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UFC: Jorge Masvidal, bagarreur pour la vie, superstar en cinq secondes

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Opposé à son ancien meilleur ami devenu meilleur ennemi Colby Covington ce week-end lors de l’UFC 272 (à suivre en direct et en exclusivité à partir de 3h dans la nuit de samedi à dimanche sur RMC Sport 2), Jorge Masvidal est aujourd’hui une des plus grosses stars de la grande organisation de MMA. Un statut atteint après une vie de combats, dans la rue comme dans la cage, et un KO à jamais dans la légende.

La stat vous situe son niveau de notoriété. Sur les trois dernières années, l’UFC n’a proposé que cinq événements en pay-per-view où le combat principal n’était pas un choc pour une ceinture de champion. Trois sont les sorties de Conor McGregor dans la cage, les deux autres concernent Jorge Masvidal, contre Nate Diaz en novembre 2019 et ce samedi soir à Las Vegas en apothéose de l'UFC 272 face à son ancien meilleur ami devenu meilleur ennemi Colby Covington. Et malgré le personnage ultra clivant qu’il s’est créé pour réinventer sa carrière, ce choix n’a pas été fait pour Covington mais pour Masvidal. Derrière l’Irlandais, "Gamebred" est la star la plus "vendeuse" de l’UFC depuis 2019.

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"Fier de pouvoir finir sa carrière à l’UFC", le combattant américain a bien mérité son nouveau contrat tout juste signé, "un des plus lucratifs de l’histoire de cette organisation" dixit son manager Malki Kawa. Un statut gagné à coups de sueur, de sang et de moments viraux. Masvidal est devenu superstar en cinq secondes, le temps d’infliger à Ben Askren le KO le plus rapide de l’histoire de l’UFC d’un inoubliable coup de genou sauté en juillet 2019. Mais il aura mis toute une vie à bâtir sa légende. Celle d’un bagarreur-né. Il n'a jamais pratiqué d'autre sport sérieusement, "plus intéressé par les gants que par un ballon". Première bagarre? A quatre ans. "Un enfant m’avait pris mon jeu de construction et je me suis défendu direct", raconte-t-il dans la série vidéo The Diaries Of A Street Fighter sur sa chaîne YouTube.

Le samedi, avec papa, c’est marathon de kung-fu à la télé. "J’ai su très jeune que le combat était mon truc. J’étais fasciné par ça." Jorge Sr, immigré qui a fui le régime communiste cubain à quatorze ans sur des roues de tracteur transformées en raft, "se battait tous les jours ou presque" à son arrivée aux Etats-Unis. Le fiston va s’en inspirer. La future star de l’UFC est un gamin "sauvage" (c’est lui qui le dit), rejeté des anniversaires de famille entre ses six et quatorze ans à cause de ça. Il va trouver un défouloir dans des cours de karaté mais aussi dans la rue. Jorge ne se souvient pas du nombre d'altercations dans sa jeunesse tant elles furent nombreuses. Exemple: un gamin lui sort un couteau puis lui met une violente gifle avant qu'il ne se défoule sur lui jusqu'à ce que des professeurs les séparent.

"Ma mère m’a retiré des sports de combat en me disant que j’allais mal finir. Et ça a été encore pire..."

Fils unique, privé d’un père enfermé à ses quatre ans pour trafic de drogue (sa mère lui fera croire pendant neuf ans qu’il est à l’armée), Masvidal teste ses limites. "Ma mère m’a retiré des sports de combat en me disant que j’allais mal finir si j’y restais. Et ça a été encore pire car j’avais beaucoup d’énergie mais plus d'endroit pour la dépenser." A quatorze ans, une embrouille l'envoie à l’hôpital, oreille explosée et gravier incrusté dans le visage après avoir été frappé à la tête contre le sol: "C’est la seule fois où ma mère n’a pas rajouté un coup supplémentaire. Elle m’a dit: 'Ils t’ont déjà assez défoncé'." Une chaussette lestée d’un cadenas a été préparée pour la vengeance. Mais son père, retrouvé l’année précédente et qu’il visitera en prison jusqu’à sa sortie à ses vingt-et-un ans, s'interpose pour l'empêcher d'agir.

"Il me disait: 'Tu ne vas pas finir comme moi'. Sans lui, j’aurais peut-être fait des choses encore plus bêtes au lieu de passer mes vendredis soirs à la salle." Il y aura des vols, des petits problèmes avec la justice, mais jamais de drogue (il y tient). La jeunesse turbulente lui a fait frôler le dérapage de trop. Elle l'a aussi forgé. "Quand il était l’heure de se battre, j’avais quelque chose de différent des autres. J'aimais le feeling que je ressentais avant et pendant. Depuis que j’ai dix ans, je sais que c’est ce que je veux faire. Et à partir de quatorze ans, j'ai commencé à me dire que je pouvais gagner ma vie avec ça." La chose commence par des combats de rue, clin d’œil à son amour du jeu vidéo Street Fighter. Ses amis lui dénichent des combattants prêts à relever le défi, chaque camp pariant sur son poulain avant la tournée générale au McDo pour célébrer les succès. "J’ai combattu des gars de ma taille, des plus petits, des plus grands. Je prenais n’importe qui. C’était fun."

Il n'en oublie pas le travail en salle, "(s)on temple''. "Paradoxalement, cet endroit où on tente de vous arracher la tête a toujours été ma zone sécurisée pour me sentir bien." Il se dirige vers la boxe, à laquelle il s'essaiera sur un combat pro en 2005 (victoire sur décision en quatre rounds), mais découvre la lutte et "tombe amoureux". Et quand il pose les yeux sur le MMA... "Je me suis dit: C’est un don de Dieu pour moi'." Masvidal est prêt à tout pour toucher son rêve. Il n’a pas le temps de trouver un travail "normal" et le marché des combats non officiels ne paie pas assez alors de seize à vingt-et-un ans, il dort dans sa Chevrolet Pontiac Bonneville sans air conditionné sur le parking de la salle ou sur le canapé d'un ami. Et même sous le ring pendant deux mois. Il est aussi "le roi du resto-baskets (partir sans payer, ndlr) à Miami". "Il n’avait pas de plan B mais il a fait all-in", se souvient Mike Brown, son coach dans la salle de l’American Top Team, où il est arrivé à vingt-et-un ans après une brouille avec son ancienne salle.

Ces derniers jours, Brown a diffusé une photo d’un jeune Jorge sur laquelle il tient un papier avec écrit: "J’ai faim. Je peux combattre pour de la nourriture. Dans un jardin, à l’UFC ou au KFC. Montre-moi juste l’argent!" La première référence n’est pas anodine. Si son premier combat pro se déroule à dix-huit ans, en mai 2003, dans l'organisation floridienne Absolute Fighting Championship, deux autres combats capturés sur caméra cette année-là vont écrire un important chapitre du roman de sa vie. Ils se font dans le… jardin de Kevin Ferguson, a.k.a. Kimbo Slice (décédé en 2016), légende des combats de rue, rencontré dans sa salle et qui lui propose d'affronter un de ses protégés, Reynaldo Fuentes, videur pour des clubs de Miami. "Rey", plus imposant physiquement, jette l'éponge après un échange épique avec celui qu’on surnomme alors "queue de cheval". La revanche sera encore gagnée par Masvidal, pour un gain dérisoire même si Kimbo lui paie un bon restaurant.

Mais depuis, ces deux combats ont cumulé plusieurs millions de vues sur YouTube! "Quelqu’un qui voit ça peut se dire que je suis une sorte de délinquant, expliquait-il en 2017 à MMA Junkie. Mais j’ai grandi en me battant et je ne voyais pas ça comme mauvais. Il n’y avait pas d’animosité mais du respect. J’avais déjà fait tellement de combats que je n’étais pas nerveux." Sa carrière pro se poursuit à côté. Les organisations se succèdent, AFC, BodogFIGHT, Strikeforce, World Victory Road, Bellator, puis l'UFC en 2013. Mais son parcours, où il a longtemps oscillé entre les légers et les welters, n’épouse pas celui d’une superstar. Quinze défaites en cinquante combats, jamais une ceinture de champion autour de la taille, à chaque fois battu sur la dernière marche chez Strikeforce (Gilbert Melendez) comme à l’UFC (Kamaru Usman, deux fois), où il n’a jamais enchaîné plus de trois victoires ni plus de deux défaites.

