
Manon FIOROT - AFP
UFC 315: Manon Fiorot, la quête d'une vie
Il y a certaines quêtes qui vous définissent plus que d'autres et guident votre existence. Pour Manon Fiorot, il n'y en a qu'une. Elle est ultime, obsessionnelle, inconditionnelle, intime, sans ambivalence ni compromis possible. La Française a construit et dédié sa vie pour matérialiser un rêve autant qu'une promesse qui ont cimenté des années de sacrifices. À l'UFC 315, où elle affrontera en co-main event à Montréal un pan d'histoire du MMA moderne en la personne de Valentina Shevchenko, la combattante de trente-cinq ans peut devenir le premier visage tricolore champion incontesté dans la plus prestigieuse organisation des sports de combat au monde.
Après les deux tentatives avortées de son compatriote Ciryl Gane contre Francis Ngannou et Jon Jones, cette troisième chance mondiale s'avère inouïe pour propulser les arts martiaux mixtes dans une autre sphère dans l'Hexagone. En 2022, le "Bon Gamin", prostré et l'air contrit dans la foulée de sa défaite face au "Predator", avait lâché un "désolé" en mondovision à l'attention du public français. Cette fois, l'ambition de seulement décrocher des opportunités ne suffit plus. L'échec n'est plus une option. Les excuses interdites. À l'aube d'un destin qui peut basculer, Manon Fiorot le sait mieux que quiconque.
"C'est clairement le combat de ma vie. Ça va être ma seule chance et je vais la saisir. Je n'ai pas le droit de me rater, je le sais."
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"Génie du sport" et apprentissage express
À une marche des cimes de l'UFC où les combattants français acquièrent progressivement une stature internationale, la Niçoise est de son propre aveu "en mission". Parce qu'elle fait partie de cette caste prisée des "élus", ceux programmés pour tutoyer ou embrasser la grandeur. À l'instar de Ciryl Gane qui a très tôt affiché des aptitudes en football, basket et muay-thaï avant de se révéler sur le tard en MMA, Fiorot a depuis toute jeune montré des prédispositions dans le sport. "Avec Manon, on peut dire qu'on est face à un génie du sport tout court", résume d'ailleurs Aldric Cassata, son coach principal de MMA et compagnon.
"Enfant qui avait toujours besoin d'être en mouvement" selon sa mère Valérie, Manon choisit le karaté comme premier amour à sept ans où ses qualités athlétiques hors-normes la singularisent nettement. Jusqu'à douze ans, elle enchaîne les compétitions sans perdre un seul combat. Celle qui se passionne aussi pour le skate et le vélo goûte ensuite momentanément avec succès au snowboard avec un titre de championne de France UNSS. Frustrée par le karaté à la touche, elle choisit de poursuivre son itinéraire en kickboxing et muay-thaï.

Là encore, rien ne lui résiste. Deux titres de championne de France en restant invaincue dans l'escarcelle plus tard, l'heure de découvrir le MMA arrive. En amateurs, l'apprentissage s'avère prompt. Une finale aux championnats d'Europe avant un sacre aux championnats du monde de l'IMMA en 2017. Un an après, la progression se prolonge avec le passage en professionnel. Si le baptême du feu est manqué au Cage Warriors, Manon Fiorot marque de son estampille les organisations de l'Extreme Fighting Championship (EFC) et l'UAE Warriors avec deux ceintures glanées successivement en 2019 et 2020. "C'est un niveau où il faut normalement quatre ans d'apprentissage dur et quotidien. Manon l'a fait en quelques mois...", soufflait Aldric Cassata, encore scié par sa trajectoire fulgurante, à RMC Sport en 2023. La machine est lancée. Et "The Beast" – le surnom qui lui a été attribué – vient de naître.
Ascension, blessure et salle d'attente
Une bête lâchée dans la cage à l'UFC, en 2021, dont la fureur va immédiatement traduire des desseins élevés: la ceinture des -57kg déjà alors détenue par Valentina Shevchenko. "Sang ou pas sang, cicatrice, pas cicatrice, fracture, pas fracture : elle n'a aucune pitié", promettait Aldric Cassata en 2022, à L'Équipe, au sujet de sa compagne façonnée dans son giron niçois du Boxing Squad. Deux TKO en guise d'ouverture de bal pour envoyer un message de bienvenue à la catégorie. Puis une montée en puissance validée avec des victoires contre des noms respectés tels que Jennifer Maia et, surtout, la dangereuse Katlyn Chookagian qui l'érige en prétendante légitime afin de briguer le titre.
