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"Il y a de grands talents, il faut juste les dénicher": comment Hounkpatin et Camara, anciens internationaux français, espèrent développer le rugby en Afrique

Le pilier Wilfrid Hounkpatin avec le Sénégal en juillet 2025

Le pilier Wilfrid Hounkpatin avec le Sénégal en juillet 2025 - DR Instagram Houkpatin

Anciens joueurs du XV de France, les Montpelliérains Wilfrid Hounkpatin et Yacouba Camara ont profité d'une évolution du règlement de World Rugby pour changer de sélection. Si le pilier a déjà disputé ses premiers matchs avec le Sénégal, son coéquipier en Top 14 espère en faire autant avec le Mali pour contribuer au développement de leur sport en Afrique.

Le rugby africain a trouvé deux nouveaux joueurs qui souhaitent promouvoir et développer ce sport sur le continent. Ces deux joueurs jouent à Montpellier: Yacouba Camara et Wilfrid Hounkpatin. Le pilier vient d’ailleurs cet été de disputer ses premiers matchs avec le maillot du Sénégal. Les deux joueurs ont profité de la réforme de World Rugby qui permet à joueur de porter le maillot d’une autre sélection s’ils n’ont pas été appelé depuis trois ans.

Yacouba Camara (17 sélections) n’a plus porté le maillot du XV de France depuis 2019 et la Coupe du monde au Japon et ses parents sont originaires du Mali. Il a donc décidé l’année dernière de porter les couleurs du Mali malgré une nouvelle approche de l’équipe de France. Pour Hounkpatin, sa première et seule sélection remonte à 2021: il pouvait donc jouer pour le Sénégal, le pays d’origine de son père. Les deux joueurs ont accepté de faire un focus passionnant sur le rugby africain et partager leurs souvenirs et liens avec ce continent.

Que représente le rugby en Afrique, notamment pour vous Wilfrid, qui l’avez découvert cet été avec le Sénégal?

Wilfrid Hounkpatin. Pour l'instant, pas grand-chose, malheureusement. Mais moi je vois que ça pourrait représenter beaucoup. Ça pourrait aussi aider, surtout les jeunes, parce qu'il y a des pépites. Il faut juste aller les chercher, les travailler, les polir, et je pense que ça pourrait apporter au rugby, que ce soit en Afrique, mais sur tous les championnats. Il y a de grands talents, il faut juste les dénicher et les aider.

Yacouba Camara. C'est vrai que le rugby n'est pas implanté encore en Afrique. C'est étonnant, parce que tu as une équipe sud-africaine qui est quatre fois championne du monde et le reste de l'Afrique n'est même pas au courant de ce qui se passe. Mais avec des joueurs comme moi, Wilfrid ou d'autres qui jouent en Top 14 ou en Pro D2, notre objectif c'est de faire connaître le rugby en Afrique, de le faire évoluer, pour que ce soit comme du foot: interplanétaire.

Parlez-nous justement de votre premier match avec le Sénégal...

WH. Déjà, les spectateurs ne savaient pas qu'il y avait une compétition qui se préparait, pourtant c'était la Coupe d'Afrique. Après le public était là, ils ont répondu présents, parce que les Africains aiment le sport. C'était une découverte pour la plupart, mais ils ont beaucoup aimé, on a eu des bons retours derrière, et le deuxième match, il y avait encore plus de monde. Et pour la finale, le stade était blindé, et franchement, ça fait plaisir à voir. C'était l'objectif. On voulait essayer de dynamiser un peu le rugby sénégalais, d'avoir un peu de visibilité, c'est chose faite aussi. Il comptait sur moi aussi pour ça. Je m'y emploie et je prends plaisir à m'y employer. J'espère qu'à l'avenir, ça sera encore mieux.

Votre famille a pu assister à vos matchs?