Respecté par les aficionados pour son style de bagarreur spectaculaire, spécialité striking, il bloque sur un plafond de verre. Jusqu’à 2019. L’année précédente, il ne monte pas dans l’Octogone de l’UFC. Mais il trouve un nouveau sens à son chemin dans une émission de télé-réalité en République dominicaine, Exalton Estados Unidos, à laquelle son manager le convainc de participer car il a du mal à lui trouver un adversaire. Treize semaines coupé du monde, sans téléphone, à réfléchir sur lui pour définir ce qu’il "voulai(t) faire de sa vie jusqu’à ce que se referme le chapitre combat". "J'avais eu beaucoup de défaites par décision, souvent l’impression d’être volé, et je me suis dit: 'Je ne veux pas être connu pour ça, je dois trouver un moyen d'exécuter la concurrence'." A son retour, il lâche à son clan une phrase qui veut tout dire: "Dites à l’UFC d’économiser l’argent pour les juges, on n’en aura plus besoin".

"On veut de la brutalité et c’est ce que j’apporte"

Plus calme et réfléchi dans la cage, il devient pour de bon "Street Jesus", qui "baptise" ses adversaires par violents KO. En mars, il en inflige un à l’espoir britannique Darren Till chez lui à Londres avant une altercation en coulisses avec un autre local, Leon Edwards, à qui il met plusieurs coups de poing avant d'expliquer qu’il avait juste répondu à ses provocations en lui servant "trois morceaux avec un soda". Une formule portée par des fans sur t-shirt dès son retour aux Etats-Unis. "Je me suis dit qu’on avait fait quelques vagues", sourit-il. Début juillet, à l'UFC 239, son coup de genou sauté sur Ben Askren lui offre le KO le plus rapide de l’histoire de l’UFC et fait le tour du monde. Interrogé en conférence de presse sur les deux coups infligés en plus à un Askren déjà inconscient au sol, Masvidal fait du Masvidal: "Ils étaient super nécessaires". Deux mots devenus un hashtag dans la communauté MMA.

Le garçon commence à s’habiller façon Tony Montana dans Scarface et devient "plus important que personne n’aurait pu l’imaginer" (Mike Brown). Ses réseaux sociaux explosent. On l’arrête de plus en plus dans la rue. Masvidal n’est plus l’oublié de la fête. Il est la fête. En août, après sa victoire sur Anthony Pettis à l’UFC 241, le chouchou des fans Nate Diaz l’encense: "Personne ne fait les choses bien dans ce jeu à part lui et moi". Les deux ont la bagarre et le spectacle dans le sang. L’UFC les réunit dans la cage du Madison Square Garden en novembre 2019 pour une ceinture du Baddest Motherfucker (on vous laisse traduire) qui le représente bien et que lui remettra l’acteur Dwayne "The Rock" Johnson après sa victoire.

Avant ce combat, il résume pourquoi les fans l'apprécient tant: "On ne veut pas voir deux gars se faire des câlins ou se renifler le cul tout un combat. On veut de la brutalité et c’est ce que j’apporte. Combattre est addictif pour moi. J’aime vraiment ça. Si vous m’offrez plusieurs options sur la table, combattre sera toujours mon premier choix." Connu pour sa grosse éthique de travail, l’homme inspiré par le légendaire boxeur panaméen Roberto Duran, son idole, récolte enfin les fruits de son labeur depuis 2019. Son combat après le titre "BMF", première chance pour le titre des welters face à Usman, en juillet 2020, est le seul pay-per-view sans McGregor parmi les huit plus vendus de l’histoire de l’UFC. Qui fantasme sans doute sur un money fight ultime entre Conor et Jorge.

Hormis sa trilogie de 2019, il n’a plus gagné un combat depuis janvier… 2017 et son TKO sur Donald "Cowboy" Cerrone. Mais comme McGregor, la lumière ne le quittera plus. A trente-sept ans, sa carrière ne devrait plus durer très longtemps. Mais Masvidal promet de régaler jusqu’au bout. "Je veux attraper l’âme de tout le monde quand je combats, couper le souffle des fans." Il promet de la violence, encore plus ce week-end face à un Covington qui l’a tant cherché après avoir longtemps partagé l’entraînement avec lui. Il promet aussi de ne jamais s’embourgeoiser. "J’ai encore trop de démons en moi, trop de souvenirs qui me hantent, confiait-il en 2019. La seule façon de les faire sortir est dans cette cage et à l’entraînement. Pour me civiliser, ça va nécessiter un peu plus que cent millions de dollars."

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport