"Ceux qui voteront pour le Russe seront des assassins de la boxe", dénonce Dominique Nato

"C’est l’avenir de la boxe en général qui va se jouer." L’élection pour la présidence de l’IBA, la fédération internationale de boxe se déroule ce dimanche à Yerevan en Arménie. Le président sortant, le Russe Umar Kremlev, dont l’élection en mai dernier avait été invalidée par le tribunal arbitral du sport, fait face au Néerlandais Boris van der Vorst, qui n’avait pu se présenter à l’époque après qu’une commission "indépendante" d’éthique l’en ait empêché sous prétexte qu’il avait commencé sa campagne trop tôt.
Umar Kremlev, proche du pouvoir en Russie et soutenu par Gazprom a renfloué les caisses d’une fédération financièrement au bord du gouffre. Le seul président Russe d’une fédération internationale, avec Vladimir Lisin à la fédération internationale de tir sportif, s’oppose depuis plusieurs mois avec le président du CIO, Thomas Bach. La boxe fait partie du programme olympique pour les Jeux de Paris en 2024, mais a pour le moment été retirée de celui de 2028. L’organisation du tournoi olympique de Tokyo et celui de Paris dans deux ans ont été retirées à l’IBA et pris en main par le CIO. Dominique Nato, le président de la fédération française de boxe, se rend demain à Yerevan où avec plusieurs pays majeurs de la boxe il compte faire entendre la voix de la raison et faire élire le candidat néerlandais. "Ceux qui voteront pour le Russe seront des assassins de la boxe", lance l’ancien champion de France poids lourds.
Quelle est l’importance de l’élection du président de l’IBA ce week-end ?
Le congrès à Yerevan est ultra important dimanche. C’est l’avenir de la boxe en général qui va se jouer. Pour le moment on est dans le programme olympique à Paris, c’est certain. Mais pour le moment on n’est pas du tout au programme de Los Angeles. Le CIO a mis en demeure la fédération internationale de changer sa gouvernance et elle en a été incapable. Pour le moment c’est un russe, Umar Kremlev qui est président. Et tant qu’il sera à la présidence, on sera à l’extérieur du programme olympique. Ce qui entraîne une catastrophe humanitaire pour notre discipline. Quand on sort du programme olympique, les aides ministérielles, les aides des collectivités et de l’État et tout ce qu’il sen suit… On deviendrait une fédération non olympique, ce serait vraiment quelque chose de terrible pour l’avenir de notre discipline. Il y a pas mal de pays qui se sont mobilisés, on fait partie d’un groupe de défense pour la boxe olympique avec les États-Unis car eux aussi sont impactés vu que les prochains jeux seront à Los Angeles en 2028, mais aussi l’Angleterre et tous les pays nordiques ainsi qu’un ensemble de pays sud-américains qui, eux, ont pris conscience que cette élection était vitale.
Quel est votre degré d’optimisme pour ce changement à la tête de l’IBA ?
Il y a deux candidats et ces deux mêmes candidats étaient en lice à Istanbul il y a quelques mois. Pour des motifs plus que bizarre, la commission d’évaluation des candidats a retiré la candidature du néerlandais. Soi-disant parce qu’il avait commencé sa campagne trop tôt. Ce sont des futilités, c’est vraiment un bras de fer qui va au-delà de la boxe. Entre Vladimir Poutine et Thomas Bach suite au scandale d’État de dopage qui a amené le CIO à prendre des dispositions drastiques pour les athlètes russes qui n’ont pas le droit de participer aux compétitions avec leur drapeau mais avec le drapeau du CIO. C’est un bras de fer au plus haut de l’État entre Poutine et Bach. Le candidat russe Umar Kremlev et soutenu par l’entreprise Gazprom, et par son gouvernement. Et nous, notre sport, on va être le dindon de la farce de ce bras de fer.
La situation semble claire et pourtant l’issue de l’élection est incertaine, comment est-ce possible ?
C’est le pouvoir de l’argent. C’est l’argent de Gazprom avec lequel Umar Kremlev est en contrat jusque jusqu’au 31 décembre 2022. C’est bien d’avoir de l’argent pour renflouer les caisses suite au désastre économique qu’il a récupéré. Mais un pays ne peut pas acheter une institution comme la fédération mondiale. Et c’est ce que veut faire comprendre le CIO aux membres de cette fédération internationale. Mais de toute façon, si on sort du programme olympique, il n’y a plus de compétition, il n’y a plus de projets olympique. Je n’ose même pas y penser. Ce serait tellement terrible pour notre sport au niveau mondial. Et même pour la boxe professionnelle car ce qui alimente le milieu professionnel, c’est la masse de boxeurs amateurs qui s’entraîne pour le rêve olympique. Quand on n’est pas un sport olympique, on devient des parias. La boxe est un sport de tradition, on est au programme olympique depuis toujours, c’est un des sports historiques. Pour moi qui ai vécu et trempé dans le monde de la boxe amateur depuis 1974, ça me fait tout drôle de me demander ce que l’on va devenir. On est n’est pas rattaché à un homme, mais a un passé, à une culture. Là on joue à la roulette russe, c’est le cas de le dire.
