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Trop de pression sur Seixas? Pour Voeckler, "s'il ne l'encaisse pas, c'est que ça ne sera pas l'élu"

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Le sélectionneur de l'équipe de France de cyclisme était l'invité de Grand Plateau ce lundi. Quelques heures après avoir révélé la liste des coureurs alignés aux prochains Mondiaux au Rwanda, il est venu justifier ses choix.

Thomas, comment avez-vous construit cette liste pour les championnats du monde au Rwanda? On dit que ça va être le parcours le plus difficile de l'histoire des Mondiaux...

Oui, ça c'est ce qu'on dit, c'est ce qu'on verra. Mais il y a des chances en effet. Comment je l'ai construite? Déjà, avec les ingrédients de base, habituels. C'est-à-dire en tenant compte du circuit, de l'opposition, des états de forme. Et ensuite, évidemment, en fonction de ce que j'ai en magasin et de ce que j'imagine qu'on puisse y faire. Cette année, il y a deux autres choses, deux autres ingrédients que j'ai rajoutés dans cette mixture au-delà de mon ressenti personnel qui compte beaucoup, de mes convictions: le fait qu'il y ait les championnats d'Europe en France une semaine après, mais aussi le fait que j'ai estimé que c'était le moment d'amorcer un petit changement générationnel. Donc l'idée c'est ça. J'ai remarqué ce matin, et ça n'était pas fait exprès, qu'il y a quasiment une parité entre les anciens et les nouveaux. Ça n'était pas une volonté de ma part, ça aurait pu être 7/1 ou 6/2. Je voulais des mecs qui sont un petit peu garants de l'état d'esprit qui règne en équipe de France. Mais la première des conditions était que ces mecs-là soient déjà performants et aptes à être sélectionnés. Typiquement, un Julian Alaphilippe, c'est pas avec son CV qu'il a été sélectionné puisque j'ai confirmé sa sélection après le Tour de Grande-Bretagne.

Quels objectifs quand on a un Tadej Pogacar immense favori?

C'est quasiment impossible. C'est ce que je retiens. Moi, je retiens le "quasiment". Après, vous aurez noté, je pense, que par rapport à 2020-2021, au niveau des garçons, c'est un peu le phénomène inverse des filles. On a régressé au sein de la hiérarchie mondiale. On n'est pas dans les plus forts sur le papier. Mais je ne sais pas faire autrement que d'aller essayer de gagner. Je ne sais pas faire ça. Même s'il y a un dixième de pourcent de chance, un demi-pourcent de chance ou un pourcent de chance qu'on soit champions du monde, on va la saisir. On va peut-être me dire que je fais de la com', mais j'y crois, parce que je ne sais pas faire autrement. Et ça induit d'avoir une mentalité de tout tenter quitte à ne rien ramener. Parce qu'en fin de compte, je ne suis pas à la recherche d'un bilan comptable. Donc, on va y aller. Et on ne va certainement pas, par contre, se prendre pour d'autres parce que c'est un coup à se péter les dents. Donc, vraiment être ambitieux, humble, ne pas faire de l'animation non plus, ne pas chercher à exister pour exister. Mais que les Françaises et les Français soient fiers de leur équipe, que ces mecs-là qui sont là, ils se sortent les tripes. Et surtout, d'être attentif et d'y croire parce que ça va être plus qu'une course de vélo. C'est tellement hallucinant ce qui est proposé. Parce qu'au-delà du dénivelé, des kilomètres, le parcours fait qu'il n'y a pas de moment de récupération. Vous ajoutez à ça le fait que ça se déroule à 1500m d'altitude avec un passage à 1800m, normalement là où le Slovène (Pogacar, NDLR) devrait s'en aller, à 90km de l'arrivée. Et vous ajoutez le fort taux d'humidité. Donc, tout ça mis ensemble, on est mieux à commenter. Mais bon, ça c'est leur travail, ils sont payés pour.

La sélection a donc été faite aussi en fonction des championnats d’Europe?

Je ne fais pas de hiérarchie dans les compétitions, parce qu'il n'y en a que deux et trois les années olympiques, mais il y a un peu de ça, sachant que c'est très individuel. Il y a des coureurs qui vont avoir besoin d'un championnat du monde et qui seront mieux avec un championnat du monde au moment du championnat d'Europe. Ce qui est vrai pour l'un n'est pas forcément vrai pour l'autre. Donc, c'est clair que c'est une fin de saison sous le maillot de l'équipe de France qu'il faut prendre dans sa globalité. Et la difficulté, c'est de ne rabaisser aucun des deux événements. Donc, il faut que ça soit cohérent. Et il n'y a pas que l'état de forme, il y a ce qu'on veut mettre en place. C'est vrai que sur un parcours comme le Rwanda, c'est dur de mettre quelque chose de collectif en place, mais on va quand même tenter de le faire. Sur un parcours comme les championnats d'Europe, il y a plus de possibilités... C'est un peu plus "normal" comme parcours, on a envie de dire. Mais les Remco Evenepoel, Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, ils ne viennent jamais aux championnats d'Europe et quand c'est en France, ils viennent. Donc ça n’arrange pas nos affaires. Mais il en faut plus pour nous décourager, ça c'est clair. Mais oui, j'ai tenu compte évidemment des championnats d'Europe.

Qu’attendez-vous de Paul Seixas, que vous avez intégré à la liste?

Qu'attendre de lui? Je ne suis pas voyant. Par contre, je suis assez objectif. Faut pas être bête pour voir qu'il a une tête bien faite et des moyens physiques supérieurs à tout ce qu'on a connu en France depuis qu'on est capable de mesurer les chiffres, au-delà des résultats qu'il fait. Il y a eu ça à l'étranger. En France, on ne l'avait pas encore. Il y en aura peut-être d'autres qui vont arriver. Pour le moment, c'est lui. Par contre, à l'étranger, il y en a qui ont confirmé. Il y en a d'autres qui se sont cassés la gueule. Donc espérons qu'il soit dans la première catégorie à l'avenir. Moi, mon job, c'est quoi? C'est de penser pour lui en équipe de France à court terme. Donc c'est le Rwanda à moyen terme et à long terme, il n'y a que l'intérêt de l'équipe de France qui compte pour moi. Donc moi, je l'attends comme un coureur qui a sa place, pas parce qu'il est jeune et talentueux, mais parce qu’il est dans les meilleurs du pays sur un parcours aussi dur que ça, face à une adversité comme celle-là. Il n'est pas là pour apprendre, découvrir. Il aura un rôle qui peut évoluer selon ses sensations, selon les rôles que je donnerai à chacun ou plutôt même des statuts que je donnerai à chacun, mais il n'est pas là pour découvrir. En revanche, étant donné que je l'ai aligné aussi sur le contre-la-montre individuel, là, je vais me permettre de dire qu'il est là pour découvrir. Parce que sinon, j'aurais plus misé sur un Kévin Vauquelin. Bruno Armirail, il continue à progresser malgré son âge et c'est admirable à quel point il est capable de le faire. J'avais pour ambition de mettre Kevin Vauquelin qui est blessé, qui ne peut pas venir, donc j'ai fait le choix en concertation avec son équipe de mettre Paul, tout en lui demandant de ne pas en faire un objectif, mais de venir prendre des repères. Et comme tout va très vite, c'était l'occasion qu'il en prenne sur le contre-la-montre individuel, donc il va le faire. Evidemment, il a le tempérament de le faire très professionnellement et à 100%, mais on est plus focus sur la course en ligne le concernant. Il a un potentiel supérieur aux autres. Et après, moi, je ne sais pas faire autrement que naturellement. je n'ai pas de plan sur comment je vais le traiter, le protéger, en tout cas, je ne vais pas le surprotéger. Franchement, je ne me prends pas la tête avec ça. Ça va être un coureur parmi d'autres. On va rigoler. Ils vont m'écouter quand je vais taper du poing sur la table et puis tout va bien se passer. Franchement, je crois qu'on parle beaucoup de lui, on en fait des tonnes et je crois qu'il a surtout envie de pédaler, de faire du vélo comme il aime. Après, si je peux lui apporter quelques clés pour justement se décharger un petit peu de tout ce battage médiatique, et c'est bien normal qu'on en fasse des tonnes autour de lui, c'est logique. Et s'il ne l'encaisse pas, c'est que ça ne sera pas l'élu. Et après, le coureur, soit c'est le mec qui est le successeur de Bernard Hinault, on verra, mais ce n'est pas parce qu'on parle de lui qu'on lui met de la pression s'il n'est pas capable de supporter ça. En fait, ce n'est pas supporter, c'est de la mettre à part pour faire son chemin et savoir pourquoi il fait du vélo. Je ne me prends pas la tête avec ça.

Vous devez être satisfait de la victoire surprise de Julian Alaphilippe ce vendredi à Québec...

