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"Je laisse les émotions dans le vestiaire": les vérités de Fabien Galthié avant le Tournoi

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Au moment de dévoiler la liste des 42 joueurs qui vont préparer le Tournoi des VI Nations et le premier match face au Pays de Galles, le sélectionneur Fabien Galthié s’est livré en exclusivité à RMC Sport. La liste, les postes en souffrance ou soumis à une grande concurrence, le retour probable de Jégou et Auradou après l’affaire, le choix de son ouvreur mais aussi les détails de sa méthode et son ambition intacte, Galthié s’est longuement expliqué.

A un peu plus de deux semaines du premier match du Tounoi des VI Nations face au pays de Galles, est-ce que le poste de pilier vous inquiète? Wardi est forfait, Tatafu et Gros qui n’ont pas encore rejoué, Atonio est incertain: l’éventail des solutions semble beaucoup moins large...

Oui, très clairement. C’est comme ça depuis que je suis sélectionneur de l’équipe de France et plus particulièrement pendant cette période-là, entre la tournée d'automne et le Tournoi des VI Nations. Il y a un phénomène récurrent de blessures ou d'augmentation des blessures sur les joueurs que l'on suit. On trouvera des solutions. On a déjà travaillé dessus et on prendra les décisions. Ces décisions seront officielles mercredi après-midi.

Le Toulousain Cyril Baille est-il, à vos yeux, en mesure de postuler pour une place de titulaire sur le premier match?

On suit de près son évolution, il revient d’une très, très longue absence. Donc là, ce n’est pas binaire. Les décisions qu'on va avoir à prendre concernant ces joueurs-là, comme Cyril, seront le fruit d’une grande réflexion. D’autant qu'on a six clubs français qui jouent dimanche prochain en Champions Cup. Ça veut dire que le premier entraînement qu'on va pouvoir faire au complet la semaine prochaine à Marcoussis, c’est le mercredi. Et on joue neuf jours plus tard contre le pays de Galles.

Concernant cette liste, est-ce qu'il est l'heure de revoir Oscar Jégou, au regard de ses performances avec La Rochelle?

Si vous parlez d'Oscar Jégou, je pense qu'on peut parler aussi d’Hugo Auradou. Depuis le début, nous avons dit que nous attendions la décision de justice, que nous avons confiance en la justice. En Argentine nous avons dit que nous ferions tout pour faciliter le travail de la justice et nous avons attendu les différentes étapes jusqu'au non-lieu. Le non-lieu, ça veut dire qu'il y a une relaxe totale des deux joueurs. Ça veut dire que ces deux joueurs sont sélectionnables aujourd'hui.

Est-ce que leur performance fait qu'il y a une chance de les voir dans les 42?

Oui.

Est-ce que vous raisonnez maintenant uniquement en termes sportif les concernant?

Nous avons toujours raisonné en termes sportifs les concernant.

Mais vous savez que leur présence potentielle amène des débats au sein du grand public...

Tant qu’il y avait un jugement qui les attendait, il était hors de question qu'on les sélectionne ou qu'on envisage de les sélectionner. Ils rejouent en club maintenant quand même depuis trois mois à peu près. Donc ils jouent tous les week-ends, avec leur club. Dans le championnat de France, ils sont maintenant en Coupe d'Europe, donc, sur un plan sportif, ils sont jugés au même titre que les autres joueurs et pour leur capacité à être potentiellement en équipe de France et l'autre partie c'était la partie juridique et le vice-président et le président de la Fédération, Jean-Marc Lhermet et Florian Grill ont clairement pris une position qui était c'est un non-lieu ou pas de sélection. C'est un non-lieu.

Même s’il y a un appel de la plaignante...

Mais nous faisons confiance à la justice donc il y a dans l'organisation de la justice, la possibilité de faire appel. La justice suit son cours, suit son travail. Mais aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, c'est un non-lieu qui les concerne, pas autre chose.

"Jegou et Auradou sont candidats à l'équipe de France de par leurs performances"

Un mot sur leur performance, justement?

Ils sont candidats à l'équipe de France de par leur performance.

Ils vous surprennent? Oscar Jégou enchaîne les matchs de grande qualité avec la Rochelle...

