Frères de pistes

Ladji Doucoure donne rendez-vous à Pékin - -
Vous allez disputer dimanche, à Stuttgart, la finale du Grand Prix. Qu’attendez-vous de ce dernier rendez-vous de l’année ?
Ladji Doucouré : Je veux continuer à me faire plaisir et, si possible, réaliser ma meilleure performance de l’année (13’’27 le 6 juillet au meeting Gaz de France Paris Saint-Denis). Ce chrono n’est pas très élevé. J’espère passer la barre des 13’’20. Je sais que c’est dans mes cordes. Je ne peux pas prendre cette course comme une répétition des championnats du Monde puisque Liu Xiang et Trammell sont absents. Ca reste tout de même une course de très haut niveau. Je vais essayer d’utiliser cet environnement pour sortir un chrono.
Leslie Djhone : Je ne vais pas accompagner Ladji. J’ai décidé de ne pas m’y rendre après le meeting de Nancy mardi (Leslie l’a emporté en 46’’01). La fatigue m’a rattrapé, j’ai mal partout. Je préfère m’arrêter là, ça ne sert à rien de prendre des risques physiques. Je suis donc en vacances pendant un mois (Leslie doit reprendre l’entraînement le 22 octobre). Je suis un peu triste d’arrêter. Maintenant, ça ne servait à rien d’abimer la machine. L’année 2008 est trop importante.
Ladji, est-ce un soulagement de savoir que c’est la dernière course de l’année ?
Ladji : En fait, on m’a laissé le choix. On m’a proposé de faire cette course puisqu’un couloir se libérait ou d’arrêter après Nancy (1er en 13’’33). Comme il faisait froid à Nancy, je sentais que le chrono n’allait pas être fantastique. Stuttgart est pour moi l’occasion de terminer cette année 2007 sur une bonne note. Il sera temps de souffler après et de partir en vacances.
Quel bilan tirez-vous de votre saison ?
Ladji : L’année 2007 a commencé difficilement puisque je ne pouvais pas disputer de courses. Ma blessure au mollet m’a empêché de travailler comme je le voulais. Après dix mois d’absence, mon retour à la compétition s’est globalement bien déroulé (13’’37 à Eugene le 9 juin). Sur le moment, je me suis dit que le chrono allait descendre grâce au travail. J’étais persuadé que j’allais retrouver mon meilleur niveau. En fait, ça ne s’est pas passé comme je l’espérais. J’ai été très irrégulier. Le chrono descendait pour remonter la course suivante. Aujourd’hui, j’ai bien conscience qu’il me faut franchir un cap pour retrouver le haut niveau mondial.
Leslie : Le bilan est positif. La saison n’avait pourtant pas très bien débuté. J’ai vraiment commencé à me poser des questions après le meeting de Monaco (25 juillet). Je réalise 45’’70 alors que je suis au taquet ! A ce moment-là, je me suis dit que ça ne servait à rien de participer aux championnats du Monde, qu’il était préférable que je reste à la maison. Finalement, il y a eu un déclic aux championnats de France (les 4 et 5 août à Niort). Je ne voulais pas me faire taper par les autres français. Tout s’est fait à l’orgueil. Ensuite, on connaît la fin de l’histoire avec cette 5e place à Osaka (Leslie bat son record de France en ½ finale en 44’’46 contre 44’’64). Je suis satisfait mais d’un autre côté, je repars du Japon sans médaille. Je vais donc essayer de rectifier le tir pour l’année prochaine. Maintenant, la saison est terminée. Les compteurs sont remis à zéro et je repars pour de nouvelles aventures dans un mois.
Leslie, comment expliquez-vous ce déclic ?
Leslie : Je pense avoir muri. Ma troisième place aux championnats d’Europe 2006 m’a permis de grandir. J’étais le favori mais j’étais passé à côté. Ladji peut vous le dire, j’étais moins stressé que d’habitude à Osaka. Je ne suis pas resté dans ma chambre à attendre ma course. Je faisais ma vie.
Ladji, vous avez souvent poussé Leslie à se libérer mentalement...
Plutôt que de faire marcher ses jambes, Leslie faisait marcher sa tête. Le problème était là. Il réfléchissait trop. C’était très frustrant de le voir courir ainsi. Leslie, je le connais depuis des années. Je sais de quoi il est capable. Aujourd’hui, il a franchi un cap. Il est capable de courir encore plus vite.
Leslie, comment avez-vous vécu les championnats du Monde de Ladji ?
