
Khalil Rountree Jr. - ICON Sport
Père assassiné, dépression et obésité morbide: Khalil Rountree Jr., la fureur de vivre
Le chemin sinueux de l'espoir, Khalil Rountree Jr. l'a arpenté inlassablement. Animé par cette conviction profonde que la lumière ne reste pas l'apanage des élus, guidé par un rêve qui s'apparentait alors davantage à un mirage, il a matérialisé l'accomplissement d'une vie. Devenir quelqu'un après avoir longtemps marché seul dans l'obscurité.
"Quand je devais aller à la salle de sport, je pesais 139 kg, fumais encore des cigarettes, j'étais toujours dépressif. Je devais alors prendre cette fameuse rue à Las Vegas où je voyais toujours ce panneau d'affichage de l'UFC", s'épanchait comme rarement l'Américain, en conférence de presse en 2023, avant d'éclater en sanglots devant le parterre de journalistes. "Je me disais sans cesse : 'Un jour, je serai sur ce panneau.' Ça signifiait beaucoup pour un jeune homme de vingt ans, dépressif, qui avait besoin de se projeter dans l'avenir. Je voyais ça et ça… ça me touche. Je peux désormais regarder en arrière et me dire : 'J'ai réussi.'"
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C'était quelques mois avant la chance de sa vie : un championnat du monde pour la ceinture des -93kg. Confronté à la superstar brésilienne de l'organisation Alex Pereira lors de l'UFC 307, "The War Horse", tête ensanglantée, nez brisé et œil droit tuméfié, finira pas s'incliner par TKO au quatrième round après avoir livré l'une des guerres les plus homériques de l'année 2024. Si la marche s'est avérée un brin trop haute pour celui alors classé challenger n°8, sa prestation empreinte d'une résilience admirable – avec notamment deux premiers rounds de très haute facture – avait scié l'assistance du Delta Center, à Salt Lake City.
À commencer par le boss de l'organisation Dana White, aux premières loges de cette bataille : "Vous ne pouvez jamais mesurer le cœur. On ne sait jamais comment ça va se passer, maintenant on le sait. Dès que la cloche a sonné, Khalil Rountree a commencé à attaquer. Il n'a montré aucune peur, aucun trac, aucune nervosité. Il s'est dressé face à l'un des gars les plus dangereux de tous les temps et s'est mesuré à lui. C'était incroyable."
Figure paternelle respectée et assassinat
Ce soir-là, sous les vivats de la foule, l'Américain (14 victoires, 6 défaites, 1 no contest en carrière) a pu contempler la voie qu'il avait lui-même tracée. "Je n'ai pas remporté le titre, mais j'ai grandi. Alex Pereira, merci de m'avoir permis de voir que je suis prêt à conquérir le monde", soufflait-il, au lendemain de sa défaite. "Tu as fait preuve d'un talent incroyable, tu as révélé une version de moi-même que j'avais besoin de découvrir. Tu es le champion pour une raison, tu as tout mon respect. Mais, maintenant, je sais de quoi je suis capable. Je reviendrai plus fort, c'est inévitable. N'abandonnez jamais."
Des mots qui prennent un écho encore plus retentissant au regard de son destin. La vie de Khalil Rountree Jr. pourrait s'écrire et se réciter comme une leçon. La tragédie frappe comme un uppercut et surgit alors qu'il n'est même pas en âge de comprendre. À deux ans, son père lui est enlevé après avoir été assassiné froidement. Ancien garde du corps de la légende du noble art Mohamed Ali et membre éminemment respecté auprès de la communauté afro-américaine, Roderick "Khalil" Rountree est dans les années 90 le manager du groupe iconique de R&B Boyz II Men, plusieurs fois récompensé aux Grammy Awards.

Le 25 mai 1992, il est abattu à l'hôtel Gold Coast de Chicago, alors que la tournée bat son plein avec le groupe. Selon le Chicago Tribune, Roderick a été tué après avoir assisté à une altercation survenue dans un couloir et provoquée par trois inconnus. Afin d'éviter toute escalade, le père de Khalil a fait monter les trois hommes dans un ascenseur, espérant ainsi les calmer. Il finira avec plusieurs balles dans la tête. Un point de bascule et un traumatisme indélébile pour son fils.
"Mon père a eu une vie formidable. C'était un homme très respectable et il a beaucoup fait pour son entourage. J'ai beaucoup appris sur lui grâce aux anecdotes qu'on racontait à son sujet", raconte le combattant de trente-cinq ans dans le Countdown de l'UFC 307. "À ses funérailles, je me souviens qu'il y avait des centaines, voire des milliers de personnes. Quand j'y pense, il faut être quelqu'un d'exceptionnel pour que de parfaits inconnus viennent à ses funérailles et honorent sa vie. Il a toujours été un modèle quand je cherchais une source d'inspiration pour devenir un homme."
"Mon heure est venue, je vais mourir dans mon sommeil"
Mais Khalil doit attendre l'adolescence avant de connaître la véracité de cette histoire. Craignant que l'impact émotionnel de la nouvelle ne vienne ébranler son fils dans sa construction, sa mère échafaude un narratif moins douloureux où son père est décédé des suites d'une longue maladie. Une fois la vérité révélée, le jeune Californien enfouira et portera longtemps cette douleur indicible. Il ne la matérialisera pas par une quête vengeresse ou une violence irrépressible, mais en mettant sa vie en danger. À dix-neuf ans, le monde de Khalil Rountree Jr. est circonscrit aux murs du deux-pièces à Los Angeles où il vit avec sa mère, sa sœur, sa nièce et son demi-frère Donavon Frelow. Enlisé dans l'oisivité d'une existence sans dessein ni espérance, il traverse une profonde dépression et une spirale d'auto-destruction qui le poussera à songer au pire.

"Je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie ni même de ce que je pouvais faire. J'avais dix-neuf ans, je pesais 139 kilos, consommais deux paquets de cigarettes par jour et que des sodas", relatait l'athlète américain à MMA Hour, en 2022. "Et si quelqu'un me proposait des pilules, je disais : 'Oh, j'en prends'. Sans même savoir ce que c'était. J'étais perdu, sans espoir, et je m'en fichais complètement. Une nuit, alors que j'essayais de m'endormir, j'ai senti mon cœur s'accélérer, ce qui n'était pas normal. Il y a eu un moment où je me suis dit : 'Ok, mon heure est venue. Je vais mourir dans mon sommeil.' C'est à ce moment-là que j'ai commencé à réfléchir à ce que je pouvais faire pour me maintenir en vie."
Le MMA comme salut de l'âme
Le MMA sera l'exutoire à ses tourments. Le déclic intervient un soir où son demi-frère regarde The Ultimate Fighter, la télé-réalité de l'UFC : "Je me suis attaché à cette agressivité et à cette colère que ces gars semblaient ressentir, surtout après avoir vu 'Rampage Jackson' défoncer une porte. Je me suis dit : 'ouais, putain, c'est ce que je veux faire'" Adieu la cité des anges et place à la ville du péché, Las Vegas. Dans la salle de la Wand Fight Team où s'est révélée l'icône brésilienne Wanderlei Silva, le néophyte Rountree découvre une nouvelle discipline sans aucune notion ni pratique. Et marque les esprits, même en surpoids.
"Après le premier cours, le professeur de muay-thaï m'a dit : 'Je pense que tu as un don, un talent naturel. Tu devrais revenir demain.' En rentrant chez moi, j'ai jeté mes paquets de cigarettes en me disant : 'Je ne peux pas fumer si je continue à faire ça. J'en ai tellement sur les poumons que je n'arrive plus à respirer.' Ce n'était que le début. Par la suite, j'en ai rajouté chaque un jour un peu plus", détaillait-il encore à MMA Hour.
Après trois mois d'entraînement et à lutter contre ses vices tenaces, les premiers effets bénéfiques font leur apparition. Et, à force de pratiquer encore et encore, l'Américain se plaît à rêver d'un premier combat. Pour y parvenir, son coach l'enjoint à perdre quarante-cinq kilos. Un objectif qu'il remplit en seulement onze mois : "Depuis le premier cours de muay thaï, chaque jour, je me débarrassais de ce que je savais être mauvais pour moi. Le premier jour, c'était la cigarette, le lendemain, les sodas, puis je me suis dit : 'Bon, j'arrête le fast-food. Je vais juste manger des légumes, des œufs et des protéines.' Je me sentais mieux en éliminant tout ça. J'ai commencé à courir plus. J'ai même éteint mon téléphone. J'ai consacré ma vie à perdre du poids, à m'entraîner et à essayer de devenir une meilleure version de moi-même."

Procházka, l'ex-roi déchu pour viser un nouveau title shot
Après avoir écumé le circuit amateur dans le Nevada, c'est en 2014 qu'il se professionnalise. Le temps d'enchaîner quatre victoires de rang dans l'organisation Resurrection Fighting Alliance (RFA) pour se voir accorder une participation à The Ultimate Fighter, l'émission qui lui a donné envie d'embrasser une carrière dans le MMA quelques années plus tôt. Malgré une défaite dans le combat final du tournoi, Dana White – séduit par sa force de frappe, son KO power, son kickboxing affûté et sa "southpaw stance" (garde de gaucher, en VF) – lui accorde un contrat à l'UFC.
Mais, jusqu'en janvier 2021, "The War Horse" oscille entre victoires (4) et déconvenues (4). Il faut attendre sa succession de TKO – dont deux mémorables face à Modestas Bukauskas et Anthony Smith – jusqu'au title shot contre Alex Pereira pour le voir donner la plénitude de ses moyens (7 KO, troisième meilleur total dans l'histoire de la catégorie). Et son dernier succès en date, contre l'ancien champion du monde Jamahal Hill, a conforté un peu plus sa position parmi l'élite des light heavyweights où il s'érige désormais comme le challenger n°4.
Ce samedi, à Las Vegas, pour l'UFC 320, c'est une nouvelle fois un ancien roi de la divison qui se dresse devant lui en la personne de Jiří Procházka. Sur la même carte que Magomed Ankalaev et Alex Pereira qui vont se disputer la ceinture, Khalil Rountree Jr. doit livrer une performance majuscule pour briguer un deuxième combat pour le titre, puisqu'une semaine plus tôt la sensation montante des mi-lourds Carlos Ulberg (n°3) a marqué les esprits en couchant Dominick Reyes dès le premier round. "C'est un énorme combat. Je me sens prêt. La possibilité de détenir cette ceinture est vraiment proche, je ne suis focalisé que sur ça. On va se faire mal dans la cage", promet-il. "Je veux qu'on se dise que c'est inévitable et que je suis le prétendant numéro un à la ceinture après ma performance contre Procházka."
"Je sais que je n'ai pas atteint mon plein potentiel. Mais puis-je faire de mon rêve une réalité ?"

"Votre vie compte, vous pouvez être spécial"
Personne ne le croit véritablement capable de donner corps à cette espérance. Parce que le natif de Los Angeles a étalé des lacunes que certains observateurs jugent rédhibitoires pour se hisser au sommet : un niveau de grappling et de lutte largement perfectible, une précision dans les frappes brinqubalantes, une défense parfois poreuse le rendant vulnérable aux contre-attaques ainsi qu'une variété tactique limitée.
Reste que le combattant a toujours fait fi des préjugés et autres présages défaitistes. Une foi inébranlable en lui-même résultant d'un parcours cahoteux qu'il souhaite inspirant pour tous ceux qui ont cessé de croire en quoi que ce soit : "Je veux partager mon histoire car il y a peut-être des vies que je peux changer. Ça peut aider des millions de personnes qui ressentent la même chose que moi, qui n'ont pas de rêve et qui ne savent pas ce qu'elles font, qui ont juste besoin de quelque chose."
En 2016, le Californien s'était livré à cœur ouvert sur son père et avait posé ces quelques mots délicats : "Il y a toujours ces pensées que j'ai toujours eues. Parfois, j'ai hâte de quitter cette vie juste pour te rencontrer. Mais je sais que j'ai une tâche à accomplir tant que je suis ici. Et, en attendant, je continuerai de te rendre fier. Tu es mon héros." Khalil Rountree Jr., fils de Roderick "Khalil" Rountree. Champion du monde UFC. Une future épitaphe en guise de vœu exaucé qui aurait alors fière allure. Les retrouvailles entre père et fils peuvent donc encore attendre un peu.