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"On met tout sous le tapis", le cri d’alarme de Blaise Giezendanner après la mort du skieur Matteo Franzoso

Le descendeur français Blaise Giezendanner le 18 janvier 2025

Le descendeur français Blaise Giezendanner le 18 janvier 2025 - Mathias Mandl/Icon Sport

Le descendeur français Blaise Giezendanner était en Amérique du Sud avec l’équipe de France quand l’italien Matteo Franzoso est décédé à l’entrainement à seulement 25 ans. Au micro de RMC Sport, le skieur tricolore tire la sonnette d’alarme pour éviter un nouveau drame.

Blaise Giezendanner, il y a quelques semaines, il y a eu le décès sur une piste d’entrainement en Amérique du Sud de l’Italien Matteo Franzoso (25 ans). Des skieurs, comme Adrien Théaux, ont réagi pour que tout le monde se mette autour de la table et trouve des solutions face à ces accidents. Vous, quelle est votre position?

On fait une discipline à risque. Il n'y a pas de problème sur ça. On l'accepte tous. Mais il y a un risque. Il y a ce genre d'accidents qui ne sont pas acceptables. Aujourd'hui, même sur une piste de Coupe du monde, le risque zéro n'existe pas. Mais on s'en rapproche fortement. Et quand on s'entraîne en Amérique du Sud, clairement, ce ne sont pas les mêmes conditions d'entraînement. Les pistes ne sont pas aussi dures même si là, la piste où il y a eu l'accident est une piste qui va très très vite. Le problème, c’est que lorsqu'on voyage à l'autre bout du monde et qu'on arrive sur ces endroits, les sécurités sont mises en place par les équipes nationales et pas par les responsables de stations. Ce ne sont pas les stations qui sont responsables des sécurités. S'il y avait un problème, ça serait eux les responsables. C'est pour ça qu'ils se dédouanent de tout ça en ne faisant rien.

On est arrivé à un point où il y a tout pour faire et rien ne se passe. Il y en a qui se passe

Et je pense que la FIS peut plus fermer les yeux là-dessus et est obligée de mettre son holà d'organisation internationale qui est responsable de ça, dans un sens. Elle a les capacités financières et le pouvoir politique pour le faire. Sauf qu'aujourd'hui, c'est pareil. Si elle met le nez dedans, c'est elle qui est responsable. Ça veut dire que c'est à elle d'assurer la sécurité de tous ses entraînements. On le sait, c'est beaucoup d'investissement financier, personnel aussi, parce qu'il faudrait qu'il y ait quelqu'un sur place pour assurer que l'entraînement se passe dans les meilleures conditions. Ça demande beaucoup, mais ils ont les moyens de le faire. C'est ça qui nous énerve aujourd'hui, les athlètes. On est arrivé à un point où il y a tout pour faire et rien ne se passe. Il y en a qui se passe, malheureusement. Il y en a qui payent de leur vie, il y en a qui payent de leur corps. C'est malheureux. On ne fait pas du ski pour ça. On ne fait pas du ski pour les décès. On ne fait pas du ski pour tout ça. On ne devrait pas être au départ d'une course ou d'un entraînement et se dire que c'est peut-être ma dernière piste. Ça, ce n'est pas normal. Ce qui est arrivé à Matteo, malheureusement, c'est dramatique. Pour moi, ça reflète juste l'état actuel des choses. Quand on a appris l'accident, nous, on est tous choqués, bien sûr, mais on s'en doute que ce genre de choses arrive. Ça pourrait arriver beaucoup plus souvent, malheureusement. Ça arrive beaucoup, mais il pourrait y en avoir un tous les jours, dans l'état actuel des choses. Je pense qu'il faut qu'il y ait quelqu'un là-haut qui prenne ses responsabilités et dise qu'à partir de maintenant, on change le système, on accepte que les entraînements soient encadrés. C'est facile à dire, mais la FIA l'a fait en Formule 1, où les essais sont devenus privés, les essais sont encadrés. La descente, ça devrait être pareil, ça devrait être encadré.

Est-ce qu’à force de pointer du doigt ces problèmes et que ça vienne de vous, les athlètes, ça pourrait faire bouger les choses?

