance. Et enfilé ses premiers crampons. "J’ai commencé le rugby sur l’île grâce à l’école. Je me souviens d’un flyer pour nous demander de venir essayer le rugby, racontait-il dans un entretien exclusif accordé à RMC Sport en juin 2024. J’ai tout de suite accroché avec mes frères. J’ai deux grands frères (Tom et Jules, ndlr). Ils ont commencé un peu avant moi car je n’avais pas l’âge. Mais à force de traîner au bord du terrain, les entraîneurs m’ont proposé de prendre une licence. J’ai commencé à quatre ans. J’ai fait une saison là-bas, avant de déménager."

Enfant du Stade Rochelais

De retour en terres rochelaises en 2010, la jeune tribu Jegou va naturellement toquer à la porte du Stade Rochelais, club fanion de la Région et dont l’équipe première joue les premiers rôles en Pro D2, l’antichambre du Top 14, au point de valider sa montée dans l’élite quelques mois plus tard. Encore fallait-il pouvoir la franchir, cette porte, prise d’assaut. La fratrie, justement, y parvient.

"Il y avait des sélections pour les jeunes, mais il y avait trop d’enfants et le club disait à mes parents que ça allait être compliqué. Finalement ils m’ont gardé d’entrée ! J’ai fait toutes mes classes ici, je suis tombé sur de supers éducateurs et un super club, surtout. C’est pour cela que je suis autant attaché à ce club. Mon objectif est de rester le plus longtemps ici. Je pense que ça joue sur certaines de mes performances. Je me bats à fond pour le maillot. J’ai envie que mon club soit le meilleur."

"Je me souviens d’un jour où l’on a perdu un match en espoirs et il a pleuré"

Cet attachement viscéral au club à la caravelle, Gurthrö Steenkamp le mesure de près depuis plusieurs années maintenant. Le Springbok sacré champion du monde en 2007 entraîne la mêlée du Stade Rochelais et avait déjà le cadet des Jegou sous ses ordres lorsqu’il officiait auprès des espoirs. "Il y a toujours quelque chose qui m’a marqué chez Oscar : il a vraiment le Stade Rochelais dans son cœur. Je me souviens d’un jour où l’on a perdu un match en espoirs et il a pleuré. Parce que ça a toujours été un rêve pour lui de jouer en pro pour ce club. Et il l’a réalisé."

Surclassé à l’adolescence

Les échelons, pendant sa formation, Oscar Jegou va les gravir plus vite que la moyenne. Capitaine du Stade Rochelais chez les Crabos, "Lajeg'" est tellement au-dessus du lot que le voilà surclassé, au cours de la saison 2020-2021, avec les espoirs. Et propulsé sur une feuille de match à quelques semaines de son dix-huitième anniversaire, le 17 avril 2021. Un déplacement à Colomiers en compagnie de son frère Jules, titulaire à l'aile, et de plusieurs "potes" dont le talonneur Rémy Ménard. Le trio se connaît bien depuis les années collège. Rémy, pensionnaire lui aussi de l’établissement Jean Guiton, détient d’ailleurs un titre de champion de France UNSS avec l’aîné.

"Je connaissais Oscar et quand il arrive en espoirs, tu sais que c’est un phénomène, témoigne-t-il au micro d’RMC Sport. Déjà, quand on est surclassé en espoirs, on peut parler d’un phénomène, c’est très rare. Il arrive sans pression, il joue, fait ses plaquages, montre qu’il est au-dessus, qu’il n’y a pas un niveau d’écart alors qu’on a deux voire trois ans d’écart. Il fait son match. Chapeau ! Il était tout le temps à fond. On était content d’avoir un joueur comme ça dans l’équipe. A l’époque, on sait déjà qu’il va aller loin, qu’il va passer professionnel."

Déjà indiscutable en 25 matchs pros

Précoce, Oscar Jegou est rapidement sollicité par l’équipe de France U20 Développement. Quelques mois plus tard, à l’été 2022, il intègre la préparation d’intersaison de l’équipe première du Stade Rochelais avec laquelle il fera ses grands débuts en mai 2023, face au Stade Français, sept jours après le deuxième sacre européen de son club de toujours. Et une poignée de semaines avant son titre de champion du monde 2023, obtenu avec les Bleuets.

