Dana White, fonds saoudiens et nouvelle législation: pourquoi le combat Canelo-Crawford marque un changement d'ère pour la boxe professionnelle

Il y a tout juste un an, lors du traditionnel week-end de mi-septembre célébrant l'indépendance mexicaine, Dana White était en mission. Avec son UFC Noche programmée dans l'extravagante et très coûteuse Sphere de Las Vegas, le patron de l'organisation voulait asseoir un peu plus son autorité sur le monde du MMA... tout en faisant passer au second plan le combat de boxe de la superstar mexicaine Canelo Alvarez, organisé exactement le même soir, dans la même ville. Une superposition des évènements à Sin City qui avait donné lieu à une véritable guerre médiatique, et des petites piques envoyées par chaque camp. Mais en 2025, la donne a changé.
Dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 septembre, l'UFC organisera de nouveau sa "Noche", mais cette fois au Frost Bank Center de San Antonio, avec le combat des -66kg entre Diego Lopes et Jean Silva en tête d'affiche. Et de nouveau, Canelo Alvarez renfilera les gants pour combattre l'Américain Terence Crawford - à peu près au même moment - à l'Allegiant Stadium de Las Vegas. Avec une différence notable: cette fois-ci, Canelo et Dana White avancent main dans la main.
Une alliance américano-saoudienne à la manœuvre
En début de semaine, ce n'est pas dans le Texas, au côté de Diego Lopes et Jean Silva, que Dana White se trouvait. Le dirigeant était à Vegas, prenant la pose avec Canelo Alvarez et Terence Crawford lors de leur face-à-face en plein air. Avec eux, et un quatrième personnage: le très influent Turki Alalshikh, l'homme qui supervise l'offensive saoudienne sur la planète sport, qui a organisé à coups de centaines de millions de dollars les plus grands combats des dernières années sous la bannière "Riyadh season", qui a pris possession du célèbre magazine The Ring pour en faire son organe de communication. L'homme qui fait la pluie et le beau temps dans le Noble Art.
En mars 2025, Dana White et Turki Alalshikh avaient annoncé, en grande pompe, la naissance d'un projet commun. Un accord pluriannuel entre le groupe TKO - maison-mère de l'UFC et de la WWE - et la structure saoudienne Sela - filiale du fonds d'investissement public saoudien (PIF) incarnée par Alalshikh - pour le lancement d'une nouvelle promotion de boxe, et l'organisation conjointe de combats. Six mois plus tard, nous y voilà.
Dana White, qui rêvait de boxe à demi-mots depuis des années, et avait tenté de s'infiltrer opportunément dans le milieu (notamment pour McGregor-Mayweather), va faire ce week-end son grand plongeon, à l'occasion de ce qu'il présente tout simplement comme le "combat du siècle". Malgré les trois catégories de poids d'écart entre Canelo et Crawford, c'est en effet une très belle carte qui se profile (sur laquelle combattra d'ailleurs le Français Christian Mbilli contre le Guatémaltèque Lester Martinez), organisée qui plus est sur le sol américain, et diffusée pour la toute première fois en direct sur Netflix. Mais c'est surtout, pour lui, l'occasion de poser la première pierre de son futur édifice.
Copier le modèle de l'UFC, et le transposer au monde de la boxe
Plus que la co-promotion de telles soirées, c'est bien la création d'une future ligue que Dana White vise pour 2026 avec son bébé "Zuffa Boxing". Une ligue fermée, comment peuvent l'être la NBA ou la NFL, et calquée... sur le modèle de l'UFC.
Le musculeux homme d'affaires avait donné le ton dès mars et l'annonce de son nouveau partenariat avec Alalshikh. "Nous aurons uniquement les catégories de poids classiques, celles qui sont aux origines de la boxe. Il n'y aura qu'une seule ceinture, un seul champion. Ce sera comme l'UFC", promettait-il à The Ring. "Les combattants devront se battre pour monter au classement. Une fois dans le top 5, il n'y aura pas de débat sur qui sont les meilleurs de chaque catégorie. Les meilleurs affronteront les meilleurs et les champions devront défendre leur ceinture. Quiconque possèdera la ceinture sera le meilleur combattant au monde dans sa catégorie... C'est un modèle très simple. Pas besoin d'avoir trois lettres sur la ceinture. Nous ne traiterons pas avec les promoteurs traditionnels actuels comme le font la WBC, l'IBF ou la WBA." Et, spoiler: ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour les boxeurs.
Pourquoi? Parce que depuis 2000, les athlètes sont protégés par le "Muhammad Ali Boxing Reform Act", une loi fédérale qui les préserve vis-à-vis des promoteurs. Pêle-mêle, l'Ali Act oblige les promoteurs à divulguer tous les revenus que génèrent leurs cartes aux boxeurs pour assurer une saine répartition, il interdit à ces mêmes promoteurs de détenir les titres mondiaux, souligne que les classements doivent être faits par des instances tierces, et empêche aussi les promoteurs de tenir "prisonniers" les boxeurs de longs contrats. En gros: il empêche la naissance d'un monopole. Ce dont rêve justement Dana White - appuyé par les fonds saoudiens - dans la boxe.
Un projet de loi... beaucoup plus souple
Et pour parvenir à ses fins, cet intime de Donald Trump et ses proches ont commencé à placer des pions en coulisses. Dès février, Ari Emanuel, figure d'Hollywood et PDG de TKO (le patron de Dana White au niveau de la maison-mère, si vous voulez) s'était ainsi demandé ce "qu'allait devenir" le Muhammad Ali Act. Une sortie publique remarquée, qui laissait présager de premières tractations. À juste titre: fin juillet, le Républicain Brian Jack et la Démocrate Sharice Davids ont présenté pour la première fois au Congrès américain "le Muhammad Ali American Boxing Revival Act", un projet de loi visant à "moderniser" la boxe professionnelle... et surtout à faire sauter la plupart des garde-fous mis en place par le vrai Ali Act.
"Ce projet de loi est préoccupant pour les boxeurs professionnels", expliquait récemment Erik Magraken, avocat spécialisé dans la réglementation des sports de combat, au Guardian. "Il annihile les principales protections offertes par la loi Ali aux promoteurs qui choisissent d'utiliser le modèle d'organisation de boxe unifiée. Il permet à un promoteur de contrôler le classement et le titre… et de prendre le contrôle du sport."
Le texte, qui pourrait être prochainement adopté (il a même reçu le soutien de la veuve d'Ali), donnera donc le feu vert à Dana White, Turki Alalshikh et Zuffa Boxing pour créer leur super ligue privée et fermée. Une ligue qui avec les financements saoudiens permettra dans un premier temps d'attirer tous les boxeurs convoités, pour ensuite les enfermer dans une cage... de moins en moins dorée? Si un boxeur de la trempe d'un Canelo Alvarez continuera de prendre ses centaines de millions de dollars, on imagine que la relève ne sera pas logée à la même enseigne, et que la grille de salaires - comme à l'UFC qui ne reverse que 18% de ses revenus aux combattants - commencera assez bas. Avec un objectif: rendre l'organisation, à moyen terme, extrêmement rentable.
Ce dont Dana White - qui a aussi dit vouloir lancer un programme de boxe similaire à ses Contender Series en MMA - ne se cache même pas: "Est-ce que je soutiens le projet de loi? À 100%", lançait-il ces derniers jours. "Quand je dis que je veux réparer la boxe, ce n'est pas de l'arrogance. C'est juste parce que c'est un sport en déclin."