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Les quatre vies de Laurence Klein

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- - DR / Cimbaly/V.CAMPAGNIE©MDS2014

A 46 ans, Laurence Klein possède l’un des plus beaux palmarès des courses hors stade en France. « Aventurière du sport » comme elle aime se définir, la Champenoise a tout connu en course à pied. La piste, la route, le trail, les raids extrêmes. Les 1000m, 10km, semis, marathons et 100km. En attendant dimanche le départ du 30e Marathon des Sables dont elle est triple vainqueur féminine (2007, 2011, 2012), Laurence Klein nous a accordé un entretien au long cours. Un témoignage riche et passionnant dans lequel elle revient sur sa fascinante trajectoire.

Laurence, pensez-vous pouvoir remporter une 4ème victoire au Marathon des Sables ?

Il y a du beau monde au départ avec deux Américaines (Meghan Hicks et Nikki Kimball, ndlr) qui ont un bon palmarès, dont une qui a gagné il y a deux ans. De mon côté, à partir du moment où je vais sur la ligne de départ d’une compétition, ce n’est pas pour faire de la figuration. Ensuite, je me dis que j’ai autant de chances qu’elles. Je ne sous-estime pas du tout mes adversaires, mais je ne me sous-estime pas non plus.

Qu’est-ce qui vous attire dans une course aussi exigeante et difficile que le Marathon des Sables ?

J’ai commencé à faire le Marathon des Sables en 2007, dans la préparation du 100 km, en me disant que ce serait pas mal pour forger le moral. Mais je suis tombée amoureuse de cette course. C’est pour ça que j’aime bien la courir chaque année. J’en suis presque devenue une spécialiste malgré le fait que je ne suis pas du tout du désert. C’est un peu particulier, parce que c’est une course à étapes. A chaque fois, on rentre sur un bivouac. Et ce qui s’y passe à l’intérieur, c’est un peu un condensé de vie.

C’est-à-dire ?

La tente qu’on constitue est une petite famille, avec une vraie cohésion. Nous progressons en autosuffisance et même si on a nos propres repas, on les partage autour d’un feu. On soigne les petits bobos qu’on peut avoir. On est dans une compétition, mais quand on arrive sur le bivouac, la compétition s’arrête un peu. On partage de bons moments, même avec ses adversaires.

Comment êtes-vous arrivée dans le monde de la course, et finalement de l’extrême ?

J’ai commencé à 7 ans, dans la cour de l’école, où j’ai été repérée par un professeur de sport qui m’a emmenée faire un cross. J’ai commencé en UNSS, en passant par le 1000, 1500, et 10 000 mètres. Mais jusqu’à l’âge de 17 ans, j’étais plutôt spécialiste de piste. Puis je suis devenue vice-championne de France du 10 000 mètres en juniors, où je tournais en 36 minutes. Ensuite, je suis passée au semi, puis très vite au marathon. Pour mon premier marathon, je devais avoir à peine 30 ans. C’est en 2004 que je suis montée sur 100 km. Rapidement, je suis descendue au niveau des temps, jusqu’à battre le record de France tout en gagnant les championnats d’Europe.

Quelle a été votre trajectoire en équipe de France ?

J’ai eu mes premières sélections tard puisque j’ai commencé par le 100 km et ma première sélection était en 2004. J’ai été sélectionnée sur 100 km consécutivement entre 2004 et 2007. En 2008, j’ai connu une sélection pour les Championnats du monde de marathon. L’année d’après, c’étaient les Mondiaux d’athlétisme à Berlin, avant de participer aux Championnats du monde de trail en 2010, ce que je n’ai pas pu faire en 2013 à cause de ma blessure (rupture du tendon d’Achille).

Quel est le record dont vous êtes le plus fière ?

Le record de France sur 100 km que j’ai réalisé à Winschoten, en 7h26. C’est rapide, un record assez joli. Ce qui le rend mémorable c’est d’abord le temps, avec une moyenne de 13,5 km/h, mais aussi la façon dont j’ai couru. C’était LE jour, d’autant plus que c’est là que je deviens championne d’Europe, puis le retentissement de la Marseillaise… Ce record est porteur de pleins de choses. Je suis également assez fière de mon record sur marathon, en 2h37. L’avantage de la route, c’est qu’on a des records qui peuvent être comparés. On sait vraiment la valeur exacte sur un kilomètre donné. Sur le trail, il y a moins de records, ce sont plus des places d’honneur qui font qu’on a une certaine notoriété.

