"Quand on est exigeant envers les autres, la première des choses c'est de l'être envers soi-même": Thomas Ramos raconte sa rage de vaincre

Thomas, on vous présente de plus en plus comme le grand patron de votre équipe. Comment le vivez-vous ?
Non, non, peut-être que les gens parlent un peu plus de moi, mais je pense que je n'ai pas eu besoin d'attendre le début de cette saison ou la fin de la saison dernière pour être celui que je suis. Après, c'est sûr que voilà, parfois il y a un peu plus de visibilité, parfois il y a un peu plus de médiatisation, donc on fait un peu plus attention aux choses, mais en tout cas, je pense qu'il y a trois ans en arrière ou à l'heure actuelle, je suis le même dans le groupe, avec les mecs, donc ma façon d'être n'a pas changé. C'est peut-être la façon dont on me voit qui a changé, ça c'est peut-être la différence sur la question.
Dimanche dernier vous réalisez cette passe au pied vers votre coéquipier Dimitri Delibes, qui marque ensuite l’essai. Qu’est-ce qui fait que vous tentez ce geste ?
Déjà, sur le match, la première des choses, c'est que certes, il y a une passe au pied, mais je crois que toute la semaine, on a très peu entendu parler de l'essai de "Dim" et honnêtement, je pense que j'ai envie d'en dire deux mots aujourd'hui. Il se le fait tout seul, il élimine 8 ou 9 joueurs ! Aujourd'hui, qui élimine dans notre championnat 8 ou 9 joueurs avant de marquer un essai ? C'est de plus en plus rare, donc j'aurais aimé aussi que durant la semaine, on se rende compte de l'essai qu'il marque. Mais voilà, sur le moment, je sais qu'il y a avantage, donc forcément, je ne me pose pas la question, je sais que c'est un ballon qu'on peut tenter, difficile de te dire s'il n'y avait pas eu l'avantage, est-ce que je l'aurais tenté ou pas. Maintenant que je l'ai fait, c'est facile de te dire, oui, je l'aurais fait, mais non, c'est possible, en tout cas, que ça me vienne à l'esprit de pouvoir tenter cette passe à ce moment-là. Je vois qu'il y a Kylan Hamdaoui qui est vachement avancé, et donc il y a un espace énorme sur le côté droit là-bas.
Votre intersaison a été très courte mais on sent votre équipe déjà prête. Êtes-vous d’accord ?
Oui, l'année dernière, c’était la même chose, on avait eu trois semaines de préparation, on avait joué à Vannes qui montait de pro D2. Ça avait été un match différent. Là honnêtement, ça a été un gros combat d'entrée. Je crois que les 15-20 premières minutes ont été énormément intenses. On est tombé face à une équipe de Clermont très agressive, très déterminée, et surtout, on a buté pendant un petit moment devant leur défense, même à 5 mètres de la ligne. Donc voilà, après les imprécisions, malheureusement, elles font partie aussi de notre jeu, et de ce qu'on tente aussi en match, à l'entraînement. C'est sûr qu'il faut essayer de les gommer le plus possible, parce que moins on aura d'imprécisions, plus on aura de possibilités de scorer. Mais oui, on a vu cette première journée qu'il y avait des équipes d'entrée qui étaient en forme. Donc on se devait aussi de montrer qu'on était là, et surtout, chaque point est important, donc commencer la saison avec une victoire à l'extérieur, ça permet de mieux se projeter.
"On sait qu'on va être attendus partout où on va se déplacer"
On vous retrouve tout de même toujours avec la même confiance. À 24-24 dimanche dernier, elle vous aide à faire basculer les matchs ?
Oui, c'est sûr que c'est toujours mieux de démarrer un match en ayant confiance en soi, confiance en notre système, confiance en nos forces. Comme tu le dis, on est à 24-24, mais avant on est à 24-17 et on leur donne aussi la possibilité de remarquer des points. Mauvaise sortie de camp de notre part, pénalité, pénalité puis essai. Donc ils ont marqué quand même des points, je ne vais pas dire "facilement", mais on leur en a quand même donné. On prend un 50-22 d'entrée, un ballon porté, essai derrière. Ils reviennent chez nous, trois points offerts. Alors à 24-17, on a juste à sortir proprement de notre camp, on n'est pas en danger et au final on se met tout seul en danger. Mais ce qui a fait aussi notre force sur le match, c'est notre discipline. Premier match de la saison, 8 pénalités je crois à l'extérieur, donc c'est quand même une stat importante, C'est certainement ce qui nous permet aussi de gagner ce match, en évitant de laisser Clermont venir dans nos derniers mètres, car on connaît aussi leur force sur ballon porté, la force des avants, de leurs trois-quarts centres. Donc c'était important de les laisser loin de notre ligne.
De l’extérieur difficile de voir quelque chose pour vous arrêter. Est-ce une difficulté pour vous ?
Je ne sais pas si c'est une difficulté pour nous… nous ce qui est important, c'est qu'on sait qu'on a envie d'être, déjà, très bon à domicile cette année. Et la deuxième des choses, on sait qu'on va être attendus partout où on va se déplacer, comme chaque année certainement. Mais oui, forcément que les projecteurs sont sur nous, parce qu'on vient de réaliser un triplé, et on ne peut pas se cacher ça. Après, aujourd'hui, l'avantage c'est que Bordeaux est champion de l'Europe, donc on n'est pas les seuls à devoir assumer un statut, nos amis bordelais en ont aussi maintenant. Donc tant mieux ça va aussi un petit peu nous délester de cette pression.
Vous disiez être le même qu’il y a quelques années, mais les paliers que vous avez passés au niveau international ne vous ont-ils pas aidé à passer un cap ?
Oui bien sûr, ça honnêtement je ne peux pas le remettre en question. C'est sûr que le fait de pouvoir jouer aussi au niveau international, des gros matchs à différents postes, à deux postes notamment ces dernières saisons, m'a permis aussi de prendre encore plus confiance en moi. Et aussi certainement d'absorber de la confiance que le groupe peut me rendre. Donc ça c'est quelque chose d'important. Après, comme je le dis, ce n'est pas parce qu'on parle un peu plus de moi que ma façon d'évoluer au quotidien va changer. J'ai une certaine façon de faire, et peu importe les retombées, tant que j'estime pouvoir avoir l'exigence que j'ai envers moi, et aussi l'exigence que j'ai envers mes coéquipiers, je continuerai à être comme je suis.
Exigeant avec vos coéquipiers comme le jeune talonneur Thomas Lacombre que vous avez réprimandé à cinq minutes de la fin à Clermont alors qu’il avait un genou au sol ?
Oui parce qu’au final c’est un jeune joueur. Il vient de rentrer, on a besoin de lui aussi pour être clairvoyant dans ce qu’il fait et à ce moment-là il s’embrouille sur le terrain. Sauf qu’après, il laisse beaucoup de jus à faire ça et il reste au sol parce qu'il est cramé. Donc à ce moment-là je lui ai juste dit que s'il n'avait pas passé 30 secondes à faire de la lutte au sol, il aurait été un peu plus clairvoyant sur le reste. Mais je crois que c'est important aussi quand on est exigeant envers les autres, la première des choses c'est déjà de l'être envers soi-même. Et je pense l'être. C'est ce qui me permet en tout cas de pouvoir l'être envers les autres. Mais ça n'empêche pas les autres de temps en temps de pouvoir me remettre en place aussi, il n'y a pas de soucis par rapport à ça.
"Parfois on peut se tromper aussi"
C’est souvent électrique sur le terrain, alors ça peut "froisser" ?
Oui, oui. Après, je sais aussi quand ça m'arrive de temps en temps de pouvoir hausser le ton, de pouvoir m'excuser aussi auprès d'un mec, ou quand je donne une consigne et que ce n’est pas la bonne, ça m'arrive aussi de dire désolé c'est ma faute. Parce que c'est le jeu aussi de pouvoir de temps en temps prendre les responsabilités, de dire que ce n’est pas toujours les autres, et parfois c'est soi et on peut se tromper aussi.
On dit souvent qu’après un titre il y a de la décompression. Comment gère-t-on mentalement au quotidien d’être attendu de la sorte ?
Déjà, la première des choses, c'est que la décompression on l'a connue en 2022. On sortait d’un titre en 2019, il n’y avait pas eu de championnat en 2020, d’un doublé en 2021. Et là on a fait deux demi-finales sans titre et du coup, on s'est rendu compte ce qu'était vraiment une année sans titre pour notre génération, pour ce groupe. Et à partir de 2023 c'est vrai qu'on a recommencé à gagner. Mais Qu'est[1]ce qui nous anime ? Déjà je crois que quand on vient et qu'on joue au Stade Toulousain, c'est pour gagner des titres, donc même si on connait notre passé court et notre passé lointain, je crois qu'on se doit quand même d'être motivé à chaque début de saison. On a aussi un staff qui nous permet de nous remettre en question, qui trouve chaque année des ressources sur lesquelles s'appuyer pour pouvoir nous challenger, et pouvoir nous redonner de la motivation. Mais honnêtement, je crois que la plus grande des motivations des joueurs c'est de s'imaginer une saison comme en 2022, sans titre. Forcément, ça fait un petit peu la gueule. Donc voilà, honnêtement, c'est vrai que c'est peut-être une question qui se pose, mais je n'ai pas l'impression qu'elle se pose en tout cas pour nous dans le vestiaire. C'est quelque chose de naturel de se remettre en question, être déterminé à gagner chaque année, et être prêt à affronter forcément toutes les équipes autour de nous qui souhaitent gagner à notre place. Ce qui est normal aussi, ce qui est le jeu.
