FFT: l'ère Moretton, ou la République de la terreur

A croire que les fédérations françaises du football et du rugby, en pleine tourmente, ne sont pas les seuls organes du sport à avoir leurs problèmes de gouvernance, de gestion et de transparence. Ces deux instances sont omniprésentes médiatiquement mais une autre fédération, dont on parle peut-être un peu moins et pourtant la plus puissante de France avec ses 378 millions de chiffre d’affaires en 2022, a pris un virage "toxique" depuis près de deux ans et l’élection de Gilles Moretton à la tête du tennis français, nous relate un ancien cadre fédéral.
L’ancien joueur professionnel et ancien président du club de basket de l’ASVEL avait pourtant placé sa candidature sous "le signe de l'humain et des valeurs", voulait "mettre fin à l'entre-soi" de l’ère Bernard Giudicelli, son prédécesseur…. Notre enquête révèle une toute autre réalité.
Des salariés licenciés en plein arrêt maladie
Les nombreux témoignages recueillis par RMC Sport décrivent une ambiance de "malaise permanent" dans les couloirs de la Fédération. Avec dans l’esprit de salariés la peur d'être "la cible du jour, celui qu'il faut fusiller", comme le raconte un ancien salarié qui a voulu rester anonyme. Et de prolonger: "Pour beaucoup c’était un rêve de travailler de leur passion : le tennis, au service de la Fédération, il y a énormément de dévouement, mais la considération de l’humain passe au second plan."
La méthode apparait brutale: comme ces employés qui découvrent en revenant de leur pause déjeuner que leurs accès Internet sont coupés, premier signe d'un départ forcé. Depuis l’arrivée à la présidence de Gilles Moretton il y a deux ans, on dénombre près de 130 départs, d'après nos informations. A titre de comparaison, 37 départs nous ont été rapportés pour la première année de la mandature Giudicelli (élu en 2017). Sur plus de 400 salariés (effectif communiqué lors de la dernière assemblée générale), le chiffre apparait donc important et surtout bien au-delà de la traditionnelle rotation d'effectif qui se produit lors d'une nouvelle présidence. Un phénomène qui s‘est accéléré depuis l’arrivée de la nouvelle directrice générale Caroline Flaissier dont une des missions est "de faire le ménage", nous confie un ancien cadre fédéral. Beaucoup ont été des départs négociés, verbalisés par un protocole d'accord transactionnel et une clause de confidentialité. On peut y citer le démembrement de la direction au sens large : deux directeurs des ressources humaines, deux personnes à la communication, un directeur financier, un directeur DSI et – le plus médiatique – le directeur de Roland-Garros Guy Forget.
Tous ces départs ont coûté de l'argent à la FFT. Plus alertant au regard du code du travail : ces licenciements de salariées en plein arrêt maladie (interdits par la loi sauf circonstances bien précises). La direction générale prétextant "des arrêts maladie de complaisance" d’après plusieurs sources. Un signalement de ces dossiers a été fait auprès du Comité social et économique, une enquête interne est actuellement en cours.
A ce jour, beaucoup d'employés qui s'étaient investis pour le tennis français n'ont pas retrouvé d'emploi durable, d'autres sont au chômage ou en burnout encore traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Caroline Flaissier s’explique sur les raisons de ces départs : "Comme toute entreprise, nous devons parfois nous séparer de personnes avec lesquelles nous avons travaillé, et qui factuellement ne sont plus alignées avec les besoins et les enjeux de la Fédération. Nous agissons toutefois, en toutes circonstances, respectueusement, avec bienveillance, dans l’écoute et le respect du dialogue social".
Il y aurait d'ailleurs tellement de postes à pourvoir (actuellement 41 offres publiées pour tout type de contrat) avec en face si peu de candidats que les salariés peuvent désormais toucher une prime en cas d'embauche d'un nouvel employé qui vient sur leur recommandation. La direction générale nous précise que "plus de 120 recrutements ont été réalisés, qui apportent au tennis français une véritable plus-value. Nous avons la conviction que la transformation de la Fédération telle que nous l’avons lancée, est essentielle pour garantir la pérennité de la FFT et promouvoir plus largement notre sport".
