
La rage de Dustin Poirier lors de son combat contre Islam Makhachev, en juin 2024. - Icon Sport
UFC 318: Dustin Poirier, la fin de l'odyssée
Quand certains courent après la gloire et la reconnaissance, lui ne recherche que la vérité. Sa vérité. Dans l'octogone devenu son terrain d'expression privilégié, Dustin Poirier s'est construit en étant guidé par cette obsession immuable. Année après année. Guerre après guerre. "Un combat dit toujours la vérité. C'est la dernière chose que j'aime dans ce sport. Le monde nous regarde. Pas de mensonges. Pas d'excuses", philosophait, il y a quelques années, le combattant de 36 ans. "Dehors, tout est si faux. Tout le monde parle sans savoir sur Internet. Après cinq rounds, on connaît la vérité. Je suis accro à cette vérité."
Après dix-huit ans de carrière dans le MMA, sa quête aussi intime qu'existentielle arrive à son terme. L'Américain va achever son aventure à l'UFC et déposer les gants définitivement dans la cage. Dans le Smoothie King Center à La Nouvelle-Orléans, chez lui, en Louisiane. Une dernière danse devant un public acquis à sa cause après un destin qui a ressemblé à une odyssée. "J'ai fait tout ce que j'ai pu pour devenir champion incontesté", rappelait-il récemment au New York Post. "Je me suis retrouvé à de multiples reprises pour voir ma main levée et remporter cette ceinture, mais j'ai tout simplement échoué. J'ai été battu par des gars vraiment bons, j'ai commis des erreurs et c'est comme ça. C'est la vie, c'est mon histoire."
Légende parmi les légendes
La petite histoire va convoquer la grande pour son 41e et ultime combat en carrière professionnelle (30 victoires, 9 défaites, 1 no contest). "The Diamond" ne voulait rien d'autre qu'une "légende" face à lui pour quitter la scène. Il souhaitait Justin Gaethje pour clore leur trilogie, il a finalement hérité de Max "Blessed" Holloway pour la ceinture honorifique du BMF ("Baddest Motherfucker") en main event de cet UFC 318. L'ancien champion des -66kg s'était incliné contre son compatriote lors de son baptême du feu dans la plus prestigieuse des ligues de MMA en 2012, avant de nouveau perdre sept ans plus tard. Et Dustin Poirier est justement devenu une icône parmi les icônes car il n'a défié que les plus grands noms ainsi que plusieurs générations de combattants.
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Depuis son entrée dans le roster de l'UFC en 2011, il n'a reculé devant personne chez les -70kg. Les dangereux Justin Gaethje, Michael Chandler, Dan Hooker les anciens champions de la catégorie Anthony Pettis et Eddie Alvarez ont nourri son tableau de chasse. Tout comme le Français Benoît Saint Denis – alors en pleine ascension – revenu sur terre brutalement. Le chemin pour l'éternité, l'enfant de Lafayette l'a emprunté à trois reprises face à l'invincible Khabib Nurmagomedov, Charles Oliveira et Islam Makhachev. Pour, à chaque fois, voir ses chances mondiales réduites à néant.
McGregor, la bascule du destin
Mais l'homme qui constitue sans doute le point de bascule de sa carrière reste Conor McGregor. Avec la superstar irlandaise, il a écrit l'une des trilogies les plus iconiques de l'histoire de l'UFC. Quand Poirier croise une première fois sa route en 2014, celui qu'on surnomme "Mystic Mac" parce qu'il prédit ce qui va dérouler dans la cage lui inflige l'une de ses défaites les plus cinglantes et humiliantes dans son parcours. Éreinté par les quolibets incessants et le trashtalking acéré du futur double champion, l'Américain perd pied. Résultat : 109 secondes et un KO éclair sur une gauche létale.
"Ce soir-là, McGregor m'a ouvert les yeux", confessera, des années plus tard, la fierté de la Louisiane.

Un revers en guise de leçon qui pousse le jeune fougueux au potentiel certain mais perfectible à s'amender encore et encore. Jusqu'à sa revanche contre "Notorious" en 2021, il signe une série de dix victoires seulement contrariée par Michael Johnson et Khabib. Et, à l'heure des retrouvailles, l'histoire tourne cette fois en faveur de Poirier qui assène à son rival son premier KO en carrière: "J'étais dénué d'émotions, j'étais comme un assassin." Quelques mois plus tard, il confirme et boucle la trilogie après que la cheville de McGregor a vrillé. Deux succès qui l'ont propulsé dans une autre dimension à la fois sportivement, médiatiquement et financièrement. "Après cela, j'ai eu davantage d'opportunités financières parce que j'ai battu la plus grande star jamais vue dans ce sport. Tout est venu par la suite plus facilement, les gens m'ont vu à la télévision et voulaient m'interviewer", confiait il y a peu à l'UFC celui qui a pris part à la deuxième (UFC 264, 1.800.000) et quatrième (UFC 257, 1.600.000) meilleure vente de pay-per-view de l'histoire de l'UFC. C'était très bon pour mon business."
