UFC: Poirier, la dernière quête impossible du roi sans couronne

Il y a tant de raisons qui pourraient le convaincre de quitter la scène la plus dangereuse du monde. Un statut de légende bâti et acquis à travers des guerres sanglantes et mémorables. Une place d'ores et déjà promise au Hall of Fame. L'un des meilleurs lightweights contemporains dont le seul nom suffit à inspirer le respect dans la catégorie reine de l'UFC. Alors qu'est-ce qui peut bien continuer d'animer et de pousser Dustin Poirier à risquer sa vie dans une cage? À trente-cinq ans, l'Américain a tout vécu. Tout traversé. Mais une quête, viscérale, reste en suspens. Au point de le tourmenter inlassablement. "J'ai mis ma famille à l'abri mais il me reste quelque chose à accomplir. Je ne combats pas pour seulement combattre, je veux être champion du monde incontesté", martelait-il y a quelques mois. "Champion un jour, champion pour toujours. C'est pour l'éternité."
Dépression et "ténèbres"
Le chemin pour la postérité, le Diamond l'a déjà emprunté à deux reprises. Mais Khabib Nurmagomedov en 2019 et Charles Oliveira deux ans plus tard ont respectivement éteint ses rêves de ceinture. Au crépuscule d'un parcours majestueux quoique empreint de déconvenues, il se voit octroyer un troisième title shot contre Islam Makhachev, l'actuel boss des -70kg, lors de l'UFC 302. Une troisième chance – vraisemblablement la dernière – presque inespérée pour l'Américain qui n'était pas le premier choix de la plus prestigieuse des ligues de combat. Dans la foulée de sa victoire face à Do Bronx à l'UFC 300, Arman Tsarukyan (challenger n°1) est sollicité mais refuse la proposition arguant que sa préparation serait trop juste pour le 1er juin à Newark. Poirier, lui, saisit l'occasion sans hésiter: "J'étais dans une position où je ne pouvais pas dire non."
Surtout que le Diamond a momentanément cessé de scintiller (22 victoires à l'UFC dont 15 finishes, 7 défaites). Et revient de nulle part après avoir longtemps erré et sombré dans les "ténèbres" comme il l'a confessé. En juillet 2023, le KO pris de la part de Justin Gaethje pour la ceinture honorifique de BMF ("Baddest Motherfucker") – un high-kick fulgurant en pleine tête – le plonge dans une profonde dépression. "C'était une défaite dévastatrice, j'ai cru que c'était la fin du monde. J'ai eu des moments vraiment sombres, c'était très effrayant", s'épanchait comme rarement le combattant, en mars dernier, dans l'émission MMA Hour. "Le combat était tout pour moi, toute ma vie. Je ne me jugeais essentiellement que par le combat, c'était la personne que j'étais. Si je ne suis pas le combattant Dustin, qui suis-je?"
Retour fracassant contre Saint Denis
Il a fallu l'attendre l'UFC 299 et que sa route croise celle de Benoît Saint Denis pour que le Louisianais réapprivoise la lumière. Face au Français qu'il qualifie de "jeune lion affamé" et alors en pleine ascension chez les légers, il relève le défi pour ce qui s'apparente à un combat périlleux. "J'ai pris ce combat parce qu'il avait terminé ses cinq derniers adversaires. Ce n'était pas vraiment un nom que le monde connaît, mais il est dangereux. En l'acceptant, je fais honneur à ce game", justifiait Poirier. "L'ancien champion Eddie Alvarez m'avait donné une chance à Dallas quand je grimpais dans la division. C'est donc important de rendre la pareille."
De prouver, aussi, que la vieille garde n'a pas encore tiré sa révérence. La suite, on la connaît. La boxe anglaise de celui qui n'a jamais essuyé deux défaites d'affilée à l'UFC se met en musique. Une extinction des lumières brutale au deuxième round pour le "God of War" diminué par un staphylocoque, qui vaudra à Dana White cette sortie dithyrambique dans son style si caractéristique: "Ce genre de combat fait de vous une putain de légende."
