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"Un cancer pour les Kényans": comment 140 athlètes ont été suspendus par les agences antidopage, félicitées par Jimmy Gressier

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Quelque 140 athlètes kényans sont actuellement suspendus pour dopage, plus haut total pour une nation sportive. Un bilan, salué par le champion français Jimmy Gressier, qui est le fruit de près de dix ans de pressions et d'actions des différentes agences antidopage, encore loin d'avoir atteint leur pleine capacité.

"Je remercie les instances antidopage. C'est aussi grâce à elles que je suis champion du monde." Jimmy Gressier ne fait pas dans la langue de bois et n'a pas peur d'évoquer un sujet parfois tabou dans l'athlétisme: le dopage. Invité sur RMC ce lundi dans le Super Moscato Show, le médaillé d'or sur 10.000m et médaillé de bronze sur 5.000m lors des derniers Mondiaux de Tokyo a félicité le travail de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui a pris à bras le corps ce fléau, notamment au Kenya, pays moteur du fond et du demi-fond en Afrique.

Breaking News : Jimmy Gressier invité exceptionnel - 06/10
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"Aujourd'hui, la Fédération mondiale n'a pas laissé le choix aux autres fédérations de mettre des structures en place, sinon ils étaient suspendus comme la Russie. Donc 140 Kényans qui ont été attrapés… Après, il faut le dire, il n'y a pas que le Kenya. Mais ça a fait un boulot monstre", a lancé le Nordiste sur notre antenne.

"Gagner change leur vie"

Toujours deuxième du classement général des Mondiaux derrière les États-Unis avec une moisson de onze médailles (7 or, 2 argent, 2 bronze), le Kenya domine moins les disciplines de plus de deux tours de piste. Cette année, aucun kényan n'a été sur le podium du 5.000m et du 10.000m pour seulement la deuxième fois depuis 1990 (avec 2011).

Il faut dire que, depuis plusieurs années, le Kenya est en effet dans le viseur des instances mondiales. À ce jour, ce sont bien 140 athlètes du pays, principalement des coureurs de fond, qui sont suspendus, aucun autre pays au monde ne comptant autant de sportifs sanctionnés.

Parmi eux, des ténors comme Jemima Sumgong, championne olympique du marathon en 2016, qui fit naître un nombre incalculable de vocations. Plus récemment, la détentrice du record du monde du marathon, Ruth Chepngetich, a été suspendue en juillet à titre provisoire par l'Unité d'intégrité de l'athlétisme (AIU) après un contrôle positif à un diurétique. En juin, Benard Kibet Koech, cinquième des JO 2024 de Paris sur 10.000m, avait aussi été suspendu par l'AIU.

En septembre, c'est le monde du trail qui a été éclaboussé par un scandale: Joyline Chepngeno, victorieuse d'une course annexe de l'UTMB quelques jours plus tôt, a été testée positive à l'acétonide de triamcinolone, un glucocorticoïde, après sa victoire sur le trail de Sierre-Zinal (Suisse) en août.

Comment expliquer ce phénomène? "Beaucoup d'athlètes courent pour fuir la pauvreté et soutenir leurs familles, et ils sont prêts à tout pour gagner de l'argent, y compris se doper", a détaillé le Kényan Ibrahim Hussein Kipkemtboi, trois fois vainqueur du marathon de Boston. "Gagner change leur vie".

L'AMA montre les crocs

La multiplication des suspicions - puis des cas - de dopage avait poussé le Comité international olympique a mettre la pression sur le pays pour créer un agence contre le dopage. C'est pourquoi l'agence nationale kényane (Adak), en partenariat avec le ministère des Sports, a vu le jour en 2016.

Pour redorer son image, le gouvernement kényan a investi massivement dans son agence antidopage, promettant en 2023 qu'il allouerait 25 millions de dollars sur cinq ans. Avant de réduire drastiquement cette somme, mettant l'Adak totalement à l'arrêt à la fin de l'année 2024.

Une baisse de vigilance qui a alerté l'AMA. En marge des Mondiaux, elle avait menacé l'Adak de sanctions pour "non-confirmité", donnant trois semaines pour se mettre en règle avec le code international. S'il n'obtempérait pas, les athlètes kényans auraient être bannis des compétitions, comme l'ont été les athlètes russes en leur temps.

Pour sa défense, l'Adak a mis en avant ses efforts et son bilan. Elle serait passée de 400 tests annuels hors compétition à 4.000 en trois ans. "Nous sommes très satisfaits de notre travail en matière de tests, d'éducation et de sensibilisation, car au cours des trois dernières années, aucun athlète kényan n'a été renvoyé des Jeux olympiques ou des championnats du monde", a justifié la patronne par intérim de l'agence Peninah Wahome. Avant les Mondiaux, le Kenya avait également renforcé ses contrôles antidopage, soumettant les 444 candidats à trois tests avant toute sélection. Des "progrès significatifs et démontrables" qui ont poussé ce vendredi l'AMA à renoncer à imposer ces sanctions, tout en continuant à maintenir la pression.

Sawe anticipe les critiques

Si Jimmy Gressier parle ouvertement d'un sujet qui met parfois mal à l'aise, certains athlètes kényans veulent eux aussi combattre le cercle vicieux dans lequel leurs jeunes compatriotes sont entrés. C'est le cas de Sabastian Sawe, star montante du marathon et prétendant crédible au record du monde.

De sa propre initiative, il a demandé à subir un programme de détection drastique avant le marathon de Berlin (qu'il a remporté dimanche en 2h 2 min et 16 sec) pour couper court à toute suspicion.

"C'était bizarre de voir qu'il y a des doutes alors que l'on sait que l'on court de façon propre. Ce n'est pas bon. C'est pour montrer que, malgré cette réputation, malgré les nombreux cas de dopage que nous avons, tous les athlètes ne trichent pas", a-t-il expliqué. Et d'ajouter: "Le dopage est devenu comme un cancer pour les athlètes kenyans. C'est un énorme problème pour notre pays."

TP