"J'ai chialé comme pas possible": Kevin Mayer n'a rien raté de la victoire de Jimmy Gressier

Kevin Mayer, revenons sur la victoire de Jimmy Gressier sur 10.000 mètres. L'avez-vous vue en direct? Est-ce que vous y attendiez?
Je l'ai vue en direct, c'était un sacré moment. Je ne m'y attendais pas du tout. Pour avoir vu sa victoire en Diamond League à Zurich, on savait qu'il avait un très bon finish. Sur la fin de course, j'ai commencé à crier comme un fou devant ma télé parce que j'avais l'adrénaline qui montait en réalisant que c'était possible. J'étais hyper content pour lui. J'ai chialé comme pas possible. J'étais tout seul, donc je me suis totalement laissé aller. J'étais trop content pour lui. Je le connais bien. C'est vraiment une personne qui a la main sur le cœur, Jimmy, donc ça faisait vraiment plaisir de le voir gagner.
Et en tant qu'athlète, que ressent-on au moment où l'on comprend qu'on est champion du monde?
Moi j'ai eu de la chance: quand j'ai été champion du monde, il n'y avait rien à chercher sur le 1500m. Je ne devais juste pas me relâcher car je n'étais pas encore champion du monde mais je n'ai pas eu de surprise quand je suis arrivé au 1500m. Mais j'ai aussi été champion du monde en salle de cette manière-là, je ne devais pas me faire prendre deux secondes par Damian Warner (son grand rival de l'époque). Et c'est incroyable quand tu vois le tableau d'affichage, tu ne sais plus où tu es. C'est un ascenseur émotionnel positif de l'espace, c'est incroyable.
Jimmy est maintenant champion du monde. Va-t-il réussir à confirmer ses bonnes prestations? Est-ce que c'est dur de confirmer après un sacre mondial?
Il est champion du monde depuis trois jours, on peut lui laisser un peu d'air ou pas? (rires). Faire un exploit, c'est très dur. Réitérer, c'est encore plus dur et je lui souhaite énormément. Dans le message que je lui ai envoyé après sa victoire, je lui ai dit de savourer ces moments-là, qu'ils sont rares et qu'il faut les savourer. On n'est jamais sûr qu'on va réitérer. Il faut être dans une forme olympique. Il faut déjà être très content de l'avoir fait une fois.
Vous soutenez tous les athlètes français, médaillés comme finalistes. Craignez-vous de mauvaises réactions si Jimmy Gressier ne parvient pas à faire mieux à l'avenir?
Dans le sport, il y a toujours eu de mauvaises réactions. Il y a des gens qui ragent, qui aiment bien diminuer les autres pour se sentir mis en avant, alors qu'ils ont souvent moins accompli que la personne dont ils parlent. Il y a peu de personnes qui ont fait ce genre de compétition, qui ont fait ce genre de résultat, qui parlent mal des autres parce qu'ils se rendent compte de la difficulté de la chose. On ne parle pas pour rien d'un exploit, c'est que c'est difficile à faire et que ça n'arrive que très rarement. Il y aura forcément des critiques, mais vu la valeur des personnes concernées, je ne suis pas très inquiet sur la capacité de Jimmy à répondre à ces critiques, surtout qu'il a la langue bien pendue. Il les remettra à leur place assez rapidement. Et je rebondis sur le fait qu'on ne parle pas beaucoup de ceux qui ne font pas de médaille, notamment Thibaut Collet qui a fait 5e, Kpatcha au pied du podium, etc... On a une très belle équipe de France.
Jimmy Gressier a les séries du 5000m vendredi. Que doit-il faire pour se remettre dedans et rester focus après les émotions d'un sacre mondial?
Tout dépend de sa réaction nerveuse. Je sais que les demi-fondeurs sont capables d'enchaîner les courses. Quand on crée l'exploit, il y a une rechute nerveuse. De toute façon, il est champion du monde. Et comme il a dit, il n'a plus rien à perdre. Sur le 5000m, il va falloir que ça parte un peu doucement. Et là, il aura vraiment des chances de faire un doublé. On pourra dire que c'est le plus grand athlète français de tous les temps dans les championnats du monde. Parce que personne n'a jamais fait ça.
Jimmy peut-il entraîner les plus jeunes dans son élan?
Ça fait déjà quelques années qu'il gagne beaucoup de courses. Le running a beaucoup plus d'impact que l'athlétisme sur piste. À travers ça, il a réussi à créer une certaine émulation autour de sa personne. Il doit tirer pas mal de personnes du lit pour aller faire des footings. C'est un peu plus dur pour moi en tant qu'athlète de sortir les gens du lit pour faire 10 épreuves. On travaille aussi mais il a fait un bon boulot en termes de communication. Je pense que c'est en train de devenir un bel exemple pour la jeunesse.
Ça peut aussi être de bon augure pour aller chercher plus de médailles et plus de sacres...
Il faut bien prendre en compte que l'athlétisme, c'est un sport que toutes les nations pratiquent. C'est pour ça qu'on n'a pas beaucoup de champions du monde. Quand on arrive aux championnats du monde, il y a tous les pays qui veulent ça. Et quand tu regardes la probabilité que ça arrive à ton pays, c'est normal. Mais encore une fois, les exploits, c'est parce que ça n'arrive pas souvent qu'on les savoure. Donc il ne faut pas s'inquiéter quand ça n'arrive pas. Il faut juste se dire que plus la période sans médaille est longue, plus c'est savoureux quand ça se produit.
De votre côté, on sait qu'il y a une blessure qui traîne depuis quelque temps et qui vous a privé de Paris 2024. Avez-vous réussi à passer à autre chose?
C'est sûr que les JO ont laissé une cicatrice. Je ne me plains pas. J'essaie de continuer à travailler. Je ne peux plus agir sur le passé. J'ai raté une des compétitions à laquelle j'aurais aimé participer mais c'est comme ça. Elle n'est plus là. Elle n'est plus dans ma tête.
Et comment vivez-vous ces championnats du monde à distance?
Quand je vois les championnats du monde, ça ne me donne qu'une envie: revenir. Je suis obligé d'aller soit jouer au golf, soit nager, soit courir, parce que ça me crée une frustration de dingue. Je travaille le plus possible pour revenir, et si ça ne marche pas, ça ne marche pas. Mais j'ai de très bons retours de sensations sur ma préparation en ce moment. J'y crois vraiment au retour, et je crois à un retour long. C'est-à-dire pas sur un one-shot pour être encore blessé. Je suis en train de reconstruire quelque chose de très long pour pouvoir profiter longtemps du décathlon. Je continue de travailler tête baissée. Je ne pense pas à la compétition. C'est pour ça que je prends vraiment le temps. Et je sais qu'il me faudra quelques mois de pratique, dès que je recommencerai l'athlétisme, pour être prêt. Mais ça, en soi, ce n'est pas le plus gros problème.