Ce que j'ai aimé à Québec, c'est qu'il n'a pas fait le chien fou. Il ne s'est pas laissé aller. En même temps, il a pris des risques, mais mesurés et contrairement à ce qu'on a pu penser, qu'il faisait n'importe quoi, c'était vraiment réfléchi. Il a été conscient de ses moyens et il avait très vite cerné qu'il aurait été trop juste en attendant le final, ou en partant de trop loin. Moi, c'est ça. Ce qui m'a le plus épaté dans sa victoire à Québec, c'est de réussir à avoir la lucidité de faire en fonction de l'adversité et de ses moyens du jour et en ayant tout de même confiance à la fin pour mettre la pipe qu'il a mise. Ça change complètement sa saison, cette victoire au Grand Prix de Québec. Je le sais, je l'ai eu depuis, il est beaucoup plus relâché et Julien, c'est vraiment l'exemple même du coureur qui est l'âme de l'équipe de France. C'est vrai que c'est tout à fait le genre de mec qui peut sans problème se sacrifier pour un jeune ou pour un autre et c'est ce que je veux aussi.

Comment déterminez-vous le rôle de chacun?

On n'est pas en 2020 ou en 2021, avec le meilleur puncheur du monde en magasin et sept coureurs qui vont rouler pour lui. C'est plutôt comme ça que je le dis, mais évidemment qu'il y a des coureurs que je vais désigner pour plus travailler pour d'autres. En revanche, ce sont des rôles qui pourront être interchangeables selon les circonstances de course. Mais moi, j'ai envie qu'on essaye quand même quelque chose, et oui, quand on veut essayer quelque chose et ne pas attendre de subir, il faut des rôles bien désignés. Et ça, je me casse la tête toute l'année pour arriver dans ce "money time", cette dernière ligne droite où j'ai une idée précise de ce qu'on va essayer de faire, à quel moment de la course, ça peut d'ailleurs être des moments avec un S. Et il est arrivé que ça se passe comme je l'avais imaginé, mais c'est aussi et surtout arrivé que ça se passe complètement différemment. Et là, il faut s'adapter, et c'est pas évident.

Ce qui s’est passé sur La Vuelta (perturbée par des manifestations pro-palestiniennes, NDLR), ça vous inquiète?

Ouais, ça me fait réfléchir, ça m'inquiète, et il faut surtout que ça nous alerte, c'est surtout ça. Alors moi, je ne suis pas donneur de leçons et encore moins de solutions, ce n'est pas mon travail. Mais il y a une question: est-ce qu'il y a eu suffisamment de moyens mis en place pour essayer de la sécuriser? Est-ce que si l'équipe Israel Premier Tech s'était retirée, ça n'aurait pas été donner raison aux manifestants? Moi, je suis complètement neutre sur la cause ou quoi, parce que dans ces cas-là, je ne sais pas, ceux qui sont contre les grosses entreprises pétrolières, elles vont réclamer le retrait de TotalEnergies et INEOS, les associations qui ont toutes des bonnes idées nobles, pour le droit du travail des êtres humains par exemple, il y a sans doute des équipes qui pourraient aussi être pointées du doigt. Donc ça aurait créé un précédent, je pense, et je crois qu'il faut être attentif à préserver la neutralité du sport cycliste. Ca ne veut pas dire que chacun ne peut pas avoir ses convictions, et heureusement. Mais le sport doit rester justement cette bouffée d'oxygène, ça doit rester neutre, on est là pour procurer des émotions et du plaisir aux gens. C'est ça, en fait, le sport: c'est la bouffée d'oxygène dans ce monde où il y a tellement de conflits. Et tout ça, ça doit nous mettre en alerte pour prendre des dispositions.

Pensez-vous que le Grand Départ du Tour 2026, prévu à Barcelone, soit menacé?

Un point qui est extrêmement important, c'est que le gouvernement espagnol a exprimé son soutien aux manifestants par la voix du Premier ministre. Et pour organiser un tel événement, on a besoin de l'État, des forces de l'État, que ce soit la police, la gendarmerie, la préfecture, au même titre que les partenaires privés, publics. On ne peut pas organiser de course de cette ampleur sans l'État. Donc la question se pose, parce que c'est tellement dur à organiser et qu'on ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque. J'ignore totalement quels sont les plans d'ASO, mais c'est vrai que ce n'est pas un organisateur réputé pour organiser une course avec ne serait-ce que le moindre pourcent d'incertitude.

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