Comment expliquer les inégalités salariales hommes-femmes dans le football?

Le procès devrait commencer en mai 2020. La justice américaine décidera alors si oui ou non il existe belle et bien une discrimination à l’égard des joueuses de la sélection face à leurs homologues masculins. Car une loi fédérale existe depuis les années 1970 aux Etats-Unis qui interdit formellement toutes différences de traitement entre les hommes et les femmes.
Et cette dernière n’est pas vraiment respectée. Les footballeurs américains gagneraient en sélection jusqu’à 10 fois plus que les quadruples championnes du monde et championnes olympiques.
En France, la situation est comparable, bien que les coéquipières d’Amandine Henry ne soient pas allées jusqu’au procès contre la FFF. Les primes promises aux internationales ne dépassaient pas les 40 000€ contre 320 000€ pour les joueurs français. En championnat, le salaire moyen de Division 1 féminine ne dépasserait pas les 2.500 euros par mois contre 100.000 euros en Ligue 1 masculine!
Mais comment expliquer ces différences alors qu’il s’agit du même sport, du même métier, de la même pratique et de la même organisation ? Il existe deux théories, deux conceptions totalement opposées. La première s’ancre dans une logique réaliste, économique alors que la deuxième tend à utiliser des arguments historiques et structuralistes.
La logique économique
Si les femmes sont moins bien payées que les hommes dans le football, ce n’est pas une question de discrimination, c’est seulement à cause de la taille du gâteau. Voilà comment on pourrait résumer cette vision, se basant sur le seul cadre économique.
Les footballeuses génèrent moins d’audience que les footballeurs, moins d’interactions sur les réseaux sociaux, vendent moins de billets, moins de maillots, moins de produits dérivés. De même, il n’existe aucune star féminine avec plus de 100 millions de followers sur les réseaux sociaux, capable de faire rêver les fans, contrairement à Messi, Cristiano Ronaldo ou Neymar.
Il serait donc, en retour, normal et justifié qu’elles soient moins bien payées. En économie, le salaire correspond au gain apporté par le ou la travailleur. Si il ou elle rapporte beaucoup à son employeur, il reçoit en retour beaucoup en rémunération.
Cette vision, pragmatique, est d’ailleurs défendue par le Néerlandais Frank de Boer. "Si pour la finale de la Coupe du monde masculine il y a 500 millions de personnes qui regardent, et 100 millions pour la finale des femmes, cela fait une différence. Ce n'est pas pareil. […] Si le foot féminin est aussi populaire que celui pratiqué par des hommes, cela viendra parce que les revenus et la publicité vont venir. Mais ce n'est pas le cas donc pourquoi devraient-elles gagner autant que les hommes?"
La logique structuraliste
On pourrait reprocher à la logique économique d’oublier l’histoire, de nier l’existence d’une discrimination antérieure qui aurait provoqué, artificiellement, une différence de traitement médiatique et populaire.
En effet, n’oublions pas que le football féminin était aussi populaire que le foot masculin au début du XXe siècle, que pendant la première guerre mondiale, des rencontres étaient organisées devant plus de 50.000 spectateurs, notamment en Angleterre. Que les femmes pratiquaient le foot autant que les hommes sans que cela ne pose le moindre problème.
Seulement, à partir de 1921, la fédération anglaise a décidé de suspendre le football féminin pour d’obscures raisons médicales. Décision suivie par l’ensemble des autres fédérations européennes, notamment en France, en Belgique et en Allemagne.
Et pendant un demi-siècle, le football féminin va accumuler un lourd retard de développement qui provoque aujourd’hui ces différences. Ce n’est qu’à partir de 1973 que l’UEFA et la FIFA ont reconnu le foot féminin à travers la création d’instances fédérales. Avant, il n’y avait rien pendant que, du côté masculin, les joueurs trustaient les médias et accumulaient les exploits sportifs.
La vision structuraliste admet ainsi que les inégalités salariales ne sont que la conséquence d’un traitement différencier et indu des hommes sur les femmes. La préférence médiatique du foot masculin sur le foot féminin ne peut pas être "explicative" puisqu’elle a été artificiellement et socialement construite pendant des années de discrimination.
Vision économiste contre vision structuraliste. Qui a raison, qui a tort ? Une première réponse sera apportée en mai prochain par la justice américaine.