Makhachev, le miroir de Khabib
Trois mois plus tard, ce n'est pas un prospect prometteur qui se présente cette fois devant Dustin Poirier. Mais une ombre menaçante. L'épouvantail de sa catégorie et même de toute l'organisation. Champion incontesté depuis qu'il a ravi la ceinture à Oliveira en 2022, Islam Makhachev s'érige actuellement comme le meilleur combattant pound for pound. Depuis sa dernière défaite en 2015, le Russe de trente-deux ans reste sur un run ébouriffant de treize succès consécutifs. Et son KO infligé à Alexander Volkanovski (ex-boss des -66kg), en octobre 2023, a rappelé à tous le combattant complet qu'il est devenu. Au point de sembler quasi intouchable à l'aube de sa confrontation contre l'Américain et d'afficher un aplomb inébranlable confinant à la morgue. "Dustin est un guerrier, une légende. Il a plus d'expérience que quiconque dans ce sport. Mais son problème est son style", assurait-il récemment à TMZ. "Son point faible est sa lutte et son grappling. J'ai les clés pour rendre ce combat facile si je suis mon plan. Mon style et celui de Khabib, c'est le pire pour Dustin."
Khabib Nurmagomedov, un nom qui convoque justement de douloureux souvenirs auprès du Diamond. Et continue de le hanter encore aujourd'hui. En septembre 2019, l'ex-champion invaincu des légers l'avait totalement annihilé après une partition immaculée. Une soirée en enfer – malgré une tentative de guillotine – lors de laquelle sa boxe et son striking n'ont pas existé. La chute est telle pour celui qui avait obtenu le titre intérimaire des -70kg quelques mois plus tôt qu'elle s'achève dans les larmes. "J'avais le sentiment que toute ma carrière m'avait préparé pour ce moment", soufflera le vaincu dans la foulée du combat, la voix éraillée par la déception. "J'étais tellement préparé... et je vais devoir vivre avec ça le reste de ma vie." Cinq ans plus tard, le spectre de revivre un scénario similaire s'avère réel. Originaire du Daghestan, spécialiste de la lutte et du grappling, façonné en partie par Khabib lui-même, Makhachev se présente comme le miroir de son aîné avec en outre un striking plus féroce.
"Si je réussis, ce sera comme la vraie vie de Rocky"
Presque tous les observateurs, même les plus avertis, s'accordent à l'unisson pour prédire une défense de titre sans accroc du Russe. Une tendance dont Dustin Poirier ne prend pas ombrage, habitué à endosser ce rôle depuis ses premiers pas dans l'octogone. "Être l'outsider, c'est l'histoire de ma vie", ne cesse-t-il de seriner année après année. La marche semble trop haute, la quête impossible. Mais toujours guidé par le rêve de voir la ceinture de champion autour de la taille, le Diamond y croit. Profondément. Plus que personne. Et parce qu'il est "accro à cette vérité", celle qui se passe dans l'octogone et nulle part ailleurs. "Je comprends le défi et la menace face à moi. C'est le numéro un, disciple de Khabib... mais quelle manière ce serait de finir cette histoire", expliquait l'Américain à MMA Hour d'une conviction inflexible. "Si je réussis ça (...), ce sera comme la vraie vie de Rocky. Je suis ce gars qui peut le faire, je crois à 100% en moi-même. Chaque soir, je vais me coucher en pensant que je vais être champion. "
L'histoire pourrait devenir d'autant plus belle à bien des égards. À dix-huit ans, l'homme aux trente victoires en carrière MMA a fait une promesse à sa femme Jolie: se retirer de la cage à trente-cinq ans. L'heure fatidique a sonné et Dustin Poirier a reconnu lui-même à demi-mot que le "chapitre final" approchait à grands pas. Ces derniers jours, il a même évoqué la possibilité que ce combat contre Makachev soit son dernier, victoire ou défaite. L'apothéose comme dénouement ou le rang de roi sans couronne à jamais. Pour la première fois depuis qu'il enfile des gants, sa fille âgée de huit ans sera présente pour le voir dans la cage. "Je veux lui montrer qu'on peut réaliser ses rêves...", promet l'Américain, décidé à choquer le monde à Newark, dans le New Jersey. Signe annonciateur du destin ou pas, l'UFC 302 se tiendra au Prudential Center qui se situe dans une rue baptisée Lafayette... du même nom que la ville dont il est originaire. L'éternité n'est peut-être pas si loin.