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Boxe: Tony Yoka, l’heure du grand changement?

Battu par Martin Bakole sur décision samedi soir à Bercy, le poids lourd français Tony Yoka a subi la première défaite de sa carrière professionnelle pour son douzième combat. Un coup de frein clair à sa "conquête" mondiale. Comment rebondir? Que doit modifier celui qui annonce devoir "peut-être changer certaines choses"? Le RMC Fighter Club débriefe le revers du champion olympique 2016.

Sur le ring, ses mots se sont conclus la gorge serrée. L’émotion palpable. "Martin a été le plus fort dans le ring, tout le monde a pu le voir. Félicitations à lui. Il est temps de retourner travailler, peut-être de changer certaines choses…" On peut penser ce que l’on veut de Tony Yoka mais il faut reconnaître une chose: le boxeur français ne s’est pas caché ce samedi soir à Bercy, où il faisait sa première, à l’heure de commenter sa première défaite dans les rangs professionnels subie par décision (mention à l’ubuesque carte 94-94 d’un des juges…) contre Martin Bakole. Yoka a été battu par plus fort et n'a pas prouvé qu'il pouvait rivaliser pour l'instant avec le top mondial. Mais il faut parfois chuter pour mieux se relever.

Plus puissant, le Congolais qui a boxé avec des faux airs de George Foreman a malmené le champion olympique 2016 dès le début de combat, l’envoyant au tapis pour la première fois de sa carrière au premier round. Hagard, touché, Yoka a subi la foudre ce celui qui a servi de sparring-partner à Tyson Fury, Anthony Joshua ou encore Oleksandr Usyk mais aura au moins su ne pas lâcher l’affaire et revenir mieux dans la seconde moitié de combat même si l’issue semblait déjà pliée après s’être tordu la cheville et avoir été une nouvelle fois été compté par l’arbitre lors de la cinquième reprise. Plus rapide et plus mobile que son adversaire, il n'aura pas su en profiter quand les choses allaient mieux pour lui.

Cissokho: "Il s’est fracturé le nez durant son camp d’entraînement"

"Tony a connu un petit rebond après la moitié du combat, en mettant plus de coups, mais ça reste des rounds serrés et Bakole a gagné le combat, on est tous d’accord, analyse Souleymane Cissokho, le combattant française consultant boxe pour le podcast RMC Fighter Club et très proche de Yoka avec qui il a partagé l’aventure olympique en 2016 et plusieurs cartes chez les pros. Mais Tony n’a pas lâché le morceau. Beaucoup auraient abandonné. On aurait aimé qu’il en fasse plus pour faire la différence à la fin, c’était possible car Bakole commençait à être fatigué mais c’est un combat où il va beaucoup apprendre."

Et qu’il n’a pas abordé à 100% de ses moyens, ce qui peut expliquer ses difficultés à encaisser (et son nez vite en sang). "Ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il s’est fracturé le nez durant son camp d’entraînement, confie Souleymane Cissokho, et les mises de gants étaient compliquées entre son casque à barre et les nombreux saignements. On prend un petit coup au niveau de la confiance, ça joue sur le moral. Un boxeur prêt à 100% ne s’inquiète pas et n’a pas d’appréhension, il va y aller à 100%, alors que dans l’inconscient celui qui a eu une blessure va mettre un peu de frein. J’ai beaucoup parlé à son entourage et c’est le premier combat où ils étaient inquiets car ce n’était pas évident avec cette fracture au nez." Vu le résultat, ils avaient raison de craindre Bakole, plus gros test sur sa route pour l’instant.

Notre consultant évoque également des choses qu’il "ne peu(t) pas dire" mais que Tony "dira peut-être à la fin de sa carrière". Problème physique? Mental? Autre? On en saura peut-être plus un jour. Et maintenant? Quelle suite pour Yoka à 30 ans et près de six années après son sacre olympique? Si ceux qui le critiquent se sont réjouis de sa chute, il faut vite balayer la toxique culture du zéro – avoir zéro défaite en carrière comme un Floyd Mayweather – pour se rendre compte que le rebond est possible. Il faudra "retourner travailler", comme il dit, mais un revers n’est pas un arrêt définitif, la preuve avec Bakole battu par l’Américain Michael Hunter en 2018 et qui reste sur sept victoires depuis. "Il a déjà connu la défaite chez les amateurs, et même la défaite avant la limite, rappelle Souleymane Cissokho, et on connaît la finalité de l’histoire où il était devenu champion du monde et champion olympique. Pour moi, c’est la même chose."

