RMC Sport

Des hijabs et des victoires: Le match pour la tolérance des joueuses voilées de la Salam High School

Les joueuses voilées de l'équipe de la Salam High School

Les joueuses voilées de l'équipe de la Salam High School - DR/Salam High School

Leur histoire ne serait pas possible en France mais donne des réponses à un débat de l’Amérique moderne. Alors qu’elles portent toutes le voile sur le parquet, les joueuses de l’équipe de basket du lycée de la Salam School, à Milwaukee (Wisconsin), se sont retrouvées en pleine lumière ces derniers mois pour les obstacles qu’elles doivent surmonter et le symbole qu’elles représentent. Coach Kassidi Macak et ses joueuses ont accepté de raconter leur histoire à RMC Sport.

Quelques mots pour un destin hors du commun. "Plus qu’un score". Quand Kassidi Macak a réuni ses joueuses en début de saison dernière pour choisir des devises sur lesquelles l’équipe promettait de s’engager, la jeune coach et ses troupes ne se doutaient pas que l’une des expressions sélectionnées pourrait les mener si loin. Kassidi Macak et ses basketteuses en herbe ne remporteront jamais de titre mondial ou olympique. Vous ne les verrez jamais à l’œuvre dans un grand événement sportif à la télévision. Mais leur histoire est un symbole. Puissant. Au point de finir dans les pages du Washington Post et en reportage vidéo sur CBS et Bleacher Report, qui avait pris la légende du basket féminin US Sue Bird dans ses bagages pour leur rendre visite, alors que la chaîne CNN est également venue tourner récemment. Kassidi Macak entraîne l’équipe de filles du lycée de la Salam School, école confessionnelle musulmane située à Milwaukee (Wisconsin) avec plus de 800 élèves engagés du jardin d’enfants à la terminale.

Scénario à l'américaine

Particularité? Les joueuses portent toutes un voile, un hijab pour être précis. Et elles gagnent. Contre les préjugés, les provocations et leurs adversaires (5-3 pour l’instant dans leur championnat cette saison avec une équipe très rajeunie). "Avant que j’arrive, elles n’avaient jamais gagné plus de deux matches dans une saison, raconte 'Coach Kass', qui passe sa quatrième saison sur le banc des Stars, à RMC Sport. Ma première saison, on en a remporté six, puis huit la suivante et quatorze la saison dernière (défaite au premier tour des playoffs, où l'équipe avait obtenu le dernier "seed" malgré son bilan, peut-être une forme de jalousie des instances après son exposition médiatique énorme, ndlr). Le fait qu’elles soient devenus si bonnes si vite est ce qui a attiré l’attention sur elles. Et bien sûr qui elles sont en tant que personnes." Un vrai scénario à l’américaine qui ne pourrait pas avoir lieu en France mais qui trouve de la résonance dans un pays où le multiculturalisme est une réalité installée.

"On montre que les musulmanes ne restent pas seulement à la maison"

Comprendre l’importance de l’histoire des joueuses voilées de la Salam High School aux Etats-Unis et le pourquoi de leur médiatisation, c’est saisir tout ce qui se joue derrière leur "plus qu’un score". "Qu’on gagne ou qu’on perde, on représente les musulmans et on montre que les musulmanes ne sont pas oppressées, qu’elles ne restent pas seulement à la maison, qu’elles peuvent prendre part aux activités scolaires ou jouer au basket", témoigne Safiya Schaub, ancienne capitaine diplômée au printemps dernier (comme cinq autres de ses anciennes coéquipières) qui revient à l’école pour jouer le rôle d’assistante de Kassidi Macak et coacher des plus jeunes.

Coach Kassidi Macak (au centre) et ses joueuses
Coach Kassidi Macak (au centre) et ses joueuses © DR/Wisconsin Muslim Journal

"Quand je vais partir, je serai fière de laisser cet héritage derrière moi, tout ce qu’on a dit sur nous et notre histoire sur les réseaux sociaux, les messages qu’on a reçus, le fait d’avoir brisé les stéréotypes pour les femmes musulmanes, enchaîne Jumana Badwan, seule joueuse de dernière année (et capitaine) cette saison. Les gens pensent qu’on ne fait pas du tout de sport. Je serai fière de leur avoir montré qui on peut être en tant que musulmanes." "Fière" de toutes les batailles remportées, symboliques ou concrètes. De ce qu’il a fallu surmonter. Les joueuses des Stars sont "des adolescentes américaines typiques", dixit Coach Kass. "Elles sont sur Snapchat et Instagram, précise-t-elle. La seule différence, c’est ce qu’elles portent sur la tête."

Hijab, manches longues, pantalon de survêt'

Un bout de tissu qui en fait des symboles. Les joueuses de Coack Kass, ancienne joueuse universitaire (victorieuse de la Wisconsin Collegiate Conference en 2012 avec Wisconsin Waukesha) qui a "grandi en tant que catholique" mais "ne sui(t) aucune religion", disputent leurs matches avec un hijab, des manches longues et un pantalon de survêtement. Un "uniforme" obligatoire lors des activités sportives comme scolaires, même si les filles sont libres de porter le voile ou non en dehors de l’école, et pour lequel Salam – qui veut dire "paix" en arabe – obtient depuis plusieurs années une autorisation de la Wisconsin Interscholastic Athletic Association (organisme qui gère le sport lycéen dans cet Etat). 

"Friday Night Lights''

Des tenues au cœur de leur première bataille remportée: jouer des matches à domicile. "Le gymnase de notre école est attenant à la mosquée, précise Kassidi Macak. Les gens ne voulaient pas de matches à domicile à cause de la façon dont s’habillaient les adversaires. Lors de ma première année ici, nous n’en avions aucun au programme. Après quatre ou cinq victoires, les joueuses de dernière année ont écrit une belle lettre au principal pour expliquer qu’elles voulaient un match à domicile. Leur demande a été approuvée. Et on a gagné. La saison suivante, on avait trois matches à domicile au programme en accord avec l’administration. On a eu encore plus l’année suivante et cette saison on en a huit, à peu près la moitié de notre calendrier comme n’importe quelle équipe."

Les joueuses de la Salam High School (en blanc) lors d'un de leurs matches à domicile
Les joueuses de la Salam High School (en blanc) lors d'un de leurs matches à domicile © DR/Wisconsin Muslim Journal

Convaincre a toujours été au cœur de la mission de Coach Kass. Les parents, d’abord. Parmi les plus traditionnalistes, beaucoup étaient réticents à sortir leur(s) fille(s) de la discrétion en les laissant s’exprimer sur le parquet. Et peu possédaient la culture "Friday Night Lights". "Il y a toujours une lutte pour que certains parents montent dans le train mais ce qui est cool, c’est de voir l’évolution, explique Coach Kass. Les deux premières années, aucun parent ne venait voir leur enfant jouer. Ils les déposaient et partaient. Mais maintenant, presque tous viennent. Ça évolue doucement mais ça reste une lutte car la plupart de ces parents n’ont pas grandi aux Etats-Unis et ne connaissent pas ce système du sport lycéen. C’est quelque chose de culturel."

Faire taire les sceptiques par le jeu

Qui va bien au-delà des murs de l’école. Le match contre la tolérance des Salam Stars, qui affrontent souvent des équipes d'écoles catholiques, débute souvent avant le coup d’envoi. Dans les regards et les attitudes de celles et ceux qui ne pensent pas une fille voilée capable de se montrer au niveau, adversaires comme spectateurs. "Quand ils nous voient, les gens ne nous prennent pas au sérieux et se disent qu'on ne sait pas jouer, confirme Jumama Badwan. Le meilleur sentiment est de leur montrer le contraire." "Tu arrives à sentir dès l’entrée dans la salle s’ils pensent qu'on ne vaut pas grand-chose et que ça va être une victoire facile pour eux, poursuit Safiya Schaub. On se dit: 'Allons gagner pour leur montrer qu'on peut jouer aussi bien qu'elles malgré notre voile ou la façon dont on s'habille'." Un rebond pris, un tir réussi ou un dribble qui passe, voilà la réponse des Stars. "On voit le changement dans leurs yeux, s’amuse Safiya Schaub. On voit qu'elles se disent: 'Oh, il va falloir commencer à vraiment jouer, on ne peut pas les prendre à la légère'." "Elles savent que les autres filles les dénigrent juste à cause de ce qu’elles portent et quand quelqu’un qui ne vous connaît pas vous voit comme inférieur et que vous pouvez immédiatement lui répondre par vos actions, c’est un sentiment génial", insiste Coach Kass. 