La boxe se retrouve aussi au milieu d’un conflit international qui dépasse le cadre du sport ?
Je le redis, mais on sera les dindons de la farce d’une bataille qui ne nous concerne pas. L’oligarque qui était à la tête de la fédération internationale d’escrime s’est retiré. Pourquoi le nôtre contre vents et marées essaye de garder la main. Pour essayer de faire un pied de nez à Thomas Bach ? On ne joue pas avec le CIO. On a pas la même puissance malgré tout l’argent que l’on peut mettre. On achète pas une légitimité olympique. Ça ne se paye pas.
Il y a plusieurs pays qui se sont alliés, mais concrètement qu’est-ce que vous pouvez faire ?
On essaye. On est derrière le candidat néerlandais, plusieurs pays puissant. Avec une volonté de transparence. Après, il y a du travail. Si il est élu il faudra travailler sérieusement pour reprendre la main sur tout ce qui n’a pas été dans le passé. Il y a de l’argent avec les retours financiers du CIO qui ont été gelés pour la boxe. On ne peut pas dire que l’on se retrouvera du jour au lendemain sans aucune aide financière. L’argent de Gazprom a servi à épurer les dettes qu’avait laissé la mandature précédente. De toute façon ce ne sont pas les méthodes qu’il faut revoir, c’est la personne. Aujourd’hui on est sûr de ne plus être au programme olympique si on reste en l’état actuel des choses, avec un président qui n’est pas légitime. Avec un vice-président ukrainien qui ne représente pas l’Ukraine. Il n’y a rien qui va. On essaye de se mobiliser avec les moyens du bord. On a notre légitimité passée. Les États-Unis sont le plus grand pourvoyeur de médaille des J.O. en boxe et le prochain pays hôte des JO après Paris. Les Jeux olympiques à Los Angeles sans la boxe ce serait quand même... (il ne termine pas sa phrase).
Et les autres (les pro-Kremlev) jouent sur ça en se disant : "Non mais ce n’est pas possible que la boxe soit retirée du programme olympique." Mais si! On a enlevé le karaté qui était sport de démonstration à Tokyo et qui ne l’est plus à Paris, pour mettre des disciplines nouvelles qui sont un peu plus porteuses au niveau des jeunes. On ne peut pas jouer à pile ou face. On doit assurer notre place au programme olympique. Et pour ça, il faut élire le candidat hollandais.
Est-ce que vous avez vu des choses bizarres dans la gouvernance et dans la campagne pour cette élection ?
L’argent reste le nerf de la guerre. On fait des promesses à certains pays. Par exemple les derniers champions du monde de boxe ont touché 100 000 €, chez les hommes et les femmes. De pratiquement rien, l’IBA a engagé des millions de dollars avec Gazprom... Est-ce que ce sera pérennisé ? On ne le sait pas. Il y a un juste milieu. Il y a des engagements financiers opaques. Il y a des choses qui nous échappent. Le train de vie du président fait que l’on peut s’interroger. Et il semblerait qu’il ait eu par Gazprom l’argent pour faire fonctionner sa fédération, mais également pour mener sa campagne. Il a eu deux enveloppes différentes. On est au milieu de tout ça sans chercher à l’être, avec des gens qui sont influençables et qui sont à la merci de 10 000 € par-ci, 10 1000 € par là. Mais ça coûtera beaucoup plus cher au monde de la boxe si on sort du programme olympique.
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant ce vote ?
Je suis triste d’être aujourd’hui à la veille d’une élection qui va être capitale pour notre sport. On joue notre survie. C’est comme si on dit à quelqu’un : "Tu vas prendre une gifle si tu n’arrêtes pas." Et là je crois que la gifle est prête à partir et qu’on va la prendre. On n’en est plus dans les intentions, on est sur la réalisation. Ce sont des menaces qui sont fondées et nous ne sommes plus au projet 2028. Il y a neuf sports qui vont essayer de rentrer au programme de Los Angeles. Je pense que notre place doit rester au programme olympique et Il faut que les gens s’effacent. Ce seront des criminels. Ceux qui vont voter pour le russe, je les considère comme des assassins de la boxe. Ce sont des mots forts, mais c’est ça. Et je prendrai la parole lors du congrès et je leur dirai. Je n’ai rien contre Umar Kremlev, et c’est très bien ce qu’il a fait d’épurer les dettes... Mais aujourd’hui ce n’est plus l’homme de la situation. Parce que le contexte n’est pas favorable. Si il reste là nous serons des victimes collatérales d’un bras de fer qui ne nous concerne pas.