"Ce jour-là, je vole": tout juste retraité, le judoka Loïc Piétri revisite les moments forts de sa carrière

Dimanche après, Loïc Pietri, en costume, a reçu le cadre photo de sa victoire aux championnats du monde 2013 en moins de 81 kilos. Le Niçois est le seul Français à avoir entendu la Marseillaise avec Teddy Riner sur un championnat planétaire depuis 2001. Une exception qui valait bien un retour sur les années fastes du spécialiste des mouvements d’épaule.
Cet attaquant insatiable au caractère bien trempé, avec une vision claire de sa carrière, n’a pas laissé échapper grand-chose. Médaillé aux Europe à trois reprises, autant aux Mondiaux, champion d’Europe par équipes masculines, il ne lui a manqué qu’une breloque olympique. À 34 ans, il va maintenant se concentrer sur son travail de professeur de judo au JC Monaco, dans une région qui lui est chère.
Loïc Pietri, difficile d’oublier le moment où l’on a entendu parler de vous avec un titre national et tout de suite la victoire aux mondiaux juniors 2009 à Paris.
Après avoir fait toute ma formation à Nice, je suis monté à l’Insep. C’était ma première année à Paris. C’était un peu dur les six premiers mois. Quand on vient du Sud et qu’on débarque à l’Insep, ce n’est pas évident. Cette fin d’année junior a été une belle récompense. J’ai vu que mes sacrifices commençaient à payer.
Quelle était votre mentalité à l’époque ?
Comme tous les jeunes, je pense, 'on fonce'. Peut-être pas tous en fait. J’y allais à fond et je jouais ma carte à 200%. C’est dans mon tempérament. Quand on a 20 ans, on y va avec encore plus d’insouciance.
Vous étiez un attaquant insatiable à l’époque...
Je pense que ça j’ai eu du mal à m’en défaire (rires). C’est peut-être pour ça que j’ai eu du mal dans mes vieilles années. Mon corps a pâti du judo que j’ai pratiqué entre 20 et 26 ans. C’est plus dur de durer quand on a un judo où on essaye de faire tomber du début jusqu’à la fin.
Tout de suite après les juniors, vous participer aux Mondiaux 2010 à Tokyo, où vous n’êtes pas loin de casser la baraque (défaite en 8e de finale).
Sur cette compétition, j’avais été sélectionné au dernier moment. Je bats le Sud-Coréen Song Dae-nam (futur champion olympique en 2012). Je ne savais même pas qui c’était. Ensuite, je perds face au Japonais Takamatsu, contre lequel je me blesse. Je sentais que j’étais en train de le faire douter. J’ai avancé dans la compétition, pour mon premier grand championnat, ça reste un bon souvenir. Je me suis dit que ça allait passer, il fallait continuer. Au départ, on peut douter, car on fait des erreurs, on perd pas mal de combats. Il faut garder la confiance. C’est le genre de compétition qui donne envie d’y retourner encore plus fort.
Vous grimpez encore l’année suivante, avec une 5e position aux Mondiaux 2011 à Paris.
C’était une grosse et longue compétition. Souvent, je sors ma meilleure compétition de ma saison sur le grand championnat. J’ai toujours eu cette constante dans ma carrière. Je me réservais pour le jour J. Je n’ai jamais trop visé les tournois. Je les prenais comme préparation. Je ne me battais pas pour monter à la ranking-list. Je me battais pour la fin de saison et j’ai toujours su élever mon niveau pour le jour J. C’est une fierté quand on regarde ma carrière. Je suis souvent performant les jour J comme les Mondiaux.
Malheureusement, vous n’allez pas aux JO 2012. C’est Alain Schmitt qui est choisi.
On ne va pas refaire l’histoire avec un comité de sélection qui faisait doucement rigoler. Si on regarde mon ratio de médailles en championnat et de sélections, ça prête à sourire. C’était l’ancien monde. Je pense que j’aurais pu avoir plus de médailles si cette partie-là avait été mieux gérée. Avec Alain, la concurrence m’a amené à me dépasser.
2013, à Rio, c'est l’année de votre titre mondial, la plus grande journée de votre carrière peut-être ?
Quand on a tout gagné avant et qu’on gagne, c'est différent. Je ne sais pas s’il y a la surprise de la jeunesse car je faisais 5e en 2011. L’été où il y a les JO de Londres, sur le tapis je commence à sentir qu’il y a quelque chose qui passe. Je commence à survoler le tapis, à faire tomber tout le monde facilement sur les stages d’été. Je ne sais pas que c’est dommage (de ne pas être aux JO). Je suis vraiment fort pendant cette période. Je pars avec ma rancœur en vacances forcées. Quand je reviens à la rentrée, j’ai faim. Il y a quelques disputes avec l’encadrement. Je monte en puissance. Je fais ma première médaille en grand championnat (3e au championnat d’Europe) alors que je n’ai pas de grandes sensations. Ensuite, je vais aux France par équipes et j’envoie tout le monde sur la tête. Mon morote inversé est là (technique d’épaule). Et là je me dis que c’est possible d’être champion du monde), que si j’arrive avec ce niveau-là… Je n’étais pas favori mais j’y croyais dur comme fort. J’ai eu raison de ne pas douter. Sur cette journée-là je vole, une journée comme on en rêve. Je ne sais pas si c’était mon prime. J’avais des sensations incroyables ce jour-là.
Pendant l’olympiade vous êtes sur le podium de tous les championnats du monde… Vous revenez même en finale en 2015 contre le Japonais Nagase (futur double champion olympique) avant les JO où vous perdez au premier tour.
Je l’avais battu l’année d’avant pour la médaille. C’était une bonne concurrence. Je me suis mis de bonnes bastons avec Tchrikishvili, avec Nagase. J’ai eu la chance d’avoir eu mon moment où j’étais tout le temps sur les phases finales. A la fin, j'avais besoin d’un défi. C’est pour cela que j’ai tenté de monter en moins de 90 kilos. Je me suis blessé avant les JO. Je commençais à sentir une lassitude. Ce qui l’a toujours motivé, c'est le défi. Je me suis lancé ce défi après Rio de passer en moins de 90 kilos. C’est dommage de se blesser 6 mois avant les JO. La compétition aurait peut-être été différente. On ne refait pas le monde. Ce jour-là je suis tombé sur l’intérieur de la jambe. J’essaye de revenir vite et je ne suis pas bien entraîné, ça ne pardonne pas.
Après Rio donc, vous tenez de monter de catégorie avant de revenir en moins de 81 kilos.
Je voulais performer en moins de 90 kilos. Malheureusement je n’ai eu que quatre sorties en tournois. J’ai apporté plus de médailles que je n’ai eu de sorties. J’ai eu un conflit avec les entraîneurs. Je leur ai dit qu’ils me viraient comme un malpropre. Je pense que ça venait de plus haut. Je pense que quand j’ai eu un coup de mou, il y a eu une volonté de m’écarter, qui venait de plus haut. Je peux me regarder dans le miroir. J’ai toujours été réglo avec l’équipe. Je n’ai lâché personne quand il y a eu des grèves, je suis toujours resté à bord du bateau. J’ai beaucoup appris dans la défaite ou dans ces petits moments sur moi, davantage que dans les personnes où je gagnais. La vraie vie, c'est savoir gérer le conflit, les égos. J’ai beaucoup appris pendant cette période.
Ce qu’on retient de votre carrière, c'est que vous avez joué collectif aussi, à défendre les intérêts d’un maximum.
Maintenant je peux dire que j’ai des amis en équipe de France. On s’appelle encore tout le temps. C’est ça qui compte. Les médailles on peut en faire un collier, je ne vois pas de différence. Celle qui a compté, c'est ma première médaille mondiale. Ce qui va rester c’est les potes, les médailles sont au grenier je ne suis pas en train de les regarder.
Au début de votre carrière, on vous a souvent ramené à votre père, Marcel (vainqueur du tournoi de Paris et vice-champion d’Europe). En avez-vous souffert ?
Mon père m’a protégé. Je suis un peu rêveur. Je n’en ai pas trop souffert. J’ai l’impression que j’étais en quête, dans un tunnel. Je ne vois pas mon père comme une difficulté. Je vois ça comme un atout. Il m’a aidé à mettre mon judo en place, il m’a dirigé. C’est toujours bien de monter sur les épaules de quelqu’un.
Vous avez trouvé l’amour avec le judo, avec une championne…
J’ai ce petit côté aventurier. Sur une fête après les mondiaux 2014, j’ai rencontré une Brésilienne (Sarah Menezes, championne olympique 2012). On a continué à distance. Je ne savais pas si ça durerait. Ca fait 10 ans, on a un enfant et on en attend un deuxième. Le judo c’est ma vie. Même les amours ça s’est passé dans le judo.