"Ils nous provoquent"

Il y a le mépris sportif. Il y a aussi un mépris plus large, sociétal, religieux. Ces mots irrespectueux voire insultants glissés à l’oreille des joueuses ou qui descendent des tribunes. Les deux matches contre Carmen, la saison dernière, symbolisent ce défi. Le Washington Post raconte celui à domicile, avec doigts d’honneur des filles de Carmen à la fin de la rencontre et un fan adverse qui hurle sur une joueuse de Salam et tente de l’attaquer. Safiya Schaub et Jumana Badwan préfèrent parler de l’aller, à l’extérieur. "Leur salle débordait, il y avait tellement de monde et ils criaient et étaient tous irrespectueux, même les adultes, raconte la première. On était choquées de leur comportement."

Les joueuses voilées de l'équipe féminine de la Salam High School
Les joueuses voilées de l'équipe féminine de la Salam High School © DR/Salam High School

L’hostilité vire parfois presque au danger. "D'une certaine façon, oui, surtout si les filles contre qui on joue sont déjà en train de nous malmener physiquement, reprend Safiya Schaub. Il y a de l'agressivité dans le basket mais à un certain point, on se pose des questions. Si les filles de l'équipe agissent comme ça, après le match, Coach Kass dit tout de suite: 'Rentrez aux vestiaires, ne parlez à personne, ne répondez pas à la foule'. Elle est soucieuse de notre sécurité. C'est une chose qui fait peur. Quand on se tape dans la main à la fin du match, tu ne sais pas ce qui peut se passer ou ce que les adversaires vont dire. Et ils essaient. Ce sont eux les instigateurs. Ils veulent nous pousser à réagir. Ils nous provoquent." 

Poids des responsabilités

Il faut de la force de caractère pour ne pas répondre et laisser glisser. Oublier un peu ce qu’elles sont pour porter le poids des responsabilités de ce qu’elles symbolisent. "Même si on a toujours ça dans un coin de la tête, que notre école nous rappelle en permanence que nous jouons en voile et que nous représentons tous les musulmans dans notre communauté, nous restons des adolescentes, confirme Safiya Schaub. Il y a des choses auxquelles on a envie de réagir, où on se dit: 'Oh mon Dieu, mais qu'est-ce que font ces gens?' Tu veux leur rendre la monnaie de leur pièce, s'attaquer à eux comme ils s'attaquent à toi."

"Si une musulmane voilée fait des choses comme ça..."

"Plus qu’elles-mêmes, elles représentent une foi qui intimide les gens et dont ils ont peur, résume Coach Kass. Sur le parquet, il est facile d’être dans la chaleur du moment quand des choses sont dites et de réagir. Mais elles ne me disent pas si une adversaire leur dit quelque chose de vraiment mal. Elles essaient de me protéger car elles savent que ça m’énerverait beaucoup. C’est incroyable de voir à quel point elles sont vraiment responsables pour leur âge. Je me souviens d’un match où les provocations étaient constantes. J’avais demandé à mes joueuses ce qui se disait et elles m’ont répondu: 'Peu importe, on va gérer, tout ira bien'. Mais on pouvait voir que l’environnement était tendu, intense, hostile, donc j’ai pris un temps-mort pour leur dire d’oublier ce qui se passait et de se souvenir qu’on jouait un match de basket. C’est la seule fois où je me suis dit que ça pouvait vraiment partir en vrille."

