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Claressa Shields, la meilleure boxeuse: "Je mérite d'être payée autant que les hommes"

Claressa Shields avec ses ceintures de championne du monde unifiée des poids moyens

Claressa Shields avec ses ceintures de championne du monde unifiée des poids moyens - AFP

EXCLU RMC SPORT. Elle est pour beaucoup la meilleure boxeuse toutes catégories confondues. Titrée chez les poids super-moyens puis championne unifiée à quatre ceintures chez les moyens, l'Américaine Claressa Shields vise un sacre dans une troisième catégorie, les super-welters, le 5 octobre à Flint (Michigan), sa ville, face à la Croate Ivana Habazin pour les titres vacants WBO et WBC Diamond. A seulement 24 ans et pour son dixième combat pro, ce qui constituerait un record. Avant ce nouveau défi, "T-Rex" a accordé un entretien à RMC Sport. La double champion olympique à l’immense force de caractère et à la langue bien pendue balaie les sujets à coups de punchlines, de son rôle de porte-voix de la boxe féminine, chantre de l’égalité avec les hommes, à ses envies de MMA.

Claressa, vous pouvez devenir championne du monde dans une troisième catégorie en seulement dix combats, ce qui serait un record hommes et femmes confondus. Dans votre combat précédent, vous avez unifié toutes les ceintures des poids moyens. Cherchez-vous à marquer l’histoire à chaque sortie?

Mon but n’est pas de marquer l’histoire à chaque combat. Je prends juste la voie rapide pour être la meilleure. Certains pensent que les boxeuses ne peuvent pas faire ce que font les hommes. Mais bien sûr qu’on peut ! Lomachenko a gagné deux médailles d’or olympiques, moi aussi. Lomachenko est devenu champion du monde dans trois catégories différentes en douze combats, je vais le devenir en dix. Ils pensent qu’il n’y a que les hommes qui peuvent faire des choses spéciales comme ça dans la boxe et ce n’est pas vrai. Les femmes le peuvent aussi. Je ne devrais même pas dire les femmes en général: moi, je peux le faire. J’ai le même parcours que des hommes, je m’entraîne aussi dur qu’eux et je suis une tout aussi bonne combattante. Je laisse les faits montrer que je peux marquer l’histoire comme ces mecs l’ont fait, que je suis une athlète très spéciale. Peu importe que ce soit de la boxe masculine ou féminine, la boxe reste la boxe et l’histoire reste l’histoire.

Certains articles dans la presse spécialisée parlent de vous comme de la "Michael Jordan de la boxe féminine" car vous avez le potentiel de la sortir de l’ombre. Aimez-vous cette comparaison? 

Absolument. Je me suis moi-même appelée la Michael Jordan de la boxe féminine ou la Beyoncé de la boxe féminine. J’ai le sentiment d’être au sommet, celle que tout le monde veut voir combattre. Et en dehors du ring, je fais ce que j’ai à faire. Je cherche à faire des choses que les autres boxeuses ne font pas, comme être amie avec des rappeurs ou des chanteurs ou boxer à l’international. En ce moment, chez les hommes, on voit beaucoup de combattants britanniques face à des combattants américains et chacun va chez l’autre. Je veux être la première championne américaine à aller combattre là-bas. La boxe féminine ne se développe pas seulement aux Etats-Unis mais partout dans le monde. Je veux être capable de donner le ton, de faire des choses différentes, de faire tout ce que je peux pour être non seulement respectée mais remarquée et avoir le plus de fans possibles. C’est comme ça que l’argent arrive. Il faut être connue.

Claressa Shields (à droite) dans ses oeuvres sur le ring face à Femke Hermans en décembre 2018
Claressa Shields (à droite) dans ses oeuvres sur le ring face à Femke Hermans en décembre 2018 © AFP

Pour rester dans la lumière, vous êtes également très active sur les réseaux sociaux, où on vous voit répondre à vos fans mais aussi moquer puis bloquer les trolls ou ceux qui vous manquent de respect...

