Guerre en Ukraine, Gaza: comment le CIO tente de rendre les JO 2024 apolitiques

Les anneaux olympiques sur le parvis de l'Hôtel de Ville à Paris - ICON Sport
La situation internationale va-t-elle s'inviter dans la compétition? La participation des athlètes israéliens aux Jeux olympiques sous leurs couleurs -contrairement aux athlètes russes et biélorusses participant sous bannière neutre- a fait débat cette semaine. Le député LFI Thomas Portes a notamment assuré qu'ils ne "sont pas les bienvenus" à Paris. Si Emmanuel Macron a appelé lundi en faveur d'une "trêve olympique et politique", le Comité international olympique (CIO), veille de son côté à garantir que les JO restent un événement uniquement sportif et festif.
Les athlètes russes et biélorusses sous bannière neutre
Fin juin, le CIO a invité officiellement 47 athlètes russes ou biélorusses à participer aux Jeux olympiques, mais sous bannière neutre. Ils ne pourront donc pas porter les couleurs de leur pays, leur drapeau ne sera pas hissé et leur hymne ne retentira pas dans le stade. Ils ne pourront pas non plus participer à la cérémonie d'ouverture.
Avec cette décision, le comité olympique a tranché sur un sujet brûlant, près de deux ans et demi après le début de l'invasion russe en Ukraine.
"La décision n'est pas inédite", précise à BFMTV.com Sylvain Dufraisse, maître de conférence en histoire du sport et des pratiques sportives à l'université de Nantes. De fait, en 1992, déjà, les athlètes de Serbie-et-Monténégro avaient reçu la même sanction, en raison des guerres de Yougoslavie.
Un choix motivé par le discours de Poutine sur le sport
Pour Sylvain Dufraisse, la décision prise par le CIO concernant les athlètes russes et biélorusses fait sens, car elle entend répondre à la politique menée par Vladimir Poutine. "La Russie a mobilisé très fortement le sport dans son discours", pour faire du soft-power, indique l'enseignant.
"Il y a une ambiguïté de certains athlètes, car ils ont servi à promouvoir l'invasion en Ukraine et la mobilisation au sein de la population russe", ajoute-t-il.
D'où le choix du CIO de ne pas autoriser la participation des sportifs qui ont soutenu activement le conflit et sans lien avec l'armée. Certaines fédérations sportives russes ont par ailleurs choisi d'elles-mêmes de ne pas participer aux JO.
"La différence avec le comité olympique russe est que le comité israélien n'a pas outrepassé la charte olympique", estime par ailleurs Sylvain Dufraisse. "Les athlètes des territoires (ukrainiens annexés par la Russie) du Donetsk et de Lougansk (notamment) ne peuvent pas jouer sous les couleurs ukrainiennes", explique-t-il.
Une "rupture avec le principe d'apolitisme"?
Ce choix s'entend difficilement pour l'expert en géopolitique du sport et enseignant à Sciences Po Jean-Baptiste Guégan, alors que d'autres régions du monde sont également frappées par des conflits.
"En sanctionnant les Russes et les Biélorusses, le CIO a rompu avec le principe d'apolitisme dans le sport, il a pris position", estime-t-il auprès de BFMTV.com.
"Quid de l'Arabie saoudite?", s'interroge l'enseignant à propos de la monarchie islamique, "ou de la Chine", dit-il, alors qu'un rapport de l'ONU accuse Pékin de crimes contre l'humanité contre les Ouïghours.
Un "idéal de paix" promu lors de chaque JO
"Le CIO a toujours eu pour objectif d'avoir le plus possible de participants" afin de promouvoir une compétition présentée comme "accueillante et universelle", rappelle Sylvain Dufraisse.
"Le CIO a très tôt promu l'apolitisme et le fait d'être un lieu hors de toute idéologie et de tout conflit", abonde Carole Gomez, assistante diplômée en sociologie du sport à l'Institut des sciences du sport de l'université de Lausanne, auprès de BFMTV.com.
"C'est sa garantie pour prospérer et c'est ce qui lui a permis de traverser le siècle précédent, et ses conflits" dont deux guerres mondiales, explique-t-elle.
De "gros enjeux socio-économiques"
Jean-Baptiste Guégan, auteur de La guerre du sport: une nouvelle géopolitique, rappelle également que les JO véhiculent un "enjeu socio-économique conséquent" car l'argent récolté lors de l'événement est notamment redistribué aux différentes fédérations pour la prochaine olympiade. Garantir le bon déroulé de la compétition est donc aussi crucial sur le plan financier.
En plus de cet aspect financier non-négligeable, l'enseignant estime par ailleurs que le CIO "défend un idéal global qui est nécessaire. Même si c'est un peu naïf, les JO offrent quand même une parenthèse et montrent qu'on est capables d'être ensemble malgré tout", dit-il.
Ce discours a une illustration concrète avec les nombreux pays participant à cette compétition. "C'est l'événement qui réunit le plus grand nombre de comités nationaux au monde", souligne Carole Gomez, avec 203 comités membres, sans compter la Russie ou la Biélorussie, quand l'Organisation des nations unies (ONU) ne compte que 192 pays membres.
Une trêve olympique "irréaliste"?
Malgré le discours prôné par le CIO, "les conflits ne s'arrêtent pas pendant les JO", rappelle Sylvain Dufraisse.
Alors que certains pays appelaient à la trêve olympique, le chercheur estime qu'il ne s'agit que d'un "vœu pieu" qui a été relancé au début des années 1990 "quand le CIO a trouvé ce moyen pour mettre fin aux boycotts" de la compétition par certains pays.
Pour l'expert en géopolitique du sport Jean-Baptiste Guégan, s'il s'agit d'une "bonne idée sur le papier", la trêve olympique est "irréaliste". "Au nom de quoi la guerre au Yémen ou les conflits au Soudan du Sud s'arrêteraient-ils pendant les JO de Paris?", s'interroge-t-il auprès de BFMTV.com.
Pour Carole Gomez, "le CIO marche une ligne de crête" en prônant un apolitisme difficilement applicable. Elle estime que malgré le discours qu'il prône, le CIO "met en scène un événement sportif emprunt de politique quand il crée une équipe de réfugiés ou quand il sanctionne un pays et pas un autre".
Des tensions amenées à "passer au second plan"?
Pour Jean-Baptiste Guégan, "les JO de 2024 seront les plus politiques et géopolitiques depuis la fin de la guerre froide".
L'enseignant évoque le contexte international actuel, notamment avec la guerre en Ukraine et le conflit entre le Hamas et Israël. "Que va-t-il se passer quand des athlètes palestiniens et israéliens vont se croiser dans le village olympique?", se demande-t-il.
S'y ajoutent, entre autres, selon lui, "les risques terroristes", "d'attentat de l'ultradroite" ou encore de "campagne de désinformation étrangère".
Un pessimisme que ne partage pas Carole Gomez qui rappelle que chaque compétition véhicule son lot de tensions internationales. Et "même s'il peut y avoir de fortes tensions internationales, avec les Jeux, ces problématiques passent en général au second plan", estime-t-elle.
Elle mentionne pour exemple la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Si l'attribution de la compétition à ce pays du Golfe a suscité de nombreuses critiques en amont de l'événement, elles sont ensuite largement passées au second plan une fois les premiers matchs joués.