Safiya Schaub, capitaine la saison dernière, pose avec l'édition du Milwaukee Journal Sentinel évoquant l'histoire des Stars à la Une
Safiya Schaub, capitaine la saison dernière, pose avec l'édition du Milwaukee Journal Sentinel évoquant l'histoire des Stars à la Une © DR/Salam High School

Et de conclure: "L’adolescente américaine typique qui ne porte pas sa religion aussi ouvertement peut faire des choses bêtes ou dire des choses stupides en public sans être regardé façon 'mais qu’est-ce qu’il se passe?'. Mais si une musulmane voilée fait des choses comme ça, elle est plus regardée avec dégoût. Elles savent que c’est plus grand qu’elles. Mes joueuses représentent l’équipe, l’école, leur famille mais aussi leur religion. C’est plus qu’un match, plus que ce gars qui me crie dessus depuis l’extérieur." Les joueuses apprécient Coach Kass, qui a su expliquer à leurs parents l’importance de s’impliquer dans l’équipe et d’avoir un endroit comme le parquet pour libérer leurs émotions, pour son ouverture à leur culture. Avec le temps, et les moments partagés sur comme en dehors du terrain, la coach qui a "grandi à cinq minutes de cette école sans savoir qu’elle existait" et ne connaissait "pas vraiment" de musulmans au point de demander à ses joueuses de l’excuser "en cas de questions bêtes" dans les premiers temps a appris à connaître cette religion. A sortir des clichés répandus par certains. Tout sauf illogique, donc, de la voir prendre très à cœur ce que peuvent vivre et ressentir ses filles. 

"Parfois les premières filles musulmanes que les gens voient en personne"

"Je n’ai reçu qu’une seule faute technique depuis que je suis ici, se souvient-elle. On jouait à l’extérieur, le match était très serré, les gens commençaient à se crier dessus. Une de mes joueuses s’est levée sur le banc et l’arbitre s’est tournée vers moi pour dire: 'Contrôlez-les'. Je l’ai pris tellement mal... Mais qu’est-ce que tu veux dire par 'contrôlez-les'? Je me suis complètement lâchée sur le gars. Après le match, je me souviens m’être excusée auprès de mes joueuses pour mon comportement et leur avoir dit que je comprenais mieux ce qu’elles vivaient et combien elles devaient être dans la maîtrise et la retenue." Avec ses Stars, l’ouverture au monde n’est pas qu’une image. Quand elles se déplacent en dehors de Milwaukee, les joueuses de Salam sont "parfois les premières filles musulmanes que les gens voient en personne".

Sur fond de Donald Trump

"Quand je transporte douze filles voilées dans un van à travers les contrées rurales du Wisconsin, beaucoup de têtes se tournent à notre passage, poursuit Coach Kass. Il y a trois ans, nous avions voyagé deux heures pour un match régional que nous avions perdu. Nous sommes allées dans un restaurant. Je suis entrée après les filles, qui étaient en train de regarder le menu, et tous les serveurs comme les clients les regardaient en silence. Je leur ai lancé: 'Qu’est-ce que vous avez dit? Vous puez ou quoi?' La caissière a souri. C’était un de ces moments où j’ai envie de dire aux gens: ce ne sont que des adolescentes, vous n’avez pas à avoir peur. On parle de notre histoire maintenant mais ça nous arrive depuis longtemps. Quand on se déplace à deux heures de la ville, elles apprennent aux gens des choses à propos de leur religion et de qui elles sont en tant que personnes."

Une joueuse de la Salam High School (en blanc) au tir lors d'un match
Une joueuse de la Salam High School (en blanc) au tir lors d'un match © DR/Wisconsin Muslim Journal

Leur match pour la tolérance veut dire beaucoup à une époque où les divisions enflamment les Etats-Unis du président Donald Trump, qui a notamment tenté d’instaurer une interdiction de rentrer dans le pays pour des ressortissants de certains pays musulmans. "C’est vraiment beaucoup plus important maintenant que ça ne l’aurait été il y a cinq ans ou n’importe quand auparavant, constate Coach Kass. En ce moment, les gens ont des opinions arrêtées et n’en changent pas. Mais là, ça peut leur parler. Chaque Américain a fait du sport au lycée. Et maintenant, quand ils voient une femme voilée dans la rue, ils peuvent se dire: 'J’ai vu l’histoire de ces joueuses voilées qui jouent vraiment bien au basket, j’adore ce sport, ça nous fait un point commun'. Aux yeux de certaines personnes, ça les humanise. Mais je ne sais pas si elles le réalisent vraiment car elles ne sont que des adolescentes. Elles se disent juste: 'C’est cool'. Quand elles seront plus âgées, j’espère qu’elles comprendront l’importance de voir leur histoire exposée à notre époque, surtout avec le président que nous avons et toute la haine qui en découle."

