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UFC: comment Colby Covington s’est transformé en odieux personnage pour exister

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Ancien champion intérimaire des welters, Colby Covington retrouve son ancien "meilleur ami" devenu meilleur ennemi, Jorge Masvidal, ce week-end lors de l’UFC 272 (à suivre en direct et en exclusivité à partir de 3h dans la nuit de samedi à dimanche sur RMC Sport 2) pour un choc explosif en partie né d’une transformation de la personnalité publique de "Chaos". Une évolution nécessaire pour rester à l’UFC. Focus.

Il devait être "coupé" par l’UFC, pas assez "vendeur". Près de cinq ans plus tard, il n’a toujours pas bougé. Car il a su embrasser le rôle du méchant. Colby Covington l’a compris, il n’y a pas de mauvaise publicité. Pour sortir du lot, l’homme qui affronte son ancien meilleur ami devenu meilleur ennemi Jorge Masvidal ce week-end à Las Vegas dans un choc explosif en combat principal de l’événement UFC 272 a donc su se réinventer. Se transformer en un personnage clivant et odieux. Il est toujours mieux d’être détesté que sans importance. Alors il a tout fait pour.

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En juin 2017, cinq ans et quelques mois après ses débuts pros et trois ans après son arrivée à l’UFC, cet ancien excellent lutteur universitaire se retrouve dans une impasse malgré sept victoires en huit combats dans la plus grande organisation de MMA. Alors que le Californien de naissance diplômé en sociologie vient de battre le Coréen Dong Hyun Kim sur décision unanime à Singapour, avant-dernier combat de son contrat, l’un des dirigeants de l’UFC vient annoncer la mauvaise nouvelle à Dan Lambert, fondateur et patron de la célèbre salle American Top Team (ATT) en Floride, "maison" de Covington depuis 2011 et sa transition vers le MMA.

"Colby était un problème pour l’UFC, raconte Lambert à ESPN. Il battait à peu près tout le monde mais son style n’était pas très excitant. Shelby me dit: 'Il bat des gars qu’on voulait promouvoir et il n'accroche pas les fans, tu peux commencer à lui chercher quelque chose à faire après son prochain combat car on ne va pas lui signer de nouveau contrat.'" Le boss de l’ATT relaie l’information à son poulain dans les vestiaires: "Je lui ai dit: 'On ne peut pas changer d’un coup ta façon de combattre, ton style est ton style, mais il y a d’autres choses que tu pourrais changer'. C’était un réveil, une claque. Dès ce soir-là, il s’est mis à réfléchir à quoi faire pour sortir du lot, être différent et attirer de l’attention."

Colby expliquera plus tard avoir alors enfin "compris cet aspect du business". Le nouveau Covington vient de naître. Fan et futur pratiquant de catch (en 2018 dans une petite organisation où il avait affronté… une parodie d’un autre ancien partenaire d’entraînement et adversaire dans la cage, Tyron Woodley), il va en emprunter les codes du heel – le méchant, en gros – qui devient star en insultant tout le monde. Le résultat éclate aux yeux du monde en octobre 2017 à Sao Paulo, Brésil. Au micro, après avoir dominé la légende locale Demian Maia sur trois rounds dans ce qui devait être son dernier combat à l’UFC, il traite le Brésil de "déchetterie" et évoque ses habitants comme "des animaux crasseux". Scandale.

"Il nous a dit qu’il faisait tout ça juste pour l’argent"

Un dealer de drogue local promettra de l’argent contre sa tête dans la presse quand il sera question d'un autre combat pour lui au Brésil contre Rafael dos Anjos, idée balayée par l'UFC pour assurer sa sécurité. Ancien champion des lourds de l’UFC, le Brésilien Fabricio Werdum ira jusqu’à l’attaquer au… boomerang dans les coulisses d’un show en Australie. Il devra aussi s’expliquer auprès des combattants brésiliens de chez ATT, très remontés. "Il nous a dit qu’il faisait tout ça juste pour l’argent", témoignait Gleison Tibau en 2019 pour MMA Fighting. "Tout le monde m’a dit que j’étais raciste pour avoir dit ça et moi je me disais: 'Brésilien n’est pas une race...', se justifiait l’intéressé en 2019 dans The Candace Owens Show. Pour les animaux crasseux, c’était une citation du film Maman j’ai raté l’avion. Avec cette interview devenue virale, l’UFC s’est dit qu’elle devait absolument me garder. C’est ce qui a sauvé ma carrière. Je leur ai prouvé qu’ils avaient tort."