Un autre départ fracassant a fait du bruit Boulevard d'Auteuil: celui de Thierry Champion. L'ancien entraîneur fédéral reconnu de l’équipe de France de Fed Cup, de Gaël Monfils, Richard Gasquet ou Julien Benneteau pour ne citer qu'eux, a subi un ultime entretien "très violent pendant lequel il s’est fait massacrer", nous expliquent plusieurs sources. Ses compétences font désormais le bonheur de la Fédération américaine.
D'autres cadres de la FFT nous relatent des réunions où "certains dirigeants subissent des humiliations en public, voire même un langage insultant", nous décrivent "un président qui refuse tout débat après ses interventions", notamment au Conseil supérieur du tennis, organe en principe de contrôle et de vigilance sur la politique fédérale. Un management qui n’est pas nouveau puisque déjà employé au sein du club de basket de l’ASVEL ou encore à la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes et qui a valu à Moretton une condamnation devant les tribunaux.
Un mariage fêté sur le court Philippe-Chatrier
Les proches de Gilles Moretton décrivent un "leader, un excellent communicant et un meneur d’hommes passionné". Mais l'attitude du patron du tennis français est aussi souvent résumé par une phrase qui revient en boucle dans la bouche de nombreux acteurs : "Je suis président, je fais ce que je veux". Un état d'esprit illustré par plusieurs situations : certaines sources dénoncent "le budget consacré aux travaux de décoration et de réaménagement de son bureau personnel" ainsi que "le restaurant du court central 'Carré RG' de Roland-Garros" alors que ces locaux étaient "flambant neufs" dans la logique des travaux de rénovation du stade.
Une autre histoire datée de juillet dernier remonte. Le stade Roland-Garros continue sa mue avec notamment le chantier concernant le court Suzanne-Lenglen. Moment choisi par Gilles Moretton pour célébrer son mariage. Sans information précise sur leur faire-part quant au lieu du vin d’honneur, ses invités ont eu la surprise de pouvoir vivre ce moment de bonheur au sein du stade de Roland-Garros. Après la cérémonie à la mairie de Boulogne-Billancourt, la fête a débuté en pleine tribune présidentielle du court central autour d'une coupe de champagne avant de se prolonger au sein de l'Orangerie, lieu habituel du tirage au sort du tournoi. Un budget de prestation effectué par la société d’exploitation de ce lieu pris en charge par le président d’après la directrice générale de la FFT. "Après échanges avec notre partenaire, nous vous confirmons que l'ensemble des services facturés par la société d'exploitation ont bien été payés personnellement par le président."
Entre largesses budgétaires et missions généreusement accordées
Depuis son arrivée à la tête du tennis français, Gilles Moretton a fait revenir d'anciennes gloires dans les instances. D'après nos informations, de nombreux contrats de missions généreux ont été accordés. Certains observateurs du tennis fédéral dénoncent "une République des copains". On peut citer la nomination d’Arnaud Di Pasquale, soutien de Moretton pendant sa campagne électorale (ancien directeur technique national de 2013 à 2017), au poste de directeur de la mission Padel. La mission de l’ancien médaillé de bronze aux JO de Sydney – collaborant sous le statut de prestataire et dont nous avons pu consulter le contrat – n’a fait l’objet d’aucune validation du Comité de choix des prestataires et des fournisseurs de la FFT (compétent pour toute mission de prestation dont le budget se situe entre 100.000 euros et 300.000 euros) alors que la fédération lui verse 100.000 euros hors taxes annuel.