Le VRP idéal de l'UFC
"Les gens qui disent que je poursuis un rêve fou ou fantaisiste et que je ne serai pas capable de l'accomplir, quels sont leurs rêves?", s'interrogeait Dustin Poirier, en 2011, dans l'excellent documentaire "Fightville", retraçant l'ascension d'un groupe d'artistes martiaux mixtes originaire du sud de la Louisiane. Qu'est-ce qu'il vont faire de leur vie?" S'il a échoué à matérialiser son ambition absolue en devenant champion incontesté, le roi sans couronne s'érige bien plus qu'un simple loser magnifique au yeux de ses pairs et du grand public. L'ancien champion intérimaire des légers a forgé sa réputation puis conquis les cœurs grâce à un style spectaculaire et incisif.
"Dans la cage, soit je gagne, soit je meurs", martelait-il d'ailleurs lors ses premiers pas dans l'octogone.
Un striking d'élite, une boxe anglaise léchée où ses combinaisons en rafales ont fait sa marque de fabrique, un cardio ébouriffant, une science du contre aiguisée et une faculté à ne jamais vouloir reculer quel que soit l'adversaire en face. Une agressivité naturelle qui l'expose aussi avec une défense poreuse debout et au sol.
Le profil idoine et l'assurance, surtout, pour l'UFC d'offrir du show avec l'Américain – qui n'a jamais essuyé deux revers d'affilée en carrière – sur n'importe quel évenement numéroté. Dans l'organisation reine de MMA, le "Diamond" cumule dix KO, 5 soumissions, 15 bonus dont le record de Fights of the Night (10), 22 victoires (top 3), 15 finitions (top 5) et 11 KO (top 3). Et même quand il échoue pour des chances mondiales, les spectateurs en ont pour leur argent. Contre Khabib, en 2019, sa tentative de guillotine reste encore dans toutes les mémoires. Face à son héritier Makhachev, il l'a poussé dans ses retranchements jusqu'au cinquième round. "Dustin est un chien. Si vous voulez l'arrêter, il faut éteindre la lumière", a d'ailleurs concédé à son sujet, l'ancien boss des -70kg.
Mais s'il ne fallait peut-être retenir qu'un seul de ses combats, ce serait celui contre Dan Hooker, en plein Covid, en 2020. Du MMA dans sa forme la plus pure. L'essence même d'une guerre sanglante, sans limite, où le bruit de chaque frappe résonnait et jetait l'effroi dans la salle vide de l'Apex, à Las Vegas. Pour avoir participé au relancement de l'UFC durant la pandémie, pour n'avoir jamais planté un main event et avoir mis en danger sa legacy en acceptant d'affronter un jeune loup affamé comme BSD, le Louisianais jouit d'un immense crédit auprès du patron de l'organisation, Dana White : "C'est ce genre de choses qui font de vous une putain de légende".
"J'aime la pureté de deux hommes qui s'affrontent, j'ai trouvé un certain calme dans le chaos"
"Le film Rocky, c'est l'histoire de ma vie", se plaît à rappeler Dustin Poirier lorsqu'il se prête au jeu de la rétrospection quant à son itinéraire. Souvent cantonné au rang d'outsider dans l'octogone, il a dû également très tôt composer avec les vicissitudes de l'existence et un environnement précaire. Né dans les faubourgs de La Fayette à l'instar de l'ancien double champion Daniel Cormier et issu d'une famille défavorisée avec un père quittant le foyer familial lorsqu'il n'a que cinq ans, celui que beaucoup considèrent comme le plus grand combattant n'ayant jamais été couronné embrasse la violence comme exutoire à ses tourments. Elle est obsessionnelle, enfouie, viscérale, consubstantielle à sa vie.
"Me battre, c'est ce que je fais. Mon père était un combattant, mon grand-père aussi. C'est simplement dans mes veines", s'épanchait-il encore dans "Fightville". "Je voulais simplement me battre, mais pas pour l'argent ou la gloire."
Le descendant des Cajuns – groupe ethnique en Louisiane dont les ancêtres sont les Acadiens, descendants de colons français qui ont été déportés durant la seconde moitié du XVIIIe siècle – n'a que 14 ans quand il quitte l'école. Une enfance de désœuvrement marquée par des bagarres incessantes dans les rues qui lui coûteront des séjours en centres de détention et dans des prisons pour mineurs. Son salut, Poirier le doit à sa femme Jolie qu'il l'épouse à seulement 17 ans, alors qu'il est un adolescent alcoolique en surpoids, fauché et sans instruction.