"Je pense n’avoir jamais vu un joueur faire un match comme ça"

Aux côtés des Alldritt, Atonio et autres Boudehent, c’est d’abord en tant qu’"impact player" – "je sais qu’il va aller très loin. A chaque fois qu’il joue, il m’impressionne", confie son coéquipier Ultan Dillane après plusieurs entrées en jeu remarquées – que "Lajeg'" commence à recevoir les louanges d’un certain Ronan O’Gara, manager admiratif au point d’en faire rapidement un titulaire et de lâcher un "je pense n’avoir jamais vu un joueur faire un match comme ça", le 2 juin 2024, soir de match nul à Toulouse (31-31). Son niveau de jeu, lors du barrage remporté par La Rochelle à Mayol (victoire 29-34 contre Toulon), frôle là-aussi l’exceptionnel. Tout comme son match de reprise, le 2 novembre dernier, malgré quatre mois sans jouer, les regards braqués sur lui et une affaire pour viol aggravé en Argentine (lire plus loin) toujours sur le dos.

Une énième fois meilleur rochelais du match dimanche dernier lors de la réception du Leinster (14-16) en Coupe des Champions, Oscar Jegou fait déjà, à 21 ans et "seulement" 25 matchs disputés en professionnel, figure d’indiscutable dans un club armé pour soulever des trophées. "Oscar est un super joueur. On est des privilégiés de le regarder chaque jour. Je pense que les personnes présentes dans le public, aussi", ira jusqu’à dire Donnacha Ryan, l’un des adjoints d’O’Gara, dans la foulée du grand retour à la compétition du protégé jaune et noir.

L’archétype du 3e ligne complet

Serez-vous capable de recenser avec assiduité le nombre de fois où le terme "énergie" est associé à Oscar Jegou? Le défi pourrait vite vous donner la migraine, sachez-le, tant il est employé. "Il vit tout à fond", image Gürthro Steenkamp qui, au-delà de cette spécificité, ne tarit pas d’éloges sur l’étendu de la palette du jeune rochelais. "Il peut être agressif, mais il est capable aussi de jouer dans l’espace, de traverser le terrain, de faire des bons choix, c’est un joueur hyper intelligent qui nous apporte aussi en touche", liste entre autres l’entraîneur maritime.

Cadre emblématique du XV de France (63 sélections) et du Stade Rochelais (314 matchs), Uini Atonio abonde, surpris par "l’énorme activité d’Oscar. Il se donne à 100% à chaque fois. Même aux entrainements, il essaye de bien "gagner" sa journée. C’est un jeune qui a envie de se montrer à chaque fois. Il va plaquer quelqu’un et il va marquer l’essai côté opposé ! Il travaille beaucoup pour l’équipe."

Que de qualités et d’efforts qui en font "un troisième ligne complet" aux yeux de l’expérimenté Brice Dulin, 34 ans, autre international rochelais. "C’est un sans poumons, qui colle au ballon, qui est toujours au soutien, qui comble le manque de déplacement de certains. Et puis sa vision du jeu offensive… C’est quelqu’un de très bon ballon en mains, qui peut faire et apporter un surnombre en attaque, qui fait du bien quand on l’a sur le terrain parce que ça nous fait un petit relais pour les trois quarts et ça nous permet d’un peu plus jouer au rugby."

Un gabarit qui casse les codes, à son poste

Le statut acquis par le natif de La Rochelle est d’autant plus respectable et respecté qu’il a dû affronter certaines barrières dans son évolution comme troisième ligne, lui qui a glissé chez les avants en catégorie U12 après deux ans de compétition derrière. "Dans le passé, il a entendu dire : "t’es trop léger, tu n’y arriveras jamais", se souvient Gürthro Steenkamp. Il a montré que le poids n’est pas important si on a l’envie, si on a une motivation intrinsèque… tout est possible ! Il bouge les mecs, il met des carreaux."