Mais Manon Fiorot voit son ascension contrariée par une rupture des ligaments croisés du genou droit qui va la tenir éloignée de l'octogone pendant un an. Le temps pour la trouble-fête Alexa Grasso de s'inviter sur l'échiquier et d'ébranler la planète MMA, un soir de mars 2023 à Las Vegas, en ravissant la couronne à Shevchenko après une soumission d'anthologie. Le temps, aussi, pour la Française de s'armer de patience. En silence.

L'intronisation inopinée de la Mexicaine oblige l'UFC à organiser une revanche face à la reine kirghize déchue en septembre 2023. Impuissante et réduite au rang de spectatrice, "The Beast" relève dans le même temps avec brio le défi Rose Namajunas, ancienne championne des -52kg, devant le public parisien. Mais le destin se plaît à jouer avec les nerfs de la tricolore. Le deuxième sommet entre Shevchenko et Grasso accouche d'une égalité partagée, ouvrant la voie à une trilogie interminable qui sera étirée sur plusieurs mois avec la participation des deux combattantes à The Ultimate Fighter, la télé-réalité de l'UFC.
Pas friande du style Fiorot dans la cage (5 victoires à la décision lors de ses sept combats) et sur la scène médiatique – la Niçoise ne parle pas en anglais en conférence de presse –, l'organisation américaine en profite pour lui mettre sa chouchou Erin Blanchfield en travers de sa route. Un nouvel obstacle toutefois balayé avec maestria, en mars 2024, six mois avant que Valentina Shevchenko ne reprenne son dû à la Sphère de Las Vegas sous les yeux de la Française venue comme back-up en cas de désistement.
Shevchenko et la "quête du combattant absolu"
Et si Fiorot a dû forcer sa nature en trashtalkant sur les réseaux la championne en titre alors que la rumeur d'un éventuel superfight entre cette dernière et la reine des -52kg Weili Zhang bruissait, elle a enfin obtenu ce qu'elle désirait depuis toujours: un title shot face à une icône de son époque. La GOAT des -57kg. L'une des combattantes les plus dominantes de l'histoire de l'UFC. "Valentina, c'est une légende, une des filles qui a défendu le plus de fois cette ceinture, confiait-elle récemment à RMC Sport. Quand je suis entrée à l'UFC, elle était déjà championne. Dans ma tête, c'était elle que j'allais affronter un jour ou l'autre. Je pense clairement que je suis une menace pour son héritage. C'est peut-être la meilleure -57kg de l'histoire, mais toutes les histoires ont une fin."
Reste que pour écrire la sienne et forger sa propre légende, Manon Fiorot va devoir briser un monument vivant des sports de combat. "J'étais loin de me douter que me battre deviendrait ma vie, encore moins que je serais une des plus grandes championnes", rembobinait Shevchenko, à L'Équipe, en 2022. Pourtant, tout a bien été conditionné à ses balbutiements pour faire d'elle ce qu'elle incarne aujourd'hui.

Élevée par sa mère Elena ancienne championne de muay-thaï, celle qu'on surnomme "Bullet" ("Balle" en VF) n'a que cinq ans quand elle se familiarise avec le sport de sa mère et le taekwondo en compagnie de sa sœur Antonina – qui combattra par ailleurs également à l'UFC. À dix ans, elle découvre les joutes en compétition. À quinze, la Kirghize devient pro en boxe thaï et MMA. Un phénomène de précocité. La suite donne un peu plus le vertige. Dix-sept titres de championne du monde en muay-thaï. Plus de cinq cents combats en carrière tous sports de combat confondus. Se définissant elle-même comme une "nomade" et une "exploratrice", Shevchenko s'est nourri de pérégrinations aux quatre coins du globe.
Des steppes d'Asie centrale jusqu'à la Russie en passant par la rivière amazone et le Pérou, celle qui fait figure de pionnière dans l'élévation du MMA mondial féminin a épousé différents styles et influences pour enrichir inlassablement sa palette au fil des années. "L'âme d'un combattant est extrêmement complexe, exposait-elle en longueur il y a quatre ans. En MMA, je ne peux pas me contenter d'être une bonne lutteuse ou une bonne boxeuse. C'est une quête du combattant parfait, complet, absolu, et plus on avance dans le temps, plus c'est nécessaire."
Une légende crépusculaire qui veut préserver son héritage
À trente-sept ans, Valentina Shevchenko a tout vécu. Tout conquis de ce qui était possible et imaginable à l'UFC (17 combats, 14 victoires, 3 défaites). Arrivée en 2015, elle s'adjuge le titre de championne du monde incontestée des mouches trois ans plus tard. Une division où la native de Frunze a imposé une domination hégémonique et amoncelé une kyrielle de records pendant cinq années avant son faux pas face à Alexa Grasso (10 victoires dont 9 consécutives, 7 défenses de titre, 4 KO/TKO, 1790 coups portés, 47 takedowns). Et, au regard de son tableau de chasse, son parcours prend davantage de relief et de valeur. Joanna Jędrzejczyk et Jéssica Andrade (anciennes championnes des -52kg), Holly Holm (ex-championne des -61kg), Julianna Peña (actuelle reine des -61kg) ont toutes courbé l'échine devant "Bullet", tout comme les redoutables Jennifer Maia et Katlyn Chookagian.
Seule Amanda Nunes – considérée comme la plus grande combattante de tous les temps à l'UFC – l'a fait plier avec deux défaites infligées dont une dernière extrêmement controversée en 2017. Un revers jamais accepté et digéré jusqu'ici. Combattante versatile à la maîtrise technique aiguisée qui excelle en pieds-poings et dont le sol a largement fait ses preuves, Shevchenko n'en reste pas moins soumise à la loi du temps qui passe. Moins souveraine contre Tailo Santos (victoire à la décision partagée en juin 2022) et Grasso lors de la trilogie, elle a laissé affleurer des signes de déclin avec notamment une défense poreuse. Mais si le crépuscule inexorable se dessine, la GOAT des -57kg entend retarder la tombée de la nuit le plus longtemps possible et choisir sa sortie.
"Ça ne m'intéresse pas de me battre pour m'amuser. Je veux tout gagner, a-t-elle martelé çà et là ces dernières années, comme un mantra qui n'a eu cesse de la guider. Dans ce cas, je laisserai un héritage."
Au nom du père
Celui de Manon Fiorot reste encore à édifier. Et il dépendra évidemment en majeure partie de l'issue de ce sommet, à Montréal en terre francophone, qu'elle a préparé avec une détermination et une minutie sans commune mesure après trois ans en salle d'attente à être presque snobée par l'UFC. "Je suis finalement contente que ce soit passé comme ça, ça devait se passer ainsi. Le timing est juste parfait, j'ai validé toutes les cases, je suis prête pour ce combat, assurait il y a peu, dans le RMC Fighter Club, celle qui présente le meilleur bilan tricolore à l'UFC hommes et femmes confondus (7 combats, 7 victoires). J'ai fait le plus gros camp d'entraînement de ma carrière. En grappling, en lutte, en pieds-poings, on a pris que des filles dans le top de leur discipline. Je peux tout faire et suis à l'aise n'importe où."
Un rendez-vous éminent pour l'avenir du MMA français en plein essor depuis sa légalisation en 2020. Pour la perception, aussi, des combattantes féminines en France, trop souvent dénigrées et lassées de devoir composer avec des clichés éculés. Et qui revêt par-dessus tout un écho très personnel pour "The Beast" ainsi que son histoire familiale.
15 janvier 2016. Ce jour-là, la tragédie frappe en plein cœur Manon Fiorot. "J'ai entendu Manon crier. C'était même pas un cri, c'était un hurlement. Et là, ce n'était pas une douleur physique, c'était tout autre chose. Elle apprenait la mort tragique de son père", s'épanchait sa mère, la voix éraillée, il y a deux ans à RMC Sport. Pompier professionnel et ancien lutteur plusieurs fois champion de France, Daniel Fiorot a vu sa vie basculer après un grave accident de voiture qui lui a fait perdre la mobilité de l'un de ses bras. "Après ça, la vie est devenue trop compliquée pour lui...", nous livrait la Niçoise, l'émotion palpable. Touchée dans sa chair après la perte brutale de son paternel qui l'a initié à plusieurs sports et avec lequel elle avait tissé une relation fusionnelle, elle songe à mettre fin à toute ambition sportive à vingt-six ans.
"Sur le coup, j'ai dit qu'on arrêtait tout. Mais ma mère m'a dit que ça n'allait rien changer et qu'il n'aurait pas voulu ça. J'ai continué à m'entraîner, je ne pensais qu'à lui. Ça me rapprochait de lui de continuer à faire du sport."
Et d'entretenir également ce rêve couché sur papier alors qu'elle n'était qu'une enfant: "Je lui avais dit que je deviendrai championne du monde, mais je ne savais pas encore dans quel sport. Ça a toujours été un rêve. De là où il est, il voit ce que je fais. Je suis donc obligé de continuer et, quoi qu'il arrive, de faire ce qu'on s'était dit".

"À chaque combat qu'elle gagne, elle lève ses grands yeux bleus au ciel en direction de son père. Et pour la ceinture qui est la destination de son rêve, si vous regardez, si vous observez, je sais qu'elle le fera", prédit sa mère, qui sera présente au Québec pour peut-être le sacre d'une vie. Et rappeler que les plus belles promesses n'ont de sens que si elles sont tenues. Que les quêtes les plus majestueuses ne passent à la postérité que si elles sont accomplies. Jusqu'au bout.