Ladji : J’avais les boules pour lui. En 2005, il y avait beaucoup de personnes autour de lui après son titre de champion du monde. Tout lui monde lui disait : « Ladji, t’es merveilleux. » C’est marrant mais cette année, je n’ai pas vu beaucoup de personnes le soutenir. En voyant ça, je me suis dit que les gens étaient vraiment des crevards. Mais Ladji n’est pas le genre de gars à s’arrêter là-dessus. Il connaît ses vrais amis.
Le Président Amsalem a déclaré à la fin les championnats du Monde que certains athlètes s’étaient comportés en touristes. Comment avez-vous pris cette attaque ?
Leslie : Quand il dit touriste, il parle de l’attitude que certains athlètes ont eue durant la compétition. Il n’a pas attaqué les personnes qui se sont dépouillées. Je pense qu’il a été déçu par les athlètes qui n’ont pas reproduit aux championnats du monde ce qu’ils avaient réalisé auparavant. Il ne demandait pas aux sélectionnés de battre leur record. Il voulait simplement qu’il soit à leur niveau.
Ladji : Je me pose une question. Qui a sélectionné ces touristes ? C’est eux, c’est pas nous. On ne s’est pas incrusté dans cette sélection. Quand j’entends cette critique, je me mets dans le lot. C’est l’équipe de France entière qui a été insultée. On n’a pas le droit de dire que certains athlètes étaient venus pour passer des vacances. On s’est tous dépouillés. S’il y avait eu un peu plus de médailles, je reste persuadé que le Président n’aurait pas tenu ce discours. Les athlètes qui se seraient plantés, on n’en aurait même pas parlé. Je trouve ça trop facile de mettre la faute sur nous. Pour moi, tout le monde est responsable.
Que vous inspire le cas de Neiman Keita, contrôlé positif à Osaka après un avoir commandé un complément alimentaire sur internet ?
Leslie : Le plus incroyable, c’est que son entraîneur est médecin. Je ne comprends vraiment pas.
Ladji : Neiman est quelqu’un de très bien, de très gentil. On délire bien ensemble. C’est un ami. Quand j’ai appris son contrôle positif, je me suis pris un coup de massue énorme. Il est tombé dans le panneau. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça. On sait tous qu’il ne faut rien commander sur internet.
Ladji, vous êtes actuellement en plein Ramadan. Comment gérez-vous cela ?
Ladji : C’est assez difficile. Le rythme de vie est complètement différent. Mais le jour de la compétition, je ne jeûne pas. Je mange normalement. Finalement, le plus dangereux est de ne pas boire. La soif est pénalisante. Mais c’est une question d’habitude. Je fais le Ramadan depuis que je suis jeune. C’est dans la tête que ça se passe. Le seul problème que je rencontre concerne les contrôles anti dopage. J’ai eu un petit souci à Nancy. Je n’avais pas d’eau dans le corps mais il fallait remplir le bocal.
C’est donc Leslie qui a fait pour vous…
Ladji : (Rires) Non, on n’utilise pas les anciennes techniques des pays de l’Est !
Dans moins un an, vous disputerez les Jeux Olympiques de Pékin. Qu’attendez-vous de cette année 2008 ?
Ladji : Attendez, ce n’est pas certain que j’y sois. Faut déjà que je me qualifie. Si je réalise les minimas, j’ai prévu de prendre un gros sac rempli d’électronique. Au moins, là, on pourra me traiter de touriste. (Rires) Non, je vais tout faire pour que mon pic de forme tombe au bon moment. J’ai conscience que le niveau sera très élevé. Il ne faudra pas se louper. La victoire se jouera sous les 13’’. Pour moi, c’est faisable. Je vais en tout cas me préparer pour y arriver.
Leslie : C’est un peu plus compliqué pour moi. Pour terminer sur le podium, il me faudra battre le record d’Europe. Le plus important est d’être épargné par les pépins physiques. C’est essentiel. Je vais essayer d’être régulier aux alentours de 45’’, 44’’80. Cela me permettra d’arriver à Pékin avec des repères.
Mais quand on a Jérémy Wariner (champion olympique et du monde du 400 m) dans sa discipline, on court pour la victoire ou pour les places d’honneurs ?
Leslie : Personne n’est imbattable. Wariner peut avoir des faiblesses. Je suis d’accord, on a du mal à les trouver. Mais je me dis que tout peut arriver. Je vais à Pékin avec de l’espoir et de l’envie. Après, on verra bien ce qu’il se passe.
Lors de la finale mondiale à Stuttgart, Ladji Doucouré a pris la 5e place du 110m haies remporté par le Cubain Dayron Robles en 12''92