Le coup d’arrêt mis à "la conquête" est clair. Mais il ne faut surtout pas enterrer la carrière de Yoka. Membre du top 20 mondial, le boxeur aura encore d’autres belles opportunités. Cela commencera sans doute par le championnat d’Europe EBU contre l’Allemand Agit Kabayel, déjà dans les tuyaux avant le combat contre Bakole. A ce moment de sa carrière, juste après sa première défaite, on aimerait aussi voir l’homme aux douze sorties dans le ring en cinq ans et demi de professionnalisme combattre sur des cartes Top Rank (son co-promoteur américain) sans être trop dans la lumière comme c’est le cas quand il boxe dans son pays.

Mais son engagement avec Canal court encore sur trois combats et on n’imagine pas la chaîne cryptée accepter facilement de voir ses combats diffusés en plein milieu de la nuit. "Si ça ne tenait qu’à lui, il aurait boxé depuis longtemps aux Etats-Unis", confirme Souleymane Cissokho. Comme s'il se retrouvait un peu "coincé". Pour sa carrière, il aurait sans doute dû s'expatrier plus tôt. Mais difficile de lui reprocher d'avoir mis sa famille à l'abri avec la belle proposition financière de la chaîne cryptée et d'avoir tout fait pour matérialiser sa volonté de relancer la boxe en France à l'image de ce combat à Bercy ou celui à Roland-Garros contre Petar Milas en septembre dernier.

Sa montée en puissance sportive aura été cohérente, comme il faut le faire chez les lourds, mais le problème aura toujours été le marketing trop lourd et les attentes trop précoces autour de son nom. Alors, que reste-t-il à faire pour se relancer? Changer de coach et quitter Virgil Hunter – qui s’est dit déçu après le combat de pas avoir été avec lui pour son camp d’entraînement (problème de santé), Yoka s’entraînant sans lui à Las Vegas avant qu'il ne le rejoigne à Paris pour être dans son coin – pour un autre entraîneur qui développerait mieux sa puissance et sa capacité à gérer le corps-à-corps, comme Sugar Hill Steward a su le faire chez Kronk avec Tyson Fury après le premier combat contre Deontay Wilder? D’autres lacunes sont à travailler, par exemple en défense.

"On enterre Tony trop vite"

Mais Souleymane Cissokho, également coaché par Hunter, met de la nuance: "L’important n’est pas le nom. C’est d’être avec quelqu’un avec qui une relation forte peut se créer. Il y a plein de coaches mais il faut que la relation s’emboîte bien. Son manque de puissance? Il a quand même fracturé le nez de Bakole! Tony, c’est quelqu’un qui arrive à faire mal. Mais quand tu te fais toucher comme ça au premier round, et il s’est bien fait toucher, parfois, tu n’es plus toi. Tu prends un coup au moral et tu perds toutes tes capacités. Derrière, il n’était plus en jambes. Je ne sais pas si Bakole est meilleur que Tony. C’était le cas ce soir-là mais je ne pense pas que ce soit le cas dans l’absolu."

Et notre consultant de conclure: "On enterre Tony un peu trop vite. Avant ça, on disait qu’il avait gagné en puissance, qu’il utilisait mieux ses crochets, qu’il devenait un vrai boxeur professionnel. Et là, pour une défaite, on est en train de tout revoir sur sa carrière. Il a fait une bonne transition entre la boxe amateur et la boxe professionnelle mais là, des choses sont ressorties qu’on pensait dans le passé, alors qu’il aurait pu balader Bakole avec ses qualités." Champion olympique, capable de ramener ses combats à Roland-Garros ou Bercy, Tony Yoka a beaucoup fait pour la boxe française ces dernières années. Mais désormais, après cette première défaite, il doit peut-être penser un peu plus à sa propre carrière. Et cela pourrait passer par du changement comme il l’a lui-même lancé.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport