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"La France n'a aucun coureur de 18 à 24 ans pour remporter le Tour", alerte Guimard

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Pour Cyrille Guimard, membre de la Dream Team RMC Sport, la France ne compte aucun jeune coureur entre 18 et 24 ans susceptible de remporter le Tour de France à l'avenir. Il dresse un constat alarmant sur le système de formation "archaïque" de la Fédération française de cyclisme.

Cyrille Guimard, comment expliquez-vous l’absence de coureurs français pouvant prétendre au Top 10 en cas de chute ou abandon des tauliers comme Bardet ou Pinot?

Quand nos trois meilleurs coureurs sur les courses à étapes, Alaphilippe, Pinot et Bardet, ne sont plus dans le coup, on a l’impression d’être dans un désert. On a difficilement de la relève même si on pouvait attendre David Gaudu ou Valentin Madouas, qui n’est pas fait pour faire un top 10 dans le Tour. On n’a pas aujourd'hui de coureurs capables de courir pour gagner le Tour en dehors des trois cités qui ont des capacités pour jouer le podium ou faire un top 5. Pour assurer la victoire il faut un certain nombre de circonstances plutôt favorables. Depuis Laurent Fignon et Bernard Hinault, on n’a plus de coureur avec un potentiel avéré de vainqueur du Tour. 

Cela signifie-t-il que les coureurs ne sont pas formés pour gagner un grand Tour?

Pour gagner le grand Tour, il faut avoir un potentiel dès la naissance. On ne trouve pas ça sous le pied d’un cheval. Si vous avez des qualités techniques, physiologiques, encore faut-il depuis très jeune avoir une formation qui va permettre de les développer.

Jugez-vous la formation insuffisante en France ?

Je ne vais pas parler que du cyclisme. Je pars sur des faits. Dans le cyclisme, vous avez aujourd’hui des coureurs de 18, 19 ou 20 ans qui arrivent au niveau du World Tour et nous n’avons pas de Français, c’est un fait et un constat. Dans d’autres disciplines sportives comme le foot, des joueurs de 18 ans sont déjà en équipe de France. Dans pratiquement toutes les équipes de Ligue 1, il y a un ou deux joueurs de moins de 20 ans titulaires. Si le cyclisme n’arrive pas à avoir la même courbe d’âge pour arriver au haut niveau, ça veut dire qu’on n’a pas mis en place les moyens pour développer les qualités génétiques des cyclistes comme c’est le cas dans les autres disciplines et dans les autres pays de cyclisme.

Que manque-t-il concrètement dans la formation française?

On ne vas pas combler ce manque en huit jours, ni en deux ans. C’est un travail qui demande beaucoup plus de temps. Dans un premier temps, il faut revoir toute la philosophie et les méthodes utilisées dans les écoles de cyclisme jusqu’au niveau professionnel. Ceux qui préparent les coureurs pour arriver au niveau professionnel, ce ne sont pas les équipes pros mais au niveau des classes jeunes, c’est-à-dire des cadres techniques fédéraux.

Vous pointez donc du doigt la politique de la Fédération?

Ce sont pas Marc Madiot (manager de Groupama-FDJ), ni Vincent Lavenu (AG2R-La Mondiale) qui s