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Philippe Auclair: "John Terry, l’amour non, le respect oui"

John Terry (Chelsea)

John Terry (Chelsea) - AFP

Philippe Auclair, correspondant RMC Sport en Angleterre, revient sur la carrière de John Terry à Chelsea, qui se termine sur un cinquième titre en Premier League.

Je ne vous demanderai pas l’impossible. Je ne vous demanderai pas d’aimer John Terry. Si vous n’êtes pas supporter de Chelsea, il est probable que le sentiment qu’il éveille en vous soit assez éloigné de même la plus tiède des affections. Ses incartades - et pire - l’ont fait figurer en première page des tabloïdes beaucoup trop souvent pour qu’on ne pense pas à lui comme à un voyou. Il n’a pas non plus vraiment fait grand-chose pour calmer l’animosité des foules depuis le début de sa carrière.

Pour les plus jeunes et les oublieux, voici un bref florilège des faits d’armes du "capitaine, leader et légende" de Chelsea: une bagarre avec un videur de boîte de nuit en hors d’oeuvre, quand il avait une petite vingtaine d’années, puis, dans le désordre, la tirade ignoble adressée à des touristes américains immédiatement après les attentats du 11 septembre, la Bentley garée sur une place de parking réservée aux handicapés, le verre de bière qui sert d’urinoir, la liaison adultère avec la femme d’un coéquipier des Blues et de l’équipe d’Angleterre, les sommes folles grillées chez les bookmakers, et, pour couronner ce triste palmarès, les insultes racistes envoyées à la face d’Anton Ferdinand lors d’un match empoisonné contre Queen’s Park Rangers.

C’est affligeant. Comment s’étonner des chants qui l’ont accompagné sur tous les terrains anglais autres que Stamford Bridge? Se sentir de l’amour pour un individu de cette sorte requiert une part d’aveuglement dont seuls les supporters les plus fanatisés peuvent être capables. Alors, non, je ne vous demanderai pas l’impossible, je ne vous demanderai pas d’aimer John Terry, l’homme. Je vous demanderai juste de respecter le joueur. De l’admirer, même.

Le voilà à un match de sa dernière apparition sous le maillot bleu, contre Sunderland, pour la remise du trophée de champion, dimanche prochain. Car si Terry apparait à la finale de la FA Cup, le samedi suivant, ce ne sera qu’en qualité de remplaçant, sauf épidémie de jaunisse dans le vestiaire de Chelsea. Maintenant que le titre est dans la poche, Antonio Conte peut risquer son "capitaine non-joueur", mode Coupe Davis, en championnat, sans trop en craindre les conséquences. Ce lundi, celui qui fut sans le moindre conteste l’un des meilleurs défenseurs centraux de sa génération (et pas seulement en Angleterre) parut bien rouillé contre Watford, une équipe qui avait marqué zéro but à l’extérieur depuis le 31 janvier, et en passa trois aux Blues. Chaque fois, la responsabilité de JT avait été engagée, directement ou indirectement.

"Je n’ai plus les genoux de mes 20 ans", s’excusa-t-il en entrant dans le minuscule studio où se déroulent les flashs interviews d’après-match au Bridge. "Mes jambes me font un mal de chien". Quand la caméra se mit à tourner, il parla, plutôt bien, des émotions contradictoires qu’il ressentait après avoir joué sa 715e rencontre pour le club qu’il avait rejoint à l’âge de 14 ans, et qu’il n’avait quitté que quelques mois pour un prêt à Nottingham Forest.

Pour paraphraser Sacha Guitry, pour John Terry, c’était un match de plus - et un match de moins. Un match à ajouter à la longue, longue liste de ceux déjà joués. Un match à ôter de celle, si courte, des matchs qui restent à être disputés. La fin est toute proche. Encore 90 minutes, et Terry entrera dans cet entre-deux-mondes qu’est la retraite pour un footballeur, à cheval entre la vie et la mort. La transition sera sans doute moins cruelle pour lui que pour beaucoup de ses collègues. Il a un avenir, il a des ambitions. Depuis huit mois, il observe le travail d’Antonio Conte depuis le banc de touche, un exemple dont il a la ferme intention de s’inspirer lorsqu’il deviendra lui-même entraîneur. Le passage ne sera pas indolore pour autant. Il sait ce qu’il quitte à tout jamais. Il sait qu’il avait été l’un des tout meilleurs dans sa profession. Rien n’assure qu’il le soit dans celle qui l’attend.

Peut-être faudra-t-il qu’on n’entende plus les insultes qui pleuvaient dru des tribunes pour se rendre compte du joueur qu’il fut. Les statistiques et le palmarès parlent déjà en sa faveur. Deux tiers des titres conquis par Chelsea dans une histoire longue de 115 ans l’ont été avec lui. Cinq fois champion d’Angleterre, cinq fois vainqueur de la FA Cup (à 90 minutes de l’être pour la sixième), plus quatre coupes de la League, champion d’Europe et lauréat de l’Europa League, il a gagné tout ce qu’un footballeur du 21e siècle peut espérer gagner avec un club anglais, et, pour l’écrasante majorité de ces trophées, en qualité de capitaine qui plus est - et quel capitaine!

On s’extasie, avec raison, de ce que Ryan Giggs marqua au moins un but par saison de championnat de 1990-91 à 2012-13, sans interruption. Que dire d’un défenseur central qui, ce lundi, fit mouche pour la dix-septième saison d’affilée? Soixante-sept buts en 716 matchs serait un bilan tout à fait honorable pour un numéro 6 ou 8 parvenu en fin de carrière. Pour un pur défenseur, il est tout simplement prodigieux. En fait, des centre-backs aujourd’hui en activité, seul Sergio Ramos (68 buts en 518 matchs) a fait mieux dans ce domaine.

Mais ce n’est évidemment pas comme d’un goleador qu’on se souviendra de Terry. Ce sera comme du dernier monstre sacré de l’art de défendre à l’anglaise, un art plus subtil qu’il y parait, et qui n’est pas fait que de courage, même si, courageux, Terry l’aura été jusqu’à l’inconscience.

Lundi soir encore, ayant perdu un ballon face à Tom Cleverley à une trentaine de mètres du but de Chelsea, allongé sur la pelouse, il trouva le moyen de dégager le ballon en touche de la tête alors que le joueur de Watford l’avait dans les pieds. L’expression indignée de Cleverley en disait plus long qu’une causerie de Marcelo Bielsa sur le fossé culturel qui séparait le casse-cou de 37 ans de l’ex-future star de Manchester United.

Ce brave d’entre les braves fut aussi un footballeur d’une finesse technique plutôt rare parmi ses pairs britanniques, une caractéristique de son jeu que j’ai toujours été étonné qu’on ne reconnût pas davantage, tant elle crevait les yeux. Il fut aux miens le meilleur relanceur (avec Rio Ferdinand) des quinze dernières années en Premier League, avec une patte gauche capable d’expédier des transversales de 60 mètres avec le minimum de manières, et le maximum d’efficacité.

Comme déclaration d’amour, c’est vrai, on peut faire mieux. Mais je me demande si John Terry, tout compte fait, ne préfère pas qu’on le craigne et l’admire en égale mesure, plutôt qu’on l’aime, à moins qu’on ait le cœur bleu.

VIDEO >> Tous les buts de ce Chelsea-Watford complètement fou

Philippe Auclair