Au lieu d’être dégagé, Covington reçoit… un combat contre un autre Brésilien, Dos Anjos, pour le titre intérimaire des welters en juin 2018! Une ceinture remportée sur décision unanime qui ne va pas aider à calmer ses ardeurs, bien au contraire. Le changement a porté ses fruits. Alors pourquoi s’arrêter là? Le festival de violence verbale commence. Quelques exemples pour comprendre. Il traite Jon Jones, l’ancien roi des lourds-légers avec qui il a été colocataire lors de leur passage à la fac Iowa Central Community College et souvent pris dans des polémiques extra-sportives, de "plus grosse merde du monde du sport" et d’homme "le plus sale" qu’il ait connu, précisant qu’il "ne prenait pas de douches". Il moque l’œil de verre de Michael Bisping, ancien champion des moyens devenu consultant télé victime d’un détachement de la rétine: "Tu ne devrais pas te montrer avec un seul œil".

Avant de défier pour la première fois Kamaru Usman pour le titre des welters en décembre 2019, battu sur TKO à la cinquième, il attaque Glenn Robinson, fondateur de l’équipe des Blackzilians à laquelle appartenait alors encore son rival nigérian, pourtant… décédé l’année précédente: "Tu lui as donné une crise cardiaque à force de m’éviter. Il va me regarder te battre depuis l’enfer." Quand Covington bat Robbie Lawler, en août 2019, combat avant lequel il rentre sur la musique du catcheur Kurt Angle traditionnellement ponctuée de "You Suck!" repris par la foule (il l'utilise avant chaque combat depuis), il s’amuse à viser un proche de son adversaire, l’ancien champion des welters Matt Hughes, gravement blessé après avoir vu son camion percuté par un train sur un passage à niveau en 2017: "Robbie aurait dû apprendre une leçon de son pote Matt. Il faut s’écarter des rails quand le train arrive lancé sur toi."

Dépité de son attitude, Lawler critique "ces gars qui franchissent la ligne mais que les médias adorent à cause de ça". Quelques jours après, au lieu de s’excuser, Covington enfonce le clou en évoquant les problèmes judiciaires de Hughes avec sa propre famille pour justifier ses paroles. Personne n’est épargné, pas même ses coéquipiers chez ATT, qu’ils soient des hommes (Dustin Poirier, Tyron Woodley, Jorge Masvidal) ou des femmes (Joanna Jedrzejczyk, Amanda Nunes), jusqu’à voir Dan Lambert interdire à ses ouailles de parler mal les unes sur les autres dans les médias, règle qui tiendra à peine quelques heures. Viré de la salle par Lambert, tout comme Masvidal, il n’y reviendra jamais au contraire de son rival, actant son départ définitif au printemps 2020.

"Pourquoi je suis un sale type? Parce que ça vend"

Son délire ira jusqu’à menacer Joe Rogan, commentateur star de l’UFC, ou s’embrouiller avec Dana White, patron exécutif de l’organisation, qu’il viendra invectiver à la table d’un casino de Las Vegas car il s’estimait maltraité. L’an dernier, via quelques mots crus, il a aussi sous-entendu une relation sexuelle passée avec la combattante UFC Polyana Viana, poussant la Brésilienne à nier sur les réseaux sociaux: "J’ai de la peine pour ce gars qui doit agir aussi mal pour essayer de se promouvoir. C’est révoltant." A l’heure de croiser Masvidal dans la cage, il s’est encore lâché en s’en prenant à la famille de son ancien "meilleur ami", l’accusant d’avoir trompé une compagne et d’être "un mauvais père".