Ou encore ce poste dédié à Eric Deblicker (ex-entraineur d’Henri Leconte ou Sébastien Grosjean entre autres), ancien conseiller bénévole de Bernard Giudicelli et membre invité au comité exécutif au cours de cette mandature, puis soutien de campagne électoral du Lyonnais, devenu depuis deux ans "conseiller spécial" du Président Moretton contre une rémunération totale de 145.000 euros hors taxes dont nous avons pu consulter le contrat. Contactés, ces deux derniers collaborateurs du président n’ont pas répondu à nos sollicitations. Autre exemple : la mission de responsable du pôle France tennis fauteuil accordée à l’ancien joueur Jean-Philippe Fleurian "lors d'une fin de réunion sur un coin de table" à plusieurs dizaines de milliers d'euros selon plusieurs sources.
La directrice générale Caroline Flaissier explique ces nominations : "Toutes les décisions concernant l’organisation de nos activités, nos dépenses et nos investissements sont prises dans le respect absolu des lois et réglementations qui s’appliquent, et dans une parfaite transparence avec les institutions et administrations qui ont à en connaitre. Cela inclut le respect de la gouvernance interne de la Fédération, et du cadre dans lequel nous - le Président, les directeurs, et moi-même - rendons des comptes aux élus de notre fédération et aux clubs. Nos comptes sont par ailleurs examinés dans le détail et certifiés par des commissaires aux comptes, comme il se doit."
Mais le plus représentatif de la méthode décrite par de nombreux acteurs est certainement ce salaire accordé à ce dirigeant bénévole historique et qui a fait basculer l'élection de Moretton : Hughes Cavallin. Ce trésorier général sous Bernard Giudicelli, avec son changement de camp soudain à quelques mois de l'élection, a offert la victoire à l'ancien 65e joueur mondial au sein de la Ligue Ile-de-France (décisive par son importance de votes dans le résultat d’une élection fédérale). Devenu directeur du cabinet du président et du secrétariat général, le "Snake" – comme il est surnommé dans les arcanes fédérales – a perçu selon nos informations un salaire, dont le minimum pour ce statut est fixé à 10.000 euros, pendant quinze mois avant de démissionner au printemps dernier (en mai 2022). Une rémunération qui a heurté les salariés et qui a soulevé des conflits entre le Président et sa directrice générale de l’époque, Amélie Oudéa-Castéra. L’immunité de Cavallin a d’ailleurs duré quelques semaines encore puisqu’il disposait d’un badge d’accès catégorie "Elus" (ce qu’il n’était plus au sein de la FFT) lors de Roland-Garros et avait accès aux différents espaces et hospitalités. Sur cette nomination, la directrice générale précise : "Apprécié pour ses qualités humaines et son action en tant que président de ligue, Hughes Cavallin s’est naturellement imposé pour occuper la fonction de directeur de cabinet et du secrétariat général. L’objectif était de faciliter une transformation rapide dans le respect des rouages de la Fédération. Hugues Cavallin a permis, grâce à ses talents reconnus de trésorier, une transition sans heurts ni dommages, avant le recrutement d’un nouveau trésorier général". Contacté par RMC Sport à plusieurs reprises, Hughes Cavallin n’a pas répondu à nos sollicitations.
Ces largesses budgétaires se retrouvent aussi sur d’autres postes. Il y a tout d’abord eu la rémunération exceptionnelle accordée à l’époque à Amélie Oudéa-Castera, directrice générale de la FFT de mars 2021 à mai 2022. L’actuelle ministre des Sports percevait 35.000 euros net par mois, du jamais-vu au sein de l’instance. A titre de comparaison son prédécesseur Jean-François Vilotte émargeait à 350.000 euros brut par an d’après nos informations. Il y a aussi ce taxi à disposition de la directrice générale actuelle, Caroline Flaissier, alors qu’elle possède un véhicule de fonction qui n’est que trop peu utilisé. Enfin, on peut citer le budget initial prévisionnel faramineux pour la fresque en hommage à la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros en 1983 qui sera inaugurée lors du prochain tournoi au printemps, finalement retouchée.