Daegu, est-ce bien raisonnable ?

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Si les Sud-Coréens avaient voulu en mettre plein les yeux aux visiteurs étrangers, ils ne s’y seraient pas pris autrement. A l’aéroport de Séoul déjà, les affiches célébrant la tenue des Mondiaux d’athlétisme sont légion. Et ce n’est rien comparé aux milliers de banderoles et de drapeaux des 202 délégations participantes qui pavoisent les larges avenues de Daegu, à 350km au sud-est de la capitale. Le maire de la troisième métropole du pays (2,5 millions d’habitants) a promis à la Fédération internationale (IAAF) « les meilleurs championnats de l’histoire » ; il tient à le montrer.
Mais ce déploiement impressionnant, typiquement asiatique, ne parvient pas à masquer les lacunes grossières de l’organisation. La plus criante est sans doute la pratique quasi-nulle des langues étrangères par les autochtones, anglais y compris. Chaque instant de la vie quotidienne peut ainsi donner lieu à des scènes cocasses, parfois surréalistes, souvent irritantes malgré l’exquise politesse des Coréens. L’efficacité des services s’en ressent fortement…
Autre talon d’Achille, le manque d’hôtels de niveau international. Certains journalistes de grands médias sont logés dans des « love motels » (sic) spécialisés dans l’accueil des couples pressés. Les chambres, généralement louées à l’heure, tiennent du lupanar, accessoires et lumière tamisée inclus. « On est loin du ‘pays du matin calme’ », sourit l’un d’entre eux. D’autres, à l’hébergement plus traditionnel mais isolé, doivent passer plus d’une heure sur des routes sinueuses pour rallier le stade, où les derniers travaux n’étaient pas encore terminés à douze heures du début des compétitions.
La planche à billets
Une enceinte moderne à l’environnement idyllique, coincée entre des collines escarpées et une végétation tropicale, construite pour la Coupe du monde de football 2002 (elle avait notamment accueilli la finale pour la 3e place entre la Corée du Sud et la Turquie). Son principal fait d’arme jusqu’à présent. Car question athlétisme… on ne peut pas dire que le pays organisateur soit une référence. Jamais un Sud-Coréen n’a remporté la moindre médaille depuis la création des Mondiaux, en 1983. Et l’objectif, modeste mais réaliste, affiché par les dirigeants locaux est le « 10-10 » : un athlète dans les dix premiers de sa discipline, et ce dans dix disciplines. Fin diplomate, le vice-président de l’IAAF Sebastian Coe se borne à espérer que ces Mondiaux « permettront de développer la pratique de l’athlétisme en Corée du Sud ».
Après tout, pourquoi pas ? Les organisateurs bombent le torse en annonçant un taux de vente des billets de l’ordre de 95%. En fait, la plupart des acheteurs seraient les puissants acteurs économiques nationaux (automobiles, télécommunications, hautes technologies…) qui les distribuent ensuite à leurs employés. Ceux-ci étant « invités » à se rendre au stade quoiqu’il advienne… Et puis, malgré l’absence remarquée de la voisine du Nord pour d’évidentes raisons politiques, la Corée aime le sport. Elle mise sur lui pour améliorer une image encore très austère : football, Formule 1, JO d’hiver 2018, les grands rendez-vous ne manquent pas. Quand ils « veulent » un événement, les potentats locaux sortent la planche à billets ; ce fut le cas pour faire venir l’athlétisme dans cette métropole sans charme, aux dépens notamment de l’Australienne Brisbane. Cela suffira-t-il à offrir « les meilleurs championnats de l’histoire » ? Il est largement permis d’en douter.