L'exemple Ibtihaj Muhammad

Les basketteuses de Salam, seule équipe 100% voilée de sa ligue (et peut-être du pays), font partie d’un mouvement plus global: Nike vend désormais des hijabs pour les athlètes musulmanes, l’escrimeuse américaine Ibtihaj Muhammad a ramené le bronze de Rio, où elle était la première athlète musulmane américaine voilée à participer aux JO, et plusieurs fédérations internationales ont supprimé l’interdiction du port du hijab ces dernières années (FIFA, FIBA, AIBAT, etc). "Il est important, à notre époque, de montrer à nos enfants que ce voile ne devrait pas être restrictif pour nous, explique Ream Bahhur, professeur d’algèbre à Salam, dans le Milwaukee Journal Sentinal. Qui nous sommes, d’où nous venons et ce en quoi nous croyons ne devrait pas limiter jusqu’où on peut aller. On a tellement de grands exemples maintenant, aux Jeux olympiques, au Congrès. On brise beaucoup de stéréotypes."

Double culture

"Elles répandent la paix à travers le basket, enchaîne Midhat Farrah, qui a joué dans la première équipe de basket masculine de Salam en 2003 et coache maintenant les cinquièmes. Elles se comportent de façon islamique et montrent aux gens que l’islam est une religion de paix." "Les gens nous regardent et ne pensent pas 'joueuses de basket' ou 'adolescentes' mais ‘musulmanes’, explique Nadira Ali, qui jouait dans l’équipe la saison dernière, au Washington Post. Et la première chose à laquelle ils pensent, c’est un stéréotype vu dans les médias. On doit donc être au top à tous les niveaux. C’est plus une responsabilité qu’un fardeau. Nous représentons notre foi."

Coach Kass (en bleu) avec ses seniors (joueuses de dernière année) la saison dernière
Coach Kass (en bleu) avec ses seniors (joueuses de dernière année) la saison dernière © DR/Salam High School

Les adolescentes ont des responsabilités d’adultes. Et elles assument, gardiennes d’une double identité revendiquée pour briser les barrières de la peur et des clichés, des pages du journal local (où leur explosion médiatique a commencé) à celle d’un prestigieux quotidien national. Dans leur salle, où on entend parfois une invitation à la prière du soir faite en arabe, on vend de la namoura (gâteau libanais) comme du popcorn frais. Quand elles gagnent, elles mettent de la musique pour danser et chanter. Et quand le Milwaukee Journal Sentinel se rend à leur entraînement, c’est NF – vu par beaucoup, même s’il s’en défend, comme un artiste de rap chrétien – qui leur donne le rythme dans les enceintes. Double culture. "J’espère que ça va ébranler l’idée qu’il faut adapter sa façon d’être musulman pour être américain", lance Florian Pohl, professeur des religions à l’Emory University d’Atlanta spécialisé dans l’histoire de l’islam, dans le Washington Post

"Elles sont les deux"