Covington porte aussi ses attaques au-delà du monde du MMA, comme lorsqu’il fracasse le mouvement Black Lives Matter mais aussi son soutien LeBron James après avoir battu Woodley – autre soutien appuyé de BLM – sur TKO en septembre 2020. Aucune limite, quoi. A dessein, même si cela semble souvent surjoué. "En créant ce personnage, il s’est dit que les gens allaient le détester mais le regarder car ils veulent le voir perdre", résumait Masvidal pour ESPN et The Dan Batard Show en 2019. Une analyse qui rappelle la fin de carrière du boxeur Floyd Mayweather Jr, dont certains achetaient les combats en pay-per-view en rêvant de le voir mordre la poussière. "Pourquoi je suis un sale type? Parce que ça vend", a un jour confirmé Covington à un fan.

Pour cultiver le personnage de "Chaos", sobriquet qui lui va sied à merveille, Covington ne néglige aucun détail de communication: les surnoms trouvés aux adversaire comme "Street Judas" pour un Masvidal appelé "Street Jesus", les costumes cintrés, les photos avec de jolies jeunes femmes en petites tenues en traitant de "losers" ceux qui ne peuvent pas en côtoyer, un soutien affiché et revendiqué à l’ancien président Donald Trump (qui l’appelait après ses victoires) qui clivait tant les Etats-Unis, jusqu'à être invité à la Maison-Blanche. Mais difficile de savoir où placer la ligne du réel. "Posez-lui des questions sur ce que Trump a fait politiquement, il ne pourra rien vous répondre, estime Masvidal, autre soutien revendiqué de l’ancien président américain. Il voulait juste attacher son nom à quelque chose qui faisait parler pour en retirer de la popularité. Il est capable de dire n'importe quoi pour ça." "Gamebred", qui explique que "le seul truc pire que le personnage qu’il joue, c’est sa vraie personnalité", en avait tiré une conclusion en 2019 pour ESPN: "Les gens sont prêts à vendre leur âme pour de l’argent".

Il en rigole aujourdhui: "Ça ne marche même pas. Malgré toutes ces conneries, il ne vend rien en pay-per-view. C'est positif car ça montre aux futurs combattants que ça ne sert à rien." Dan Lambert, qui reconnaît avoir mis "un ingrédient ou deux dans la recette de départ" de cette transformation, a vu cette création lui échapper mais ne nie pas l’efficacité du truc. "C’est une chose de chier sur un pays ou un combattant pour l’énerver ou se faire connaître. Mais c’est autre chose de pousser le truc au niveau supérieur en chiant sur toutes les personnes dans ce sport, dans d’autres sports, des femmes, des hommes, les gens de ta propre salle, pointe-t-il au micro de l’émission The MMA Hour. Si j’avais vu que ça allait partir dans cette direction, j’aurais sans doute tenté de changer un peu ça. Mais quand on sait qu’il devait être coupé par l’UFC et qu’on voit ce qu’il a accompli à la place, on peut dire que ça a plutôt bien marché pour lui. Certains des conseils que je lui ai donnés étaient donc judicieux."

Après un nouvel échec face à Usman pour la quête du titre en novembre dernier, Covington va maintenant croiser Masvidal pour des retrouvailles explosives. Deuxième meilleur welter de la planète pour beaucoup, derrière le champion nigérian, l’infatigable lutteur qui a aussi bien progressé en striking et qui s’entraîne désormais chez MMA Masters, toujours en Floride, a annoncé vouloir ensuite affronter au plus vite Poirier, autre ancien coéquipier chez ATT. Son passé le rattrape dans la cage. Son avenir, lui, pourrait un jour s’inscrire à la WWE, la plus grande organisation de catch, qu’il a déjà citée comme un point de chute possible. Cela lui irait comme un gant.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport