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Résultats désastreux, cadres absents et têtes baissées... A six mois de son Euro, l'Allemagne toujours plus en crise

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Nation hôte de l'Euro 2024 (14 juin-14 juillet), l'Allemagne sort d'une élimination au premier tour du Mondial 2022, et d'une année 2023 catastrophique en termes de résultats. Malgré l'arrivée de Julian Nagelsmann à sa tête, le chantier semble immense. Et le temps presse.

Du 6-0 contre l’Arménie, du 4-0 contre l’Islande et la Macédoine du Nord, du 9-0 face au Liechtenstein. Des scores fleuves, des démonstrations, du net et sans bavure. De la Mannschaft comme on l’a souvent connue, pour ne pas paraphraser Gary Lineker.

Ça, c’était à l’automne 2021, durant les qualifications pour la Coupe du monde 2022. Après un fiasco au Mondial 2018 (élimination historique au premier tour), un Euro 2021 presque aussi décevant (élimination sans gloire face à l’Angleterre en huitièmes de finale), et surtout un départ de l’emblématique sélectionneur Joachim Löw, débarqué après 5498 jours à la tête de l’équipe nationale, le football allemand ouvrait avec enthousiasme un nouveau chapitre de sa glorieuse histoire. Avec Hansi Flick propulsé aux manettes de la formation quadruple championne du monde, un petit coup de balai dans un effectif qui commençait à prendre la poussière, et de premiers résultats pour le moins encourageants, tout semblait reparti comme à la grande époque. Ça, c’était donc il y a deux ans. Il y a bien longtemps.

L'une des pires années de son histoire

Depuis, la machine s’est de nouveau enrayée. Et c’est peu dire. Une seule victoire en Ligue des nations 2022, une nouvelle élimination au premier tour lors de la Coupe du monde au Qatar, un début d’année 2023 catastrophique, et le couperet qui tombe, encore. Le dimanche 10 septembre, la fédération allemande de football (DFB) annonce le limogeage de Flick, au lendemain d’une gifle reçue face au Japon (4-1). Un ancien coach du Bayern s’en va, un autre ancien coach du Bayern arrive. Le 22 septembre, Julian Nagelsmann prend la tête de la Mannschaft. Pour… ne pas faire pas mieux.

Après une trêve d’octobre "correcte" (victoire 3-1 contre les Etats-Unis, nul 2-2 contre le Mexique), l’Allemagne vient de concéder deux défaites de rang ces derniers jours en amicaux. D’abord contre la Turquie samedi soir (3-2), puis chez le voisin/rival/ami (on ne sait jamais) autrichien mardi (2-0), match marqué par une assez grande nervosité et le pétage de plombs de Leroy Sané, très logiquement expulsé.

Ce mercredi, la sélection allemande boucle donc une année 2023 catastrophique avec six défaites pour trois victoires et deux matchs nuls. Sa pire année civile (en moyenne de "points" pris) depuis 1964. Elle est aussi 16e au classement Fifa. Son pire rang depuis… 2004 (19e). Le tout à moins de sept mois du match d’ouverture de SON Euro, à la maison, devant son public. Car le problème est bien là.

Kai Havertz lors d'Autriche-Allemagne, le 21 novembre 2023
Kai Havertz lors d'Autriche-Allemagne, le 21 novembre 2023 © Icon Sport

"Ça ne peut pas être pire, c'est peut-être le seul point positif"

Face à ce terrible constat, vous vous en doutez, l’ambiance est assez morose outre-Rhin. "On a beaucoup de travail devant nous. Il ne faut pas que l'on se mette dans la position de la victime, se dire que l'on n'y arrivera pas. Il faut que l'on accepte que l'on a énormément de travail. On doit accepter que ce sera extrêmement difficile", glissait mardi soir Nagelsmann au micro de la ZDF. En terminant sur une note un peu plus positive: "Ce n'est pas que l'équipe ne sait pas ce qu'elle doit faire ou qu'elle ne le veut pas. Blocage n'est pas le bon mot, mais elle n'est pas libérée. C'est un bon groupe quand on le regarde, mais le transfert sur le terrain ne se produit pas encore."