La dynamique du groupe vous aide-t-elle à bien appréhender ce début de saison ?
Oui, alors déjà, ce qu'il y a de bien mine rien, c'est que le staff nous a laissé six semaines de vacances. Donc pour se régénérer au niveau mental c'est quand même bien. Ça permet vraiment de couper totalement du rugby pendant quelque temps et ensuite de s'y remettre. Donc ça c'est la première des choses. Après, j'ai l'impression que si on est aussi frais mentalement, c'est qu'ils nous gèrent plutôt bien. L'année dernière, il y a eu quand même beaucoup de joueurs utilisés, il y a eu du turnover. Il y a eu des périodes pour les mecs qui n'étaient pas internationaux de coupure totale pendant 10 ou 15 jours pendant les trêves internationales, donc c'est des choses qui permettent de régénérer un groupe et de faire souffler aussi un petit peu les corps, la tête et après quand on remet les crampons pour aller s'entraîner, ça va mieux. Et ce qui nous maintient aussi, c'est l'émulation qu'il y a dans ce groupe. Il y a beaucoup de joueurs à tous les postes, beaucoup de grands joueurs à tous les postes, donc la concurrence fait qu'on est obligé de tout le temps être à l'éveil et de jamais montrer une faiblesse parce que sinon on ne joue pas. Donc voilà, c'est toutes ces choses qui font qu'on repart avec le sourire et la motivation à chaque saison.
"Ugo (Mola) dit que réaliser le quadruplé, c’est impossible"
Est-ce que réaliser le quadruplé comme le club l’a fait dans les années 90 est la principale motivation de la saison ?
D'après Ugo (Mola), c'est impossible. Donc on va essayer de le faire mentir. Mais comme je le dis, forcément, chaque saison est différente, ce qui est important et on ne va pas se le cacher, c’est qu’il y a nous et bien beaucoup d'autres équipes qui souhaitent gagner le Top 14, qui souhaitent gagner la Coupe d'Europe, ça c'est une évidence. Mais après, qu'est-ce qu'on fait toute la saison pour pouvoir en arriver là ? Forcément, l'objectif déjà, c'est de finir dans les deux premiers. Parce qu'on voit sur les dernières saisons que finir dans les deux premiers, ça permet d'avoir un week-end off, de se reposer et de gagner un petit peu de récup sur les autres. Donc ça, c'est la première des choses. Mais on n'en est pas encore à parler de quadruplé, de quatre titres d'affilée. On a le temps, je pense, pour parler de ça. Forcément, oui, c'est dans les têtes de tout le monde, mais en tout cas, ce n'est pas ce dont on parle en ce moment. Ce dont on parle en ce moment, c'est vouloir faire un gros début de saison, marquer des points, engranger des points, parce qu'à la fin, c'est ce qui compte, c’est que tout est remis à zéro. Donc voilà, pour le moment, l'objectif, c'est de bien démarrer la saison.
Attachez-vous beaucoup d’importance à ce premier match à domicile face à Perpignan (samedi, 16h30) ?
Oui, bien sûr, c'est notre première à domicile. Ça sera l'après-midi, donc il y aura du monde au stade. Et évidemment que c'est important de marquer son territoire, de montrer que venir à Toulouse, ça sera difficile. Difficile de gagner. Donc on sait qu'on a une équipe de Perpignan qui va arriver certainement revancharde par rapport à sa performance et à sa défaite de la semaine dernière. À nous de ne pas tomber dans un match piège, à nous d'être sérieux dès le coup d'envoi, de construire notre match. Mais oui, c'est sûr que perdre à la maison, derrière, tu es obligé d'aller gagner un ou deux matchs à l'extérieur pour rattraper cette bévue. On le voit, c'est quand même assez important d'être fort chez soi et surtout de montrer que c'est difficile de gagner, de venir gagner ici.