C'est pour ça qu'on les avait sélectionnés au mois de juin. C'est des joueurs qui ont un cursus international depuis les moins de 20 ans et qui ont très vite enchaîné avec leur club, avec les équipes seniors.

Vous avez parfois fait des choix forts en novembre, Ollivon ou Aldritt pas sur la feuille, Fickou, alors qu'il avait beaucoup joué avant en Top 14 il est vrai, en tant que remplaçant. Ça n'était jamais arrivé… Il n’y a plus de statuts en équipe de France?

Il y a un vécu, que l'on prend compte, une expérience que l'on prend en compte, une expérience collective et individuelle que l'on prend en compte, qui est très importante pour la performance. Mais vous savez, on est un staff de 32 personnes. 32 personnes, énormément de compétences, multidisciplinaires, ce qui nous permet de bien réfléchir et de prendre les meilleures décisions possibles. Évidemment, ensuite, c'est la performance qui va nous donner raison ou tort. Mais sur toutes les décisions que l'on a prises, notamment au mois de novembre, elles étaient motivées par une seule chose, c'est nos études, notre réflexion. Ce qui a amené des décisions claires et simples. Donc en fait, l'émulation, ça fait partie de l'équipe de France. Et quand on peut avoir de l'émulation parce qu'on a des joueurs disponibles, des joueurs non blessés, et bien ça nous permet de rendre l'équipe de France plus forte.

Au sortir du tournoi 2024, vous aviez expliqué vouloir emmener 80% du groupe de l'époque à la Coupe du monde...

On en parlera à la fin. On en parlera en 2027. 80% ? C'est toujours le cas. Sur un effectif de 30 joueurs, ça fait entre 22 et 23 joueurs parmi 30. Ça veut dire une rotation de sept joueurs, sept ou huit. On ne s'interdit rien. S'il doit y avoir plus de 80% ou moins de 80% de joueurs qui ont participé à la dernière Coupe du monde, ça sera le choix et le résultat de quatre années de compétition. Avec l'équipe de France, on touche à l'émulation suprême. Pour garder sa place en équipe de France, pour maintenir son niveau international, ce n’est pas simple. Passer au travers des blessures, être capable de se régénérer, physiquement.

On n'était pas habitués à voir Grégory Aldritt en dehors du groupe, Charles Ollivon en dehors du groupe ces dernières années, ou Gaël Fickou remplaçant. C'est arrivé là et c'était un peu une surprise...

Non, ce n'était pas une surprise pour nous. C'est des choses qu'on avait partagées sur le tournoi 2024. C'est-à-dire qu'à la fin du cycle Coupe du monde et après la défaite face à l'Afrique du Sud d'un point, on a senti un arrêt et on a senti que ces joueurs-là, qui s'étaient préparés depuis quatre ans pour cet objectif, avaient des difficultés pour se relancer, ce qui est bien compréhensible. Mais en même temps, il y avait un arbitrage à faire entre la confiance que l'on a construit, la confiance est importante à ce niveau-là depuis quatre ans pour le nouveau cycle, et l'émulation. Donc le tournoi 2024 a été pour nous l'occasion déjà de tous se revoir et de tous en fait traverser cette période qui était encore difficile, c'est-à-dire qu'on était post-coupe du monde, et c'était un tournoi qui était post-Coupe du monde très complexe. Et en fait, sans être brillant, puisqu'on a terminé second et non premier, l'équipe a réussi, en démarrant très difficilement face à l'Irlande, à redresser en fait les performances, semaine après semaine, puisqu’en fait un Tournoi des VI Nations, c'est huit semaines pour nous. Cinq matchs et six semaines de travail et deux semaines où ils repartent chez eux pour se régénérer et en même temps ils travaillent. Donc huit semaines, c'est deux mois, ça permet aussi, plutôt que d'écarter des joueurs parce qu'ils ne sont pas en forme, de les garder avec nous et de les accompagner dans cette régénération, entre guillemets, qui était post coupe du monde. Et ensuite arbitrer. Et donc, au fil de la compétition, notre composition d'équipe a bougé bien sûr, en fonction des blessures, en fonction des suspensions et en fonction des retours de blessures, pour arriver à une composition d'équipe qui n'était pas du tout la même que lors du premier match face à l'Angleterre et face à l'Irlande. Ce qui est sûr, c'est que l'équipe a redressé la tête et puis a réussi à finir seconde sur la dernière journée, dans un tournoi très complexe, où l'ensemble du staff, je dis bien l'ensemble du staff, a fait preuve de force, de détermination et de compétence. Et l'ensemble des joueurs derrière, parce que tout démarre par le staff, et ensuite, c'est les joueurs qui reproduisent et qui jouent. Le groupe des joueurs a su faire preuve de force, de consistance pour performer dans une période très difficile.

Avec des néo-capés aussi…

Avec des rotations! Et finalement, avec une année 2024 très complexe, parce que lors de la tournée en Argentine, on n'a pas été épargné aussi par des mauvaises surprises, pas sportives malheureusement mais extra-sportives et ça fait partie d'un groupe. Et finalement, notre équipe termine cette période-là avec la tournée de novembre, avec quasiment une défaite face à l'Irlande, une défaite en Argentine dans un contexte très particulier, donc deux défaites dans des contextes très particuliers, et le reste ce sont des victoires et un match nul. Et elle performe sur le plan mondial. C'est la deuxième équipe en termes de victoires. Alors bien sûr, vous êtes très exigeant avec nous et on est d'accord, nos supporters ont envie de vibrer avec l'équipe de France, mais ce sont des chiffres.

Et elle a servi cette année, c'est ce que vous voulez dire aussi?

Il n'y a pas une année qui ne sert pas. On n'oubliera pas et il ne faut pas oublier l'année 2023 et notamment cette Coupe du Monde. Il faut vraiment s'en servir, mais il faut se diriger maintenant avec un focus sur 2027 et la Coupe du Monde en Australie, sans négliger le reste, parce que tous les matchs pour nous sont importants. Je vous répète, vous connaissez notre taux de victoire depuis 2020 ? 80% de victoire. Ça veut dire qu'on joue tous les matchs pour les gagner. Parce que dans les défaites, je crois qu'il y a onze défaites et sur ces onze, sur 55 matchs, il y en a que quatre au-delà d'une marque. Ça veut dire qu'on a connues sept défaites de moins de deux points. Et donc sur ces matchs, on peut encore aller chercher la victoire dans les dernières actions. Et ça c'est notre ambition.

"Je peux comprendre que des joueurs, par un manque d'énergie par moment, se posent des questions. C'était le cas de Mathieu (Jalibert)"

Toujours concernant la liste, est-ce que les prestations de Thomas Ramos, titulaire en dix lors de la série actuelle de cinq victoires consécutives, vous placent devant un dilemme?

Pas du tout. J'ai senti chez vous, par rapport à ce sujet-là, au départ, une polémique. Bon, on est habitué aussi, je veux dire, je suis habitué depuis maintenant...

Il y a des questions qui se posent…

Oui, les questions elles sont intéressantes, mais on sent qu'on a envie de polémiquer et ça fait partie du jeu, ça fait du buzz comme on dit.

Non, Thomas Ramos est un arrière, il a été placé en dix et a été excellent à la fin du dernier tournoi ou en novembre…

Mais en fait nous, si vous voulez, on a toujours un problème et il faut qu'on trouve une solution. Et pour trouver la solution, il faut résoudre le problème, c'est mathématique. Et on a ça en permanence. Que ce soit pour la composition d'équipe, la préparation, la gestion des blessés, de l'agenda, du calendrier, les choix stratégiques ou tactiques par rapport à l'adversaire. Donc c'est en permanence ça, ça fait partie de notre quotidien. Mais quand on prend une décision comme ça, il y a 32 personnes qui travaillent sur le sujet. Je dirais, pas jour et nuit, mais jour.

Mais c'est la question maintenant, comme Ramos a été excellent, mais que Romain Ntamack était votre numéro dix, installé avant sa grave blessure à la Coupe du monde…

(Il coupe) On n'est jamais installé en équipe de France. On a des performances qui nous donnent la possibilité ou le statut d'un titulaire. C'est comme ça que ça se passe. Ce sont les performances. Vous savez, c'est le terrain, la performance. Nous, on cherche à avoir la meilleure équipe de France possible. On ne va pas chercher à faire jouer les copains ou bien les plus beaux.

Alors posons la question différemment: est-ce que les performances de Thomas Ramos vous font réfléchir?

Elles nous donnent déjà des options dans les moments difficiles, comme la fin du Tournoi 2024 et puis la tournée d’automne. Et elles nous donnent des options bien sûr.

Est-ce que vous entendez quand Thomas Ramos dit sa préférence pour le poste d'arrière?

On entend tout. Et c'est important que les joueurs puissent s'exprimer.

Vous en avez discuté avec lui peut-être?

Bien sûr! Pas peut-être, sûrement. On les observe, on échange, on discute, on collabore et on prend une décision. Et ça, ça s'appelle la résolution d'un problème.

La blessure de Romain Buros va peut-être vous faciliter les choix…

Non, ce qui nous facilite, c'est l'émulation, ce n’est pas les absences. Ça, c'est très important. Plus on a de bons joueurs disponibles, moins il y a de blessés, plus il est facile de composer l'équipe de France qui gagne.

Quid de Mathieu Jalibert dans ce groupe? Après la discussion que vous aviez eu avec lui et son départ de Marcoussis en novembre...

On a un style de travail, on travaille en open space à Marcoussis, c'est-à-dire qu'ily a un grand bureau, une grande salle où tout le monde vient prendre des informations, une partie de notre rugby dans cet espace là. La restauration, c'est des tables mélangées, il n'y a pas de table staff, des tables joueurs. Donc on dîne, on déjeune, on petit déjeune avec les joueurs. On a beaucoup de temps pour échanger. Il est nécessaire, parce qu’on se voit peu, il faut que notre équipe soit vraiment très mélangée et puisse vraiment échanger. Donc avec Mathieu, nous avons échangé pendant la tournée. Nous avons pris cette décision, un accord avec lui, la deuxième semaine. Et c'était très bien pour lui, c'était très bien pour nous. Nous, on a besoin de joueurs déterminés, habités par une seule chose, c'est être convaincu d'être à sa place. Quand un joueur est convaincu d'être à sa place, qu'il soit titulaire, qu'il soit finisseur, qu'il soit dans le groupe ou parmi les 42, et bien c'est un joueur qui va apporter à l'équipe de France. Et nous on a besoin de joueurs qui apportent à l'équipe de France. Et je peux comprendre que des joueurs, par un manque d'énergie par moment, se posent des questions. Et c'était le cas de Mathieu. Donc, après avoir travaillé une fois de plus avec notre staff, et ça c'est important, on a pu verbaliser et identifier le besoin pour Mathieu de quitter le groupe pour aller se régénérer à Bordeaux. Et c'est très bien pour lui comme pour nous. Ce qui fait partie de notre exposition. Le petit bémol, c'est que ça a généré un peu de polémiques. Nous, ça ne nous pose pas de problème et j'espère qu'à Matthieu, ça ne lui a pas posé de problème, parce qu'il a fallu qu'il traverse ça aussi, de manière individuelle. Nous, on le traverse de manière collective. Le joueur, lui, quand il se détache comme ça, il va être soumis à une forme de pression. Et il va falloir qu'il gère individuellement. Et je trouve qu'il a il a très bien géré.

Il peut revenir maintenant?

Eh bien on va appeler une liste 42 joueurs ce mercredi, on va lui poser la question "est-ce que tu veux venir ou pas?"

"Tous les week-ends, on fait quatre équipe"

Vous avez parlé de votre méthode, de l’Open Space, il y a quelque chose qui nous intéresse un peu, c'est votre fonctionnement, dont on n'a jamais trop parlé. Comment ça se passe ces moments où vous vous réunissez pour constituer cette liste? On a toujours parlé de ranking, que chacun des membres du staff donne une liste avec un nombre de joueurs… Est-ce que c'est comme ça?

En fait, tous les lundis, après la journée de championnat ou de coupe d'Europe on a une visio avec le staff, toute la matinée de 9h à midi. Le staff, c'est 32 personnes, vous avez les coachs rugby, la partie performance, la partie médicale, l'analyse et le rugby. Donc tous les lundis les coachs rugby envoient la veille ou le lundi matin, leur sélection de 42, leurs 28, leurs 23, leurs 15. A 9 heures, Nicolas Buffa, qui est le patron de l’analyse, nous connecte et affiche les compositions d'équipe. Donc on découvre les compositions d'équipe et chaque coach va raconter son équipe. Il raconte ses 15, il raconte ses 8, il raconte ses 28, il raconte ses 42. En général l'équilibre c'est 23 avants et 19 trois quarts. Dans les 23 avant on retrouve 9 premières lignes, on retrouve 6 secondes lignes et le reste sont les troisièmes lignes. Pour les 19 trois quarts, c'est souvent trois charnières, et après c'est un arbitrage à peu près équilibré entre les centres, les ailiers et l'arrière, sachant qu'on a des arrières qui jouent dix, sachant qu'on a des neufs qui jouent dix, sachant qu'on a des ailiers qui jouent centre, et on a des centres qui jouent ailiers. Donc chacun raconte son histoire, et puis à la fin, moi je synthétise les 15, les 23, les 28 et les 42.

Il y a des débats animés parfois?

Toujours, toujours. On accepte et surtout je souhaite la critique. Je souhaite le débat, je souhaite vraiment le challenge.

Et vous tranchez?

Je pose une équipe. Ensuite, quand j'ai posé l'équipe, je demande à chacun d'entre nous de commenter ma sélection. Et parfois, comme la première échéance c’est la liste des 42 et ensuite la dernière échéance, c’est le mercredi quand on arrête la compo d'équipe après le dernier entraînement qui est à la mi-journée donc, on a des étapes. Mais, tous les week-ends, on est parti sur un ranking de soixante joueurs. De quatre équipes donc. Ça veut dire il y a soixante joueurs qu'on a déjà appelé pour leur dire : on vous suit. Et on leur a posé les trois questions : est-ce que, pendant la période du tournoi, même si tu n'es pas sélectionné au début, si on t'appelle, est-ce que tu viens ? Est-ce que tu repars ? Est-ce que tu reviens ? Donc nous on veut qu'ils soient en accord avec la méthode, il ne faut pas la subir. Maintenant ils la connaissent, c'est le sixième tournoi. Donc on a besoin d'entendre oui. C'est la période des vacances aussi. il y a deux semaines de vacances en top 14.

Certains ont besoin de repos et peuvent partir en voyage?

Il faut que, pendant les vacances, tu ne sois pas trop loin. C'est-à-dire que, si tu pars trop loin, on ne pourra pas t'appeler. Mais si tu pars à une heure de vol de Paris, à deux heures de vol de Paris, à deux heures et demie de vol de Paris, c'est encore jouable. Donc oui, c'est important. Parce qu'au début, on a été surpris. Il y avait des gars qui étaient intouchables. Maintenant, on leur propose. Vous savez, la vision qu'on leur propose, c'est 2027.Donc c'est bien, même si t'es encore un peu éloigné dans le ranking, quand tu es professionnel de rugby et que tu as une ambition, c'est d'être le meilleur joueur possible. C'est bien de, potentiellement, être dans le ranking de l'équipe de France. Donc ça, ils l'ont compris. Donc voilà, les questions qu'on pose. Et une fois qu'on a fait le ranking, on appelle tous les joueurs. Tous les lundis ou tous les mardis, il y a les coachs qui appellent les joueurs. Pour le suivi. En même temps, le médical est en relation avec le médical des clubs. La perf' est en relation avec la perf' des clubs, c'est-à-dire qu'on connaît quasiment toutes les données produites sur les soixante joueurs que l'on suit. On connaît leur état physique, physiologique, et on a même la cellule préparation mentale qui travaille avec eux. Donc, cette méthodologie nous amène à avoir, par étapes en fait, un choix très cohérent le jour de l'annonce de l'équipe. Il y a une logique, il n'y a pas de surprise sur les 42. Pour nous, il y a une très grande cohérence.

Vous avez aussi un conseil des cadres un peu en équipe de France, on peut l'appeler comme ça? Plusieurs joueurs, c'est ça?

Il y a toujours, je pense, on va dire six, parmi les 42, six joueurs, parfois huit, que je consulte régulièrement sur des questions basiques qui sont la journée, l'agenda, le contenu stratégique, le contenu tactique, l'état physique, l'état psychologique. Il y a des questions basiques sur lesquelles je checke quasiment tous les jours avec eux.

Vous pouvez nous citer certains de ces joueurs?

Non, je ne vais pas citer, mais vous avez les capitaines, tous les joueurs qui ont été capitaines plus ou moins, parfois ils sont blessés, absents. Vous avez des joueurs aussi qui ont été capitaines ou des joueurs titulaires qui sont dans les 42 mais pas dans les 28, ce n’est pas pour ça qu'ils ne participent pas à la décision collective sur ces questions basiques. Des joueurs qui sont finisseurs, des joueurs supplémentaires, n'oubliez pas que Greg Alldritt était réserviste face à l'Argentine. N'oubliez pas que Charles Ollivon a été relâché sur le premier match face au Japon, il est reparti en club jouer et a été titulaire après. Et Gael Fickou était finisseur sur le premier de ses matchs. Il y a donc une cohérence, parce que ça nous permet aussi, même sur des compétitions de quatre semaines comme la tournée de novembre, de repréparer les joueurs ou de les régénérer ou de faire passer des messages. En tout cas, c'est la possibilité d'être en contact avec eux pendant huit semaines. Franchement, pendant les compétitions hors compétition internationale, on n'intervient pas auprès des managers, on n'intervient jamais auprès de la perf. On suit, on va dans les clubs, on est très présents dans les clubs, on a une relation je crois avec les clubs qui est très intime je dirais.

Vous êtes souvent dans les clubs?

Là on était à Toulon la semaine dernière. On a travaillé avec le staff de Pierre Mignoni. Là aussi il y a une méthodologie qui est très intéressante dans les clubs, je peux en parler. On vient de passer une semaine à Toulon. On avait fait ça avec le club de Pau avant la tournée de novembre. Donc en gros la semaine se passe comme ça : on arrive, on travaille, on fait un long débrief sur la compétition qui est passée, un long débrief avec toutes les practices dont le rugby, puis après on travaille sur la méthodologie de notre nouvel entraînement, Donc on se prépare à s'entraîner à entraîner. Le club, c'est-à-dire Pau et Toulon, nous avons à disposition l'équipe Espoir. 42 joueurs où on va tester les modules d'entraînements. On regarde, on filme tout, ça dure une demi-journée. Même la vidéo, même les présentations des images. Ensuite, on a une demi-journée avec le staff de Toulon ,le staff de Pau, où on présente nos études. C'est-à-dire que si on jouait Toulon, ou si on jouait Pau avec le staff, voilà comment on jouerait. On se challenge, on travaille avec Toulon et Pau, on leur donne toutes les données qu'on a étudiées et la stratégie qu'on a décidé. Et ensuite, on va observer. Le cinquième temps, c'est l'observation d'entraînement à Toulon. L'échange avec les coachs. Et pareil pour le médical, pareil pour l'analyse, et pareil pour la performance.

Vous affichez 80% de victoire depuis que vous êtes sélectionneur, mais à la sortie du dernier Tournoi, vous n'avez qu'un seul titre, le Grand Chelem de 2022. Vous disiez, à l'époque qu’il en manque. Est-ce que vous vous dites que vous devez de remporter les tournois qui arrivent?

Ah non, je ne peux pas envoyer ce mot-là. Oui, on veut gagner, on se prépare pour gagner tous les matchs et quand on se prépare pour gagner tous les matchs, normalement on n'est jamais très loin des titres. Mais vous savez il n'y a pas beaucoup de titres à gagner en rugby. A la fin de la tournée, on a gagné toutes les tournées, mais ce n’est pas des titres. Mais pour nous c'est des tests matchs.

Vous vous placeriez en poids favori de ce Tournoi? Ou vous placeriez les Irlandais qui vous reçoivent, ainsi que l’Angleterre?

C’est un bon tournoi de challengers pour nous. Un beau challenge à relever, un très bon challenge à relever. Avec notre ambition, de gagner tous les matchs.

Vous pensez encore à la dernière Coupe du monde?

Oui.

Et qu'est-ce que vous dites?