"Il y a deux ans, une de mes joueuses qui vient de Palestine m’a invité au mariage de sa sœur, un mariage très traditionnel, raconte Coach Kass. C’est génial qu’elles arrivent à faire la balance entre leur identité américaine et les racines de leur pays d’origine. Elles prennent ces deux identités pour faire leur propre identité. Elles ne sont pas seulement américaines ou seulement palestiniennes ou pakistanaises. Elles sont les deux. Et il faut pouvoir apprécier les deux pour les mixer. Quand j’ai commencé à les coacher, c’était basket, basket, basket. Et l’année dernière, j’ai plus fait de développement personnel car l’aspect mental de devenir un adulte et un leader est au moins aussi important. Si je n’avais pas eu six joueuses de dernière année dans l’équipe et que nous n’avions pas fait cet exercice, nous n’aurions pas eu autant de succès et la grande couverture médiatique dont nous avons bénéficié car elles n’auraient pas été des jeunes femmes responsables mais simplement des adolescentes. Là, elles ont pu prendre ça de front et ne pas être apeurées. Elles étaient confiantes, fières, et se disaient: 'C’est ce que je fais et qui je suis et si vous voulez me poser des questions, je suis là pour y répondre'."

Effet boule de neige

"Personne ne peut s’attendre à ça, pointe Safiya Schaub. Nous sommes de simples filles du Wisconsin dans une petite école musulmane. J’avais juste envie de m’éclater pour ma dernière année et je me suis retrouvée avec toutes ces responsabilités, ces yeux braqués sur moi. Il fallait être un bon exemple pour les autres. Je ne pensais pas que les gens seraient intéressés, surtout avec la réputation des musulmans dans les médias, où beaucoup vont à l’encontre de cette communauté. C’est très cool d’être une inspiration pour des gens et d’avoir un impact. On peut être fières de notre histoire." En point de comparaison avec la France, on raconte à Coach Kass l’histoire de l’accompagnatrice scolaire priée par un élu, contre la loi, de retirer son voile dans une séance de conseil régional à laquelle elle venait assister avec des élèves. Elle n’en croit pas ses oreilles: "C’est hallucinant. Je ne peux même pas imaginer si je faisais une sortie au Capitole avec mes joueuses et qu’on nous disait qu’elles ne pouvaient pas venir en portant leur voile..."

Des joueuses de la Salam High School avant un match
Des joueuses de la Salam High School avant un match © DR/Wisconsin Muslim Journal

Aux Etats-Unis, pays où seule la victoire compte, il faudra continuer à gagner pour exister. Pas facile quand on partage avec huit autres équipes le seul petit gymnase (sans douches) de l’école – il y a l’idée d’en construire un plus grand – et qu’une salle de classe sert de vestiaire avant les matches. Mais l’effet boule de neige de la médiatisation a motivé des jeunes, à l’image des sept joueuses de première année qui évoluent pour Coach Kass (qui a aussi lancé un programme de basket féminin dans la partie école primaire) cette saison et veulent "poursuivre l’héritage de celles passées avant". A terme, un titre de conférence – on ne parlera pas encore du championnat d’Etat – serait un Graal à atteindre pour valider l’évolution positive. "Si notre école gagnait un titre, ce serait énorme, sourit Safiya Schaub. On serait les premières musulmanes à le faire en tant qu’équipe, ce serait génial. J’espère voir ça un jour." 

"Un travail qui compte vraiment"

Les choses changent vite pour les joueuses de Salam. Désormais, leur salle est toujours pleine pour les matches à domicile. "Les gens sont parfois debout pour nous regarder jouer car il n’y a pas assez de sièges", précise Coach Kass. La perception des adversaires a elle aussi changé. "Ils se comportent mieux avec nous après ce qui est sorti dans les médias et certaines équipes veulent plus nous battre qu’avant", explique-t-elle. Celle qui travaillait au guichet d’une société de locations de voitures avant de convaincre le directeur athlétique de Salam, Dave Petrick, arrivé en 2002 comme professeur d’éducation physique (la partie lycée n’existait pas encore) et qui se souvient avoir été questionné sur le fait d’être "un espion" par un jeune élève dans une période post 11-septembre où la communauté musulmane était ciblée, de créer un poste d’assistante pour la garder à temps plein vu le bon boulot effectué avec ses filles a conscience d’effectuer "un travail qui compte vraiment, surtout avec la façon dont leur histoire a été relayée". Quand ses filles avaient sorti leur "plus qu’un score" devenu credo, Coach Kass avait tenu à leur préciser: "Vous faites quelque chose de très important". Elle ne parlait pas de basket.

Alexandre HERBINET (@LexaB)