Son capitaine, Ilkay Gündogan, se voulait lui plus grinçant. "Ça ne peut pas être pire, c'est peut-être le seul point positif", a lancé le milieu du Barça.

Et de lancer un message à ses camarades: "Tout le monde doit clarifier ce qu'il peut faire pour être préparé de façon optimale pour le match. Si on le fait en club jusqu'en mars, ça peut être meilleur en mars."

Spécialiste du football allemand pour RMC Sport, Polo Breitner a observé le dernier naufrage en date avec scepticisme. "La défaite de ce (mardi) soir me semble beaucoup plus grave (que celle contre la Turquie, NDLR) parce qu’ils se sont fait bouger dans tous les sens", remarquait-il mardi dans l’After Foot. "Ils n’ont pas existé. On sait que les matchs entre l’Autriche et l’Allemagne sont des matchs particuliers, des matchs 'entre eux', il y a beaucoup de ressenti lors de ces rencontres. Quand tu es allemand ou autrichien, tu ne veux pas perdre ce genre de matchs. Or ce soir il n’y avait qu’un seul concurrent, c’était l’Autriche, et l’Allemagne s’est fait bouffer dans les grandes largeurs. Tu avais un Nagelsmann sur le banc qui était énervé quasiment de la 1e à la 90e minute parce qu’il voyait bien que son équipe ne fonctionnait pas. Tout ça fait que je suis en train de verser dans un pessimisme ambiant en Allemagne avant l’Euro 2024."

La crise est multiple

Comment l’une des sélections les plus redoutées de la planète en est-elle arrivée là? De l’avis de tous les observateurs et spécialistes locaux, la crise est multiple. Des bouts d’explication, pêle-mêle? Une équipe en proie à des tensions internes, comme l’ont capturé les caméras d’Amazon au Qatar, un échec du management dit "horizontal", un système de formation (pourtant relancé avec brio dans les années 2000) pointé du doigt, un manque de fait de nouvelles pépites locales, à l’exception du jeune et brillant Jamal Musiala, une absence de buteur d’exception illustrée aujourd’hui par les titularisations du vaillant – mais pas forcément génial – Niclas Füllkrug au poste d’avant-centre… "Dans notre histoire, nous avons toujours eu des attaquants de classe mondiale qui nous permettaient parfois de juste gagner 1-0. Mais depuis Miroslav Klose (retraité international en 2014, NDLR), il n'y en a plus", déplorait ainsi en septembre le directeur sportif des équipes nationales, Joti Chatzialexiou.

Le niveau de l’équipe dans son ensemble, d’ailleurs, est questionnable. Des joueurs comme Leon Goretzka, Ilkay Gündogan et Joshua Kimmich, censés être des moteurs, sont moins fringants qu’il y a deux ou trois ans, Serge Gnabry et Leroy Sané sont toujours aussi irréguliers, et un œil au banc de touche allemand, mardi soir à Vienne, suffit pour comprendre que le vivier n’est pas illimité.

"Mais ce qui m’intéresse, c’est de savoir plutôt pourquoi collectivement ça ne fonctionne pas", glissait Polo Breitner dans l’After. "Ce qui est arrivé à la Coupe du monde 2018 et encore en 2022, dans l’histoire de l’équipe d’Allemagne, ça ne peut pas, ne doit pas arriver. Le bilan de 2023, on n’a jamais vu ça, même dans les grandes crises du football allemand." Et de le résumer: "C’est un problème global." Que la Mannschaft doit résoudre avant le 14 juin 2024. Sous peine de vivre une nouvelle désillusion.

https://twitter.com/clementchaillou Clément Chaillou Journaliste RMC Sport