Elle lui permet de canaliser une violence jusqu'ici irrépressible et l'encourage à s'en servir. La lutte lui inculque ses premières fondations dans les sports de combat, la boxe, elle, lui révèle sa force de frappe dans les poings avant qu'il ne transite définitivement vers le MMA. Où il trouve – enfin – une forme d'apaisement: "J'ai toujours aimé la pureté de deux hommes qui s'affrontent. C'est étrange à dire, mais j'ai trouvé un certain calme dans le chaos. J'aime ça dans le combat." Des fêlures intimes passées qui ont grandement participé à nourrir sa cote de popularité. Se définissant lui-même comme un "combattant émotionnel", le diamant de Louisiane a plusieurs fois exposé sa vulnérabilité au grand jour.

Quand Khabib brise son rêve de devenir en champion en 2019, il ne peut contenir ses larmes aux yeux du monde. "J'avais le sentiment que toute ma carrière m'avait préparé pour cet instant mais...", soufflera-t-il dans la foulée de sa défaite, la voix éraillée et meurtrie par la déception. "Il y a des moments où j'aurais sans doute pu faire plus. J'étais si préparé et je vais devoir me lever chaque matin en me regardant dans le miroir avec ce résultat. Ce que l'adversité m'a appris dans le passé, c'est que lorsque les temps sont bons, soyez reconnaissant. Et quand les temps sont durs, soyez élégant."
"Si je ne suis pas Dustin le combattant, qui suis-je ?"
Quatre ans plus tard, ce sont ses confessions sur sa dépression vécue après le KO subi contre Justin Gaethje – un high kick foudroyant en pleine tête – qui émeuvent. "C'était une défaite dévastatrice, j'ai cru que c'était la fin du monde. J'ai eu des moments vraiment sombres, c'était très effrayant", s'épanchait comme rarement le combattant, en mars 2014, dans l'émission MMA Hour. "Me battre signifie tout pour moi, c'est toute ma vie. Je ne me jugeais essentiellement que par le combat, c'était la personne que j'étais. Alors, si je ne suis pas le combattant Dustin, qui suis-je?"
Des aveux rares dans le milieu du MMA, qui mettent en exergue une dépendance au combat et la peur du vide une fois que l'heure de la retraite aura sonné. "Si je ne me prépare pas pour affronter quelqu'un, je dois garder mon esprit occupé", développait-il en profondeur dans le podcast "This Past Weekend". "Je me dois d'être dans l'action. Je suis un danger pour moi-même si je ne fais rien et que je n'ai pas d'objectif fixé. Je me bats mentalement contre moi-même. Je reste à la maison, je bois... Je me dois d'avoir des batailles à mener."
"J'aime profondément ce sport, mais ça me coûte des points de vie que je ne récupérerai jamais. Je ne veux pas aimer ça au point que ça puisse me tuer."
"The Good Fight Foundation", son héritage
Une autre quête plus personnelle se poursuivra en dehors de l'octogone une fois le rideau abaissé. Figure renommée sans pour autant être lisse, incarnation d'une Amérique humble et terre-à-terre, porte-étendard d'une Louisiane parfois raillée pour son image rudimentaire, Dustin Poirier met sa notoriété au service d'une noble cause. En 2018, lui et sa femme qui attendent un deuxième enfant ont créé "The Good Fight Foundation" qui mène des actions caritatives en faveur des plus démunis. Une association à but non lucratif où il parvient à lever des fonds grâce à ses tenues et ses gants vendus aux enchères.
Une manne financière qu'il utilise, par exemple, pour aider la famille d'un policier tué à La Fayette dont il est originaire, pour les femmes et les enfants de la région vivant sous le seuil de pauvreté, pour nourrir des sans-abri, pour permettre à de jeunes écoliers d'avoir du matériel ou encore pour offrir un repas aux plus démunis à Thanksgiving. Un engagement qui a d'ailleurs trouvé un écho auprès de Khabib Nurmagomedov et Dana White qui lui ont respectivement alloué un don d'un montant de 100.000 dollars.

"Dans quelques années, je ne combattrai plus, mais je serai toujours là pour aider un maximum de personnes, et notamment le peuple de Louisiane", confiait le futur Hall of Famer à ESPN, en 2019. "C'est ce qui compte, il restera un héritage." L'héritage, le patrimoine, la postérité justement, c'est désormais tout ce qui importe à l'Américain dont le crépuscule imminent se dessine: "La vraie question à se poser, c’est: quand je me regarde dans le miroir, qu’est-ce qui compte le plus? Ce que j’ai accompli durant le voyage, ou la personne que je suis devenue pendant ce voyage? Je suis en paix avec la personne que je vois dans le miroir. Les titres, c'est bien. Mais cette expérience vaut bien plus que ça." L'odyssée arrive à son terme. Il ne reste au diamant plus qu'à scintiller. Une toute dernière fois.