WH. J'ai eu la chance de faire trois matchs cet été. C'était ma première sélection. Franchement, j'ai kiffé. J'ai pris un plaisir fou à jouer. J'ai vu les mecs, quand ils étaient sur le pré, ça s'envoyait comme jamais. Ils avaient mis le maillot, mais ils se transformaient, les gars. C'était abusé. C'était vraiment mouiller le maillot, représenter le pays. C'était le discours des coachs avant chaque rencontre. C'était de représenter tout un pays. J'ai mon père qui était vraiment fier. Le sélectionneur était en contact direct avec lui. Ils étaient contents. Ils l'ont rappelé. Merci de nous avoir envoyé votre fils. Vous pouvez être fier de lui. C'était le plus heureux.

Yacouba, au Mali, il n’est pas encore question de match?

YC. Non pas du tout, la fédération est en reconstruction, c'est un peu compliqué, mais on essaie de mettre des choses fortes en place, des bases solides. Le Mali a été champion d'Afrique en 2005, il me semble. Après, il y a eu des passages, des changements de président, etc. Et là, on essaie vraiment de remettre les bases en place, de mettre quelque chose de solide. Pour déjà mettre une équipe féminine qui est en train de se mettre en forme. Une équipe masculine aussi qui évolue avec des joueurs de la diaspora. Et puis, on a aussi Abdellatif Benazzi qui s'occupe aussi beaucoup du rugby africain. Maintenant, il faut juste trouver le bon créneau pour se rassembler et trouver de quoi faire un match amical avec une équipe ou une autre. Peut-être le Sénégal pour mettre la misère à Wilfrid avant sa retraite. Il faut aussi que l’on soit reconnu par World Rugby.

"J'avais envie de construire et d'être utile"

Vous avez porté le maillot de l’équipe de France puis vous avez décidé de représenter le Sénégal et le Mali, pourquoi ce choix?

YC.  Il faut savoir que ma dernière section, c'était en 2019. Donc, ça fait un bail. Après je n'ai pas refusé l'équipe de France, j'en suis sûr. J'étais en contact un peu avec les sélectionneurs notamment Laurent Sempéré. Je lui ai fait part que moi, je souhaiterais jouer pour le Mali parce que ça faisait plus de cinq ans que je n'avais pas joué avec l'équipe de France. Et puis, on a discuté. Je lui ai dit ce que je ressentais. Il m'a dit qu'il comprenait tout à fait mon choix. Et puis, je ne sais pas, c'est autre chose. C'est un combat. Je sais que c'est un combat que je vais mener avec des joueurs comme Wilfrid, avec des joueurs de la diaspora. Et ça va être long, mais c'est l'objectif. Je sais que c'est un nouveau combat qui commence. On a tout à refaire, on a tout à réorganiser. Et j'espère que le jour où je raccrocherai les crampons, on verra le Mali peut-être jouer contre le Sénégal ou jouer contre des grandes nations du rugby. Mon grand frère qui a joué pour le Mali. Je pense qu'il est fier de moi par rapport à ma décision. Je pense qu'il a envie que le rugby malin se développe. Et voilà, je pense qu'il me suivra, il me poussera dans mes choix pour le rugby africain.

WH. Depuis le passage de cette règle, moi j'ai vu ça comme une opportunité de pouvoir apporter mon expérience du championnat, du Top 14 et du niveau international au Sénégal. C'était quelque chose que j'avais envie de faire. Etant métis, pour moi, c'est une richesse, et le fait de faire un choix … Là, j'avais la possibilité de partir avec l'équipe du Sénégal, d’apporter une expérience à une nation et qui a envie de se développer. J'avais envie de construire et d'être utile. Yacouba a été de très bons conseils dans ce choix aussi. Il m'a dit, écoute-toi. Pour le coup, c'était le vieux qui avait la leçon du jeune. Il m'a dit arrête de douter. C'est ton choix, écoute-toi jusqu'au bout, tu auras toujours raison. Du coup, je me suis écouté, j'ai eu une longue réflexion et je me suis dit, c'est un beau projet. C'est vraiment une aventure, j'ai juste envie de prendre plaisir. Je suis parti une vingtaine de jours en Ouganda et franchement, c'était un pur plaisir.

