Commotions: "Des joueurs me racontent leurs douleurs, leurs problèmes de sommeil et de mémoire", explique Cudmore

Comment avez-vous réagi à la lecture de l’interview de Carl Hayman?
JAMIE CUDMORE. Je n’étais pas surpris, j’ai vécu à peu près la même histoire, beaucoup de matchs joués, et les séquelles à la suite de tout ça. Je parle souvent avec mes anciens coéquipiers et adversaires, et ils me racontent leurs douleurs, leurs problèmes de sommeil, leurs difficultés à se souvenir de certaines choses… Ce n’est pas bon. On voudrait garder de beaux souvenirs de notre carrière, mais comme Carl l’a dit, on a peur de tout oublier dans peu de temps.
Vous êtes-vous reconnu dans ce témoignage?
Oui. Au début on ne connaissait pas trop le danger des commotions. On se disait "tu es un peu touché, mais tout va bien". Mais avec les différentes recherches faites dans le monde, on a compris que les commotions peuvent laisser de vraies séquelles, tout comme l’accumulation des petits chocs à l’entraînement ou en match pendant des années et des années. On a subi dix fois plus de ces petits chocs à l’entraînement qu’en match…
Vous avez été l’un des premiers à prendre la parole sur ce sujet en France, est-ce que d’autres joueurs vous contactent pour vous confier leurs problèmes?
Enormément, oui. Et pas juste des joueurs pros, mais aussi des amateurs. C’est dramatique, tu ne devrais jamais perdre la mémoire pour avoir joué au rugby. Heureusement, ça commence à évoluer, mais ça change plus vite dans les autres pays qu’en France. C’est un bon signe, car pour la santé des joueurs, on est obligés d’évoluer. Il est important de changer notre mode de fonctionnement, de réduire le nombre de jours avec contacts à l’entraînement.
Pourquoi dites-vous que la France est en retard?
Je pense qu’on est un peu ancrés dans le old school. Dans plusieurs pays, on voit que les joueurs sont sortis définitivement après une commotion (ou une suspicion, ndlr). Mais les instances professionnelles ont dit "non, nous on sait mieux que les neurologues ou les scientifiques du sport", et elles autorisent les joueurs à rejouer six jours après une commotion. A mon époque, c’était quinze jours. Mais on réduit, on réduit, on réduit, pour que les clubs aient leurs meilleurs joueurs à disposition chaque week-end.
Que faudrait-il faire pour s’améliorer? World Rugby parle de protège-dents connectés, d’études plus poussées sur les chocs à l’entraînement…
Je parle souvent avec un groupe de recherche à l’université de Swansea qui utilise le protège-dents connecté, et c’est très, très intéressant. Ça nous donne de nouvelles données sur le nombre de chocs reçus, et surtout sur la force de ces chocs. Si on parvient à définir tout ça, on sera mieux armés pour protéger les joueurs, et leur permettre ainsi de jouer plus longtemps.
Comment jugez-vous la communication de World Rugby sur les commotions, sur la démence dans le sport?
Comment dire… Ce sont deux ou trois phrases lancées pour les médias, pour se dire "ok, c’est bon, ils font le travail". Mais ils se servent de données d’instances pas vraiment scientifiques pour défendre les six jours d’arrêt, par exemple. Il faudrait qu’ils soient plus transparents, qu’ils montrent ce qu’ils font vraiment. Pour moi, c’est davantage de la relation publique que du concret.
Ces témoignages peuvent-ils dissuader certains parents d’inscrire leurs enfants au rugby?
Bien sûr. Si tu n’as pas confiance en la capacité de l’entraîneur à chercher les espaces, à produire un rugby moderne, au lieu de taper dans le bouclier, ce n’est pas bon. Après, c’est justement aux entraîneurs de promouvoir un jeu de mouvement et de vitesse. Les enfants prendront en plus davantage de plaisir. Et à la moindre blessure, les joueurs doivent sortir définitivement jusqu’à ce qu’ils voient un docteur. C’est ça qui doit changer, selon moi. Et partout. Il ne devrait pas y avoir de "c’est bon, ce gamin est costaud, il peut continuer". Non, ce n’est pas la question. Si le gamin a une jambe cassée, personne ne va lui demander de continuer à jouer au rugby. C’est pareil pour une commotion, qu’elle soit petite ou grande. Tant que tu n’as pas l’aval du médecin, tu ne rejoues pas. Il faut faire de la prévention auprès de tous les éducateurs à ce sujet.
Carl Hayman estime qu’il a reçu plus de 150.000 chocs à la tête dans sa carrière. Est-ce possible?
Bien sûr. Sachant qu’en plus des matchs, il s’entraînait quatre ou cinq fois par semaine… Tu reçois des petits chocs quand tu fais une séance de rucking, de placage, de mêlée en tapant sur un joug qui ne bouge pas… Tu peux absorber tous ces petits chocs individuellement. Mais après 300 ou 400 matchs, tu arrives à plusieurs centaines de milliers.