J’ai 24 ans, j’aime être sur les réseaux sociaux. Ça ne me dérange vraiment pas de pouvoir interagir avec mes fans. Il y a bien sûr des trolls et je passe mon temps à bloquer des gens. (Sourire.) Ils sont juste malpolis et irrespectueux et je n’ai pas ni l’énergie ni le temps pour gérer ça en ce moment alors que je suis en camp de préparation pour mon combat et que je dois perdre une dizaine de kilos pour faire le poids. Je me répète mais je veux vraiment donner le ton, faire en sorte que la boxe féminine ne sorte pas de la lumière. Je vais sur les réseaux sociaux, on me voit dans d’autres combats, je suis respectée en tant que boxeuse de grande qualité et j’essaie de rester sous les projecteurs. C’est très important et beaucoup de boxeuses agissent comme si elles ne l’avaient pas réalisé alors que c’est ce qu’elles devraient faire. Le truc n’est pas d’être populaire sur les réseaux sociaux mais de rester sous les projecteurs de la boxe. Là, par exemple, je viens d’avoir mon passeport et je veux être en Grande-Bretagne pour un prochain gros combat. Mes fans britanniques me demandent toujours quand je vais venir chez eux. Je fais en sorte d’être dans la lumière, d’avoir cette présence et de la faire durer. Comme ça, quand j’arrêterai la boxe, peut-être dans huit ans, on se souviendra toujours de moi.

Vous êtes la porte-voix du combat pour une plus grande égalité salariale entre les hommes et les femmes dans la boxe. Mais pas seulement. Vous militez aussi pour des combats au même format que ceux des hommes, soit douze rounds de trois minutes contre dix rounds de deux minutes chez les femmes actuellement, pour rendre les combats plus spectaculaires. 

C’est pour ça que les combattantes de MMA sont plus respectées que les boxeuses. Ça fait plus longtemps qu’on est là mais les combattantes de MMA combattent dans un format similaire à celui des hommes, dans les mêmes réunions, les meilleures affrontent les meilleures et elles sont même payées aussi bien que les hommes. C’est comme ça que vient le respect. Comment pouvons-nous demander d’être payées de la même façon alors que nous ne combattons pas aussi longtemps? Moi je le dis car je combats trois-quatre fois par an et je fais l’événement. Et je prends des risques. J’ai commencé chez les super-moyens, où j’ai remporté deux titres. Ensuite, je suis descendue chez les moyens et j’ai pris toutes les ceintures pour devenir championne unifiée et incontestée. J’étais à 8-0 et j’ai affronté pour ça Christina Hammer, qui était alors à 24-0 et 11 KO. C’était un énorme risque pour moi. A part Lomachenko, on ne voit aucun homme prendre de tels risques, aucun homme qui n’a que huit combats au compteur en affronter un autre à 24-0. Et les gens pensaient que Cristina Hammer allait me marcher dessus et me mettre KO... C’est pour ça que je dis que je mérite d’être payée autant que les hommes: je prends des risques énormes. Des gens me critiquent beaucoup sur le fait que je n’inflige pas assez de KO. Mais s’ils me donnaient assez de temps, je vous donnerais ces foutus KO.

Claressa Shields
Claressa Shields © AFP

A quel niveau ce format vous handicape-t-il?

J’ai seulement deux minutes par round. Dans chacun de mes combats, j’ai fait mal à la fille en face et j’ai failli la mettre KO. Mais alors qu’elle n’est pas bien, dans les cordes, la cloche sonne après deux minutes et elle a une minute pour se reposer. Je n’ai pas assez le temps de creuser donc je dois presser tout ça et elles ont le temps de s’accrocher, de courir... C’est ce qui s’est passé pendant tout le combat avec Hammer. C’est pour ça que je pousse pour combattre en douze rounds de trois minutes car ne pas combattre aussi longtemps leur donnera toujours une raison pour justifier le fait que nous ne sommes pas payées pareil. Laissez-nous combattre sous le même format et vous verrez plus de spectacle et de KO dans la boxe féminine. 

Pour développer la boxe féminine, vous souhaitez aussi créer l’événement sportif le plus souvent possible. On pense à un superfight contre la Norvégienne Cecilia Braekhus, championne unifiée à quatre ceintures des welters qu’on aimerait voir monter pour vous défier chez les super-welters. Ce combat vous donne-t-il envie?

J’adorerais combattre Cecilia en super-welters. Je ne sais pas ce qui bloque de son côté. Elle a changé des choses dans son staff, elle a changé de coach et rejoint Abel Sanchez. Son ancien coach lui conseillait de ne pas m’affronter. Mais si on l’écoute, elle dit qu’elle veut me combattre. On sait une chose: s’il y a un combat entre elle et moi, on sait que ce sera en pay-per-view et qu’on peut faire chacune entre 1 et 1,5 million de dollars. Quand on parle d’un montant comme ça, je ne comprends pas ce qui bloque de son côté, vraiment. De mon côté, je suis ultra motivée pour le faire. Même si faire le cut pour les super-welters n’est pas la chose la plus facile pour moi, j’ai très envie de le faire pour la boxe féminine. Il nous faut ce combat féminin en pay-per-view, championne unifiée contre championne unifiée, c’est mérité. Je ne cherche pas à éviter Cecilia. Je suis certaine qu’elle a le sentiment de pouvoir me battre. Et je suis certaine à 100% de pouvoir la battre. Si on pense toutes les deux cela, pourquoi ce combat n’a-t-il pas encore eu lieu?

Bonne question. Pourquoi, alors?

J’ai l’impression que Cecilia sait que je ne suis pas un test facile et qu’elle se soucie surtout de garder son 0 (son bilan sans défaite, ndlr). Si elle veut le perdre, elle peut venir et tenter de me battre. Mais je pense que Cecilia a un peu peur, qu’elle est intimidée, qu’elle ne veut qu’on se souvienne qu’elle a été battue par une boxeuse plus jeune et meilleure. Je ne pense même pas que c’est une question d’argent pour elle. Elle veut juste garder son héritage de "First Lady" (son surnom, ndlr), de première boxeuse championne unifiée à quatre ceintures et de combattante invaincue. J’adorerais le faire mais je ne pense pas qu’elle souhaite vraiment se frotter à un test aussi dur que moi. 

Ces derniers mois, vous avez aussi fait parler le milieu en vous chauffant avec Amanda Nunes, championne des coqs et des plumes de l’UFC, pour un combat de boxe puis une éventuelle revanche en MMA. Mais on a l’impression que l’idée d’une transition totale vers le MMA vous titille de plus en plus après avoir déjà tout gagné dans la boxe à 24 ans. Envisagez-vous de faire le grand saut?

A chaque fois qu’on me pose la question de savoir si je veux me mettre au MMA, j’ai l’impression que la réponse devient de plus en plus oui. La première fois que j’ai entendu ça, je me suis dit : ‘‘Oh que non, jamais’’. Mais plus je pense à ce challenge, plus je me dis que j’ai envie de le faire. Je suis encore jeune. Cela demanderait beaucoup de travail mais je suis motivée pour le faire. J’ai commencé à parler des gens qui veulent m’entraîner et me préparer au MMA. Ils veulent que je m’entraîne pendant toute une année avant de faire le saut. Je suis pour, à fond. Pour en revenir à Amanda Nunes, je ne pense même pas à elle quand je pense à ça. Elle combat chez les coqs et je ne descendrai jamais aussi bas. Le plus bas auquel j’ai envie d’aller, c’est une dizaine de kilos au-dessus de ça. Mais je crois vraiment que je peux être très bonne dans cette discipline. J’ai l’expérience dans les sports de combat pour réussir la transition. Et ça m’intrigue car j’ai l’impression que je vais vraiment finir par le faire. (Rire.)

Claressa Shields (à droite) face à Christina Hammer dans le combat d'unification des poids moyens en avril 2019
Claressa Shields (à droite) face à Christina Hammer dans le combat d'unification des poids moyens en avril 2019 © AFP

Dans les défis possibles pour votre futur, on trouve aussi une protégée du promoteur Eddie Hearn, la Britannique Savannah Marshall, qui a la particularité de vous avoir infligé la seule défaite de votre carrière que ce soit chez les amateurs ou les pros, lors des Mondiaux 2012. Et qui profite de tous les micros devant elle ou des réseaux sociaux pour rappeler cette victoire sur vous et vous provoquer pour un combat chez les pros. Cela vous tente?