Il y a de la matière. Ça nous a donné beaucoup, beaucoup de matière. Alors au début, c'est difficile, parce qu'il y a une charge émotionnelle qui est trop importante.

Les regrets sont éternels?

D'abord, une charge émotionnelle très importante. Mais après, une fois qu'on a enlevé ça, il y a un contenu, il y a de la matière pour nous, pour la suite. Et d'ailleurs, on s'en sert déjà.

Vous pensez à la suivante en vous rasant le matin? Vous y pensez tous les jours, à l'Australie?

Est-ce que c'est tous les jours? Est-ce que c'est toutes les heures? Est-ce que c'est tout le temps? Je n'ai pas la réponse, mais c'est très présent. Très présent. Très, très présent.

Pour parler de vous, vous occupez un poste très exposé. Vous lisez, vous écoutez tout ce qui se dit sur vous? On ne fend pas l'armure quand on est sélectionneur?

En tout cas, je travaille vraiment avec mon staff, donc je ne me suis jamais senti isolé. Toutes les réponses que, au final, on a pris sur des décisions, toutes les décisions, préparation, agenda, stratégique, elles sont passées de décisions très complexes à décisions simples. En fait, grâce au travail du staff autour de moi. Donc jamais isolé. Ensuite, ce qui se dit, oui, ça c'est une partie du métier, ce n’est rien par rapport au travail. C'est la partie, on va dire, vitrine, écho médiatique, lumière. J'ai une partie communication, je suis accompagné et je travaille main dans la main avec les services de communication. Et aussi avec Jean-Marc Lhermet, qui est le patron du sportif élu à la Fédération. Et en fait j'essaye, je dis bien que je ne fais pas tout bien, bien sûr j'entends souvent vos remarques, vos critiques. J'essaie de m'améliorer.

Il y a des conférences de presse où vous parlez de plein de choses, et il y en a d’autres où vous êtes plus fermé. Parfois vous êtes un peu insaisissable…

Mais vous voulez me saisir, mais pourquoi (rires)? Essayez de me comprendre déjà. En tout cas, je travaille beaucoup. Je peux vous dire que je suis très laborieux sur la chose. J'essaie de parler, quand je réponds à vos questions, je pense bien sûr à nos clubs, à nos licenciés, à nos passionnés, à nos supporters. Je parle aux joueurs, je sais l'écho derrière qui est très important. J'essaie d'être le plus clair possible, de porter en fait notre vision. J'essaie de rassembler, j'essaie de fédérer autour de ce projet et je prépare toujours de manière besogneuse ces interviews. Parce que je sais que nos supporters ont envie d'entendre, nos joueurs aussi. Les joueurs nous écoutent. Je sais que quand je parle, les joueurs de l’équipe de France vont écouter. Les familles, les parents, les joueurs, les supporters, tous les licenciés, tous les bénévoles dans les clubs. Donc c'est une mission. Je prends ça comme une mission, ça dépasse totalement la… je veux dire, c'est désincarné. Je suis au service du projet. Alors tout lire tout, tout suivre, tout écouter, c'est impossible. Mais j'ai des services qui me font des retours. Et que ce soit critique positive ou critique négative, je dois l'entendre et je dois le comprendre. Ensuite, je vous assure, ce n’est pas vous qui faites la composition d'équipe. Vous pouvez pousser, vous pouvez faire du lobbying, c'est très bien, moi j'adore quand vous parlez... Non mais j'entends aussi les prédicateurs, les supporters, les consultants très érudits qui parlent, et j'ai joué avec eux pour la plupart. Je les connais, je sais comment ils jouaient, je sais comment ils se comportent, c'est la règle du jeu. Et je ne vais surtout pas m'emporter contre des commentaires positifs ou négatifs. Surtout, il y a une chose que je peux vous confier aussi, c'est que pour prendre des bonnes décisions, et en fait, mon job, c'est de prendre les meilleures décisions possibles, et pour cela il faut avoir une charge cognitive la plus faible possible. Ça veut dire qu'il faut que je laisse toutes ces émotions liées au commentaire dans le vestiaire. Quand je rentre sur le terrain pour prendre la décision, il faut avoir tout déposé au vestiaire. Et c'est ce que je m'attache à faire ça.

Wilfried Templier