Vous qui êtes littéralement tout terrain, quel est celui qui reste votre surface de prédilection ?

Là, je fais du trail, je fais le Marathon des Sables, mais j’aime aussi beaucoup le marathon et la course sur route parce que ça va vite et parce que la foulée est jolie, comme la gestuelle. Pour l’esthétisme, je préfère la route. Pour tout ce qui est découverte, je préfère le trail. Alors, quand on peut faire les deux, c’est sympa. C’est une chance qui m’est donnée de pouvoir aller sur les différents terrains.

Pourquoi être « montée » sur les longues distances ?

Je pense qu’avec le temps, quand on a gouté aux petites distances, on veut aller sur du long. Puis il y a le fait de s’évader, de se créer sa propre aventure. C’est aussi aller chercher un peu plus loin, au-delà de ses capacités, pousser un petit peu plus le curseur de la tolérance, et non pas de la souffrance. Ce ne sont pas des tests. A la limite, je me vois comme une aventurière du sport. J’aime aussi revenir sur un 10 km et me faire plaisir. Bref, j’essaie de me faire plaisir un peu partout.

Vous parliez de tolérance, et non de souffrance. Pourtant, n’y a-t-il pas une part de masochisme chez l’ultra-marathonienne que vous êtes ?

Je réfute complètement cette idée en me disant qu’il n’y a pas de souffrance pour moi dans le sport. C’est un mot trop fort. La souffrance, c’est quelque chose qu’on ne choisit pas. Par exemple, on peut souffrir d’une maladie parce qu’on ne l’a pas choisie. Même s’il y a forcément des douleurs musculaires, articulaires, cérébrales, je ne mets pas ça au degré de la souffrance. Moi, je suis responsable, et entièrement responsable d’être au départ d’une course. Par respect pour toutes les personnes qui souffrent dans le monde, je n’appelle pas ça de la souffrance. C’est très important pour moi. Quand je cours, certes j’ai mal, mais je ne souffrirai jamais autant que des gens qui meurent de faim, que des gens malades… toute la misère qu’on peut voir dans le monde. Je relativise cette douleur, je relativise toujours.

Où puisez-vous votre force mentale ?

La course à pied, c’est un peu un exutoire, ça permet de s’évader. Ma famille et mes deux enfants m’aident beaucoup dans mon développement personnel. Je vais puiser cette force en me disant, par exemple, que si je les laisse une semaine, je ne les laisse pas pour rien, qu’ils sont là, qu’ils me suivent, qu’ils sont derrière moi. Ce sont mes premiers supporters. Je suis tenace, j’ai des convictions, c’est aussi peut-être dû à une certaine éducation.

Vous voyez-vous raccrocher les chaussures un jour ?

J’ai maintenant 46 ans et ça fait trente-quatre ans que je cours. Mais j’ai encore la trouille avant une compétition. Là, par exemple, je prépare mon sac, il y a tout un protocole qui se met en place. Avec mon expérience, on pourrait me dire « c’est bon ». Mais non, parce que j’ai l’impression d’être encore une cadette dans ma tête, d’aller au départ d’une course comme lorsque j’avais 20 ans ! Et je ne veux pas perdre ça parce que ce jour-là, je serai moins compétitive. Là, je vais faire du mieux que je peux, sachant qu’un mois après, je vais enchaîner sur un championnat de France de 100 km, pour tenter une nouvelle sélection aux Championnats du monde. Ce serait super ! Je me fais plaisir et tant que je peux, on y va ! J’ai battu mon record sur marathon à 40 ans. Donc je me dis que je peux encore m’entraîner, courir. Je ne sais pas à quel âge j’arrêterai, je vous le dirai (rires).

Y-a-il encore un rêve sportif qui vous anime ?

J’ai encore pleins de rêves sportifs quand je serai moins dans la compétition. J’aimerais gravir un sommet à la marche, ou encore courir sur la muraille de Chine, découvrir d’autres univers chargés d’adrénaline. En tout cas, je ne m’arrêterai pas de faire du sport, ça ce n’est pas possible. 

A.Malonga