Je lui ai déjà proposé de m’affronter. Mais j’en ai parlé avec mon équipe et je pense que je vais devoir aller en Grande-Bretagne pour que ça arrive. En ce moment, elle et son clan ne font qu’utiliser mon nom pour qu’elle soit plus connue et qu’elle gagne des fans. A chaque interview, elle dit qu’elle va me battre encore. Non, tu ne le feras pas. Tu m’as battu quand j’avais 17 ans, avant que je ne gagne quoi que ce soit. Je n’avais pas encore remporté l’or olympique, je n’avais pas encore été championne du monde, ce n’était que mon deuxième tournoi international... Quand elle parle, on a l’impression qu’elle est m’a détruite. Mais je lui ai donné un sacré combat. Elle a été aidée par les juges, par l’arbitre. Ils voulaient vraiment que tous les représentants britanniques aillent aux JO (le tournoi servait de qualification, ndlr). Mais je l’aurais battu si elle m’avait croisé aux Jeux. Elle m’a battu aux points, 14-8, et si vous regardez ma carrière amateur, quand c’était ce système de points, je battais les filles sur des scores comme 29-9 ou 35-10. Mais une fois que je me retrouve contre elle aux championnats du monde, je ne marque que 8 points. Vraiment? Soyons sérieux. Si elle a l’impression qu’elle m’a vraiment battu, pourquoi ne poste-t-elle pas la vidéo du combat? Avez-vous déjà vu tout ce combat? Elle ne le poste pas alors qu’elle a la vidéo, comme je l’ai aussi. Et quand je la regarde, j’ai le sentiment de ne pas avoir perdu ce combat. J’accepte cette défaite et je l’affronterai quand elle sera prête pour ça mais je ne vais pas la laisser me faire dérailler de mon plan.

A quel horizon peut-on imaginer ce combat?

Quand le timing sera le bon et que le combat sera monté de la bonne façon pour faire parler, je serai prête et elle devra prendre cette défaite et vivre avec. Je suis meilleure qu’elle. C’est comme ça que ça va se passer. Mais elle comme son équipe ne veulent pas vraiment avoir affaire à moi. Ils disent vouloir attendre qu’elle ait 16 combats. Mais pourquoi je devrais t’attendre ? Si tu dis que tu peux me battre maintenant, faisons-le tout de suite. Qu’est-ce qui bloque ? On peut combattre demain et je lui mettrai une sacrée raclée. Elle le sait. Mais je lui souhaite bonne chance dans son parcours. J’espère qu’elle atteindra le niveau qu’elle veut atteindre. Mais le jour où son équipe décidera de la mettre dans le ring avec moi, ils finiront tous par pleurer.

Claressa Shields
Claressa Shields © AFP

Un mot sur votre combat du 5 octobre contre Ivana Habazin. Il aura lieu chez vous, à Flint, dans le Michigan, une ville frappée de nombreux problèmes comme la crise de l’eau potable. Est-ce important pour vous de pouvoir boxer là-bas et d’apporter un moment de joie à votre ville, qui en a trop peu connu ces dernières années, comme vous le faites aussi avec vos camps pour les enfants?

Cette ville a beaucoup souffert je suis heureuse de pouvoir être la bonne nouvelle là-bas. Toute la ville va être là pour me soutenir, ma famille, mes amis, et je veux être à la hauteur de tout ça. Je travaille beaucoup avec les enfants de Flint car ils sont jeunes et ont besoin de toutes les sources de motivation possibles. Si on leur apprend des bonnes choses, ils deviennent de bonnes personnes. Il faut leur apprendre à gérer le fait de grandir à Flint car ce n’est pas facile. Je veux être un exemple. Leur faire comprendre que même si on vient de Flint, avec sa crise de l’eau, son taux de meurtre dingue et ses problèmes de pauvreté, on peut quand même faire quelque chose de sa vie. C’est la raison pour laquelle je m’implique autant dans ces choses-là. Je veux que ces enfants sachent que même s’ils me voient à la télé ou dans les magazines, je suis toujours une personne cool qui aime sa ville et qui aime revenir leur apprendre des choses. Qu’ils réalisent avec mon exemple que les célébrités n’ont pas à avoir la grosse tête et que ce n’est pas parce qu’on n’a pas grandi dans le meilleur endroit qu’on ne peut pas devenir quelque chose. 

Pour finir, si vous deviez vous présenter en quelques mots au public français qui ne vous connaît pas encore bien, que diriez-vous?

Je suis Claressa Shields, boxeuse, double médaillée d’or olympique, championne du monde dans deux catégories et championne unifiée et incontestée des poids moyens. Je viens des Etats-Unis, de Flint dans le Michigan, et je suis une des meilleures combattantes de l’histoire. Je me surnomme la GWOAT, pour Greatest Woman of All Time. J’ai un bilan de 9-0 et le 5 octobre, branchez-vous sur mon combat pour me voir botter un cul. 

Alexandre HERBINET (@LexaB)