Football: "Beaucoup de spécialistes mélangent jeu de tête et commotion", précise le directeur médical de la FFF

Umut Meras au duel avec Gareth Bale lors d'un match Turquie-Galles, à Bakou le 16 juin 2021 - VALENTYN OGIRENKO / POOL / AFP
Quels sont les principaux enseignements statistiques de votre étude?
Premièrement, il y a une sous-mortalité des footballeurs professionnels en France, quel que soit l'âge de décès. Cela va dans le même sens que les précédentes études du Comité international olympique ou de (Daniel) Mackay dans le Championnat d'Ecosse. Deuxièmement, cela protège des cancers et des maladies cardiovasculaires. Troisièmement -- et c'est la chose la moins positive --, il y a plus de maladies neurodégénératives. En comparant avec la population du même âge et même sexe, on multiple par trois le risque d'avoir des démences (3,38, ndlr) et par quatre le risque d'avoir une démence d'Alzheimer (4,08, ndlr) en particulier.
Avez-vous pu identifier les causes de cette surmortalité liée à la démence?
Cela été observé dans des sports de contact comme la boxe, le hockey-sur-glace ou le football américain. Les commotions cérébrales et les traumatismes violents en sont peut-être à l'origine. Beaucoup de spécialistes, en mélangeant jeu de tête et commotion, vont dire que c'est à cause des têtes. Mais d'après notre étude, on pense que c'est un problème de contacts violents et pas de jeux de tête. Plus la durée de carrière est longue et moins le risque de démence existe. (...) Si c'était les jeux de tête, progressivement cela augmenterait en fonction de la durée.
Quelle est la position de la Fédération française concernant le jeu de tête?
Trois groupes de fédérations s'opposent. Les Anglais, Ecossais et Irlandais ont interdit en 2020 le jeu de tête à l'entraînement pour les moins de 12 ans. En match, en revanche, ils tapent quand ils veulent... Deux ans après, qu'est-ce que ça a changé? On ne sait pas. On ne sait pas si la règle est suivie dans les petits clubs, on sait juste que la démarche a été accueillie favorablement par l'opinion publique britannique. Le deuxième groupe, c'est l'Allemagne avec ce discours, qui est vrai: ‘aucune démonstration scientifique dit que les jeux de tête sont dangereux’. Leur démarche est de réduire la taille des ballons, leur gonflement, la taille du terrain et des buts et surtout de renforcer les muscles du cou et apprendre à faire les têtes, autorisées sans restriction. Jouer de la tête engendre des petites cicatrices instantanées -- on le voit sur des tests neurocognitifs ou des IRM -- mais en faisant le même test une semaine après, c'est revenu à la normale. Au niveau scientifique général, il n'y a pas de preuve d'un lien direct ou indirect entre le jeu de tête et les maladies neurodégénératives. La France appartient au troisième groupe: on ne sait pas, on continue à travailler. Plein de travaux sont faits au niveau de la DTN pour connaître l'implication des têtes chez les enfants, par exemple.
Les commotions cérébrales semblent vous inquiéter davantage que les jeux de tête...
Depuis 2015 à la FFF, nous avons mis en place un sixième remplacement en cas de commotion cérébrale. Chaque fois qu'un joueur a une commotion, il doit passer deux fois devant un expert. Nous sommes les seuls en Europe à avoir mis en place ce protocole. On est en train de se protéger contre le jeu dur et les commotions car, en l'occurrence, on est sûr à 100% que c'est à l'origine de maladies neurodégénératives.
Les conclusions de votre étude peuvent-elles déboucher sur des changements de protocoles et de pratiques?
Sur la période 1968-2015 examinée, il y avait beaucoup plus de contacts violents, les ballons n'étaient pas les mêmes, les entraînements et les intensités non plus, les joueurs avaient aussi de temps en temps un deuxième métier. On parle d'un autre football, les règles du jeu ont changé. Depuis 2016, aller au contact avec les coudes pour se protéger est sanctionné d'un carton rouge. En Allemagne, une étude a démontré qu'il y a eu moins 20% de commotions cérébrales dans les trois ans qui ont suivi. L'idéal serait de faire la même étude dans 25 ans, on verra que le foot a beaucoup changé.