"Il fait 90 kilos mais quand tu vois l’énergie qu’il dégage sur le terrain, c’est juste dingue ! "

L’entraîneur des avants rochelais Donnacha Ryan voit en Jegou "une machine ! Il est léger mais son corps est beaucoup plus fort, il est très efficace avec toutes les fibres dans son corps. » Et Grégory Alldritt d’applaudir : « Il fait 90 kilos mais quand tu vois l’énergie qu’il dégage sur le terrain, c’est juste dingue ! C’est impressionnant. » L’énergie, encore et toujours.eu importe le joueur qu’il a en face, il s’impose bien.""

L’entraîneur des avants rochelais Donnacha Ryan voit en Jegou « une machine ! Il est léger mais son corps est beaucoup plus fort, il est très efficace avec toutes les fibres dans son corps"» Et Grégory Alldritt d’applaudir : "Il fait 90 kilos mais quand tu vois l’énergie qu’il dégage sur le terrain, c’est juste dingue ! C’est impressionnant." L’énergie, encore et toujours.

Un leader… réservé !

"J’aime bien donner mon avis, prendre ce rôle de leader, emmener les mecs qui ont besoin", soulignait Oscar Jegou à RMC Sport l’an dernier. Capitaine chez les jeunes, beaucoup le voient marcher dans les pas de Grégory Alldritt, porteur n°1 du brassard maritime et capitaine du XV de France lors du Tournoi 2024 des VI Nations. Le numéro 8 international n’en serait pas étonné. "Oscar, c’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup mais qui par les actes donne énormément d’énergie aux coéquipiers. C’est quelqu’un d’inspirant même pour les plus anciens car il amène dans son sillage toute l’équipe."

"Il ne parle pas beaucoup, il montre, sait aussi par expérience son ami Rémy Ménard. Le mec va te dire deux mots et… t’as juste envie de le suivre ! C’est un leader naturel." Et discret. Trait principal de sa personnalité. "Ce n’est pas le gars dans le bus qui va te raconter 10 000 histoires, crier, faire plein de blagues et discuter avec toi pendant les cinq heures de trajet", illustre l’ancien pensionnaire du centre de formation maritime (2014-2021).

"Oscar travaille comme un acharné, il ne parle pas pour ne rien dire […] mais c’est un gars réservé, plutôt dans son coin, comme moi, confirme Georges-Henri Colombe Reazel (6 sélections), coéquipier de Jegou en club et en sélection. Il ne veut pas faire de vague, il ne fait pas de bruit. Quand tu es jeune, t’arrives dans un groupe, tu ne la ramènes pas trop, tu essaies de rester à ta place…Au fur et à mesure des années, il prendra du galon, plus d’expérience et s’ouvrira un peu plus."

Deux affaires traversées, un mental d’acier

"J’étais avec lui en Argentine, je savais qu’il allait revenir aussi fort. Quand tu as la tête sur les épaules, tu réagis et malgré les situations que tu peux endurer, tu rebondis et tu rebondis fort. On essaye de l’accompagner et ça a l’air de marcher. Je le sens bien dans sa tête, ses baskets et son rugby." S’il évoque un timide, le pilier international n’en loue pas moins la solidité mentale du garçon, impliqué dans l’affaire de Mendoza avant de bénéficier d’un non-lieu, mi-décembre, pour les faits qui lui étaient reprochés – ainsi qu’au Palois Hugo Auradou – en marge de la tournée en Argentine, à savoir des accusations de viol aggravé dans la chambre de l’hôtel où résidaient les Bleus. La plaignante a fait appel.

Oscar Jegou et Hugo Auradou le 12 août 2024.
Oscar Jegou et Hugo Auradou le 12 août 2024. © Andres LARROVERE / AFP
"Il revient de loin, il revient très fort"

Profondément marqué par les quelques jours passés en prison, le péril de la situation et le retentissement de cette affaire – même s’il assure depuis la première heure n’avoir absolument rien à se reprocher et quand bien même il a cette "faculté à faire la part des choses", estime son coéquipier et ami Matthias Haddad-Victor –, Oscar Jegou affiche une sérénité à toute épreuve une fois sur un terrain de rugby.

Qui inspire cet hommage à Rémy Ménard. "C’est plus que bluffant, à son âge, d’arriver à performer alors qu’il y a quelques temps il était au fond du seau avec ce qui lui est arrivé. Tu te dis « qu’est-ce qu’il a la tête, c’est quoi son mental ? » Il revient de loin, il revient très fort." L’an dernier, au sortir d’une première affaire extra-sportive Jegou avait montré la ferme intention de faire de la prévention contre la cocaïne son « combat. »

Contrôlé positif à cette substance interdite, en marge d’un match de Top 14, dans un "cadre récréatif", et suspendu sportivement, le Rochelais était longuement revenu sur RMC Sport sur cet épisode qui "a failli n*** toute ma vie". "C’est la première épreuve difficile de ma vie. J’étais mal, je ne savais plus où j’en étais […] Cette période m’a forgé, donné une carapace. Je suis prêt à affronter d’autres épreuves dans ma vie même si j’espère qu’il y en aura le moins possible", livrait-il de manière prémonitoire, en juin 2024, un mois et demi avant sa première convocation en Bleu, et avant l'affaire de Mendoza.

Cela n’empêche toutefois pas son club, le Stade Rochelais, de redoubler de vigilance. A l’instar de Ronan O’Gara : "Je vais toujours garder un œil sur lui. C’est un enfant, il a besoin d’être protégé, d’apprendre, d’être éduqué, comme les autres […] L’histoire avec la cocaïne, c’est terminé. Il a appris mais le plus important ce sont des actes, des actes, des actes […] On a une énorme responsabilité de garder son état d’esprit neutre, au minimum. Peut-être que dans six mois, il va réfléchir et sera dans un état dépressif. Ce ne sont pas des robots mais des jeunes joueurs, avec des émotions, fragiles." Qui attendront le résultat de l'appel dans cette affaire pour tirer un trait définitif, même si l'opinion publique pointe encore parfois du doigt le Rochelais et son coéquiper de Pau Hugo Auradou et que leurs familles respectives imaginent que des traces indélébiles subsisteront encore quoi qu'il arrive après l'ouragan médiatique vécu.

Un destin bleu dans la peau?

Si, sacrée championne du monde en Afrique-du-Sud, la génération 2023 des Bleuets est parvenue à grignoter des convocations avec l’équipe A, Oscar Jegou est l’un des rares (avec Nicolas Depoortère, Posolo Tuilagi, Hugo Auradou, Marko Gazzotti, Baptiste Jauneau, Lenni Nouchi, Théo Attisogbe) à avoir depuis connu les joies d’une sélection en A, à l’occasion des dernières tournées estivales et automnales du XV de France. Alors que se profile l’édition 2025 du Tournoi des 6 Nations (31 janvier-15 mars), son "plus gros objectif reste de s’y faire une place, petit à petit".

Oscar Jegou
Oscar Jegou © ICON

"Il ne veut pas s’arrêter au fait d’être dans le groupe, sait son manager à La Rochelle, Ronan O’Gara. Il va faire des entraînements et je pense que le coach va se dire : ""c’est qui lui ?!" C’est un très bon joueur qui mérite d’être dans le groupe. C’est le minimum. Mais est ce qu’il est capable d’être dans les 23, je ne peux pas dire. Oscar est en train de frapper sur la porte. On parle de haut-niveau, c’est l’équipe de France, pas une équipe qui joue en Top 14."

"Quand on entend le nom d’Oscar Jegou, on veut que ce soit pour ses performances et non l’extra-sportif "

"Quand tu as joué avec lui et que le gars va peut-être jouer le VI Nations… je suis fier de lui ! Je sais par où il est passé. Il gère super bien, jubile Rémy Ménard. Le souhait de ses potes ? Qu’il fasse la coupe du monde 2027. Même celle de 2032. Qu’il performe, qu’il brille et qu’on commence à le reconnaître comme un très, très grand joueur. Quand on entend le nom d’Oscar Jegou, on veut que ce soit pour ses performances et non l’extra-sportif."

Romain Asselin