C'est sûr qu'une voix commune, ça serait plus fort, même si là, ils ont entendu, ils comprennent. Mais encore, il y a dix jours, il y avait des réunions à Zurich. Ce n'est pas le sujet prioritaire, c'est ça qui me désole. Quand on discute avec les acteurs qui étaient là-bas, ils me disent que Matteo Franzoso, ce n'est pas la priorité de la discussion. Aujourd'hui, on nous parle de tests de féminité, alors que ce n'est pas ça le sujet le plus important. Je suis désolé, c'est bien qu'on en vienne là, mais ce n'est pas le plus important, ce n'est clairement pas le plus important. J'ai l'impression qu'on met tout sous le tapis et qu'on attend. Le problème, c'est qu'un jour, ça va arriver à quelqu'un de beaucoup trop influent, ça va prendre une ampleur pas possible. Là, ça reste juste un gars de plus. Moi, ça me désole pour ça. Et on se pourrait dire que ça pourrait être lui, ça pourrait être moi, ça pourrait être n'importe qui. Ça ne changerait pas des masses la situation. On serait toujours dans les mêmes discours.

Quand vous dites "on ne peut pas prendre le départ et se dire c’est ma dernière piste", ce sont des pensées que vous avez pendant la saison?

Heureusement que non. Sinon, je ne le ferais pas. J'aime bien le risque, mais quand même. C'est juste que ça nous traverse l'esprit, bien sûr, on y pense. Mais c'est des situations auxquelles nous, on est habitué. Et en fait, nous, on est au contrôle de nous-mêmes. On est sur une piste tout seul. C'est nous qui contrôlons. On fait confiance 100% à notre personne. On ne se dit pas que si je fais une erreur là-bas, potentiellement, je vais mourir. Même si, des fois, on est entre nous, et on discute. On se dit, « tu as vu ce matin le virage là-bas, là ? Il ne faut pas tomber, ouais, il ne faut pas tomber ». Mais ça fait partie du jeu. Il ne faut jamais tomber. Malheureusement, le jour où on tombe, des fois, ce n’est rien. Des fois, c'est un ligament croisé. Et puis malheureusement, des fois, c'est bien pire.

Vous en avez discuté avec le groupe après cet accident?

Oui, après, nous, c'est particulier parce que notre groupe a été touché par ça. En tout cas, nous, les anciens, avec David (Poisson) en 2017, ce sont des plaies qui ne se refermeront jamais. Et on continue d'en parler entre nous. Ça a plus touché les jeunes, on va dire, dans le sens où ils étaient plus proches de Mattéo que nous. Et eux, ce sont des plaies qu'ils n'avaient pas à la base. L'épisode de David Poisson, il l'avait vécu plus ou moins de loin. Là, il s'était vraiment confronté à ça. Et vraiment du style, en fait, c'est réel. Ce qui se passe, c'est réel. Et c'est dur parce que nous, on en parle entre nous. On essaie d'inculquer un peu ce qu'on a vécu avec David et comment on l'a surmonté pour l'expliquer aux jeunes. Mais c'est dur, c'est difficile. Et puis, on le vit chacun d'une autre manière. Malheureusement, c'est paradoxal, mais le lendemain, on y retourne. Bon, pas sur la piste où il s'est fait mal. Mais le lendemain de l'accident de Mattéo, on était à l'entraînement. Et bien sûr, on a tous le droit de ne pas y aller, de réfléchir, de se dire je ne me sens pas. Mais on y était tous.

Vous avez été obligés d’avoir certaines discussions avec les jeunes?

Ah oui, nous, on leur a dit. Je leur ai dit, si vous ne vous sentez pas, déjà, allez parler aux entraîneurs, parce qu'ils sont là pour ça, mine de rien, il ne faut pas oublier. Si tu veux dormir ce matin, tu restes dans ton lit, tu dors. Tu ne vas pas à l'entraînement, tu as le droit. Ce n'est pas une faiblesse. Personne ne va te juger, il ne va rien se passer. Chacun gère cette situation à leur manière. Alors malheureusement, ça ne le fera pas revenir. Mais s'il faut que tu arrêtes de skier, tu arrêtes de skier. On a vu des Italiens qui sont rentrés chez eux. Et il y en a qui sont restés sur la piste à faire encore deux semaines d'entraînement là-bas. Donc, on gère tous à notre manière. Nous, on devrait avoir souci que d'une chose, c'est d'aller vite.

Propos recueillis par Léna Marjak