Vous avez des étoiles dans les yeux en parlant de ce souvenir…

WH. J'ai discuté avec les autres mecs du vestiaire et franchement... C'était sympa, les après-matchs et tout ça là-bas. On était tous dans le même camp de base. Forcément, le soir, on était tous ensemble. On se racontait nos anecdotes. Tu sais comment ça se passe. Ça fait penser au rugby d'avant. Minime, cadet, les trucs, le rugby simple. Moi, je me souviens quand j’étais jeune et qu’on était en train de développer le rugby en Normandie. Et c'était exactement ça. Fini le monde pro, on rigolait. C'était vraiment du plaisir. C'était vivant. Franchement, c'était vraiment une belle aventure. Et dès que je la raconte, j'ai toujours le sourire.

Yacouba, vous avez découvert l’Afrique en 2016 lors de votre première blessure au genou, et c’est une révélation pour vous.

YC. Tout à fait, je m'étais fait les ligaments croisés et j'étais parti avec Zeba Traoré (préparateur du stade toulousain à l’époque) qui est maintenant en NBA. J'étais au plus mal car j'étais en pleine bourre, j'étais à Toulouse. Et je m'en souviens, il me dit: 'le jeune, allez, je te prends, je t'emmène avec moi.' On est parti au Burkina Faso, chez ses parents. On a passé une semaine extraordinaire auprès de la population locale, auprès des équipes de rugby. On allait courir autour du stade. Et franchement, c'est quelque chose qui m'a vraiment fait connaître un peu l'Afrique parce que sans ça, je n'avais jamais voyagé en Afrique. Et après, je suis parti au Mali. Et là, j'ai vu ma famille, les gens que je ne connaissais pas de ma famille. Et puis, je suis tombé amoureux de mon pays d'origine. Mais je suis toujours amoureux de la France et je suis français, je suis fier d'être français.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la mêlée !
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Cette décision ressemble également à un engagement pour l’avenir pour votre après carrière? Vous imaginez créer des stages en Afrique?

YC. Oui c'est une bonne façon aussi de passer flambeau. Faire connaître le rugby en Afrique, il n'y a rien de mieux. C'est l'objectif, c'est de faire partager notre sport, parce qu'on véhicule des valeurs extraordinaires. J'ai envie de les inculquer aux jeunes populations maliennes. Serge Betsen le fait déjà, j’ai échangé avec lui, il a fait beaucoup de choses déjà pour développer le rugby.

WH. Faire des stages, c’est un projet pour moi. On m'a proposé déjà d'être ambassadeur du rugby au Sénégal. Et franchement, ça me plairait déjà dans un premier temps de faire un peu le tour des écoles de rugby là-bas, de voir un peu les centres de formation. C'est encore à développer. Il doit y avoir peut-être un ou deux centres.

Abdelatif Benazzi essaye aussi avec World Rugby d’aider, c’est une aide précieuse pour exister, dire que le rugby en Afrique existe?

WH. Notre objectif, c'est de sortir de cette ombre, de dire écoutez, regardez, on est là, on existe. On a envie aussi d'atteindre des hauts sommets. Et on a juste un peu besoin d'aide. Venez nous tendre la main, aidez-nous. Ça ne coûte pas grand-chose. Nous, on fera avec les moyens du bord, comme on a toujours fait, c'est comme ça. C'est un peu la mentalité africaine. Avec peu, faire beaucoup, faire grand. Et voir grand.

Yacouba, depuis que vous avez fait ce choix, d’autres joueurs vous ont contacté pour suivre votre exemple?

YC. J’ai envie d’aider bien sûr les autres joueurs. L’objectif, c'est d'avoir le maximum de joueurs de qualité pour faire monter le niveau du rugby africain. Il y a plein de joueurs de pro D2 ou de Fédérale 1 qui ont adhéré au projet malien. Ça évolue au fur et à mesure. Je pense que d'ici quelques années, on aura des belles surprises.

WH. Je met des pièces à Léo Coly pour qu’il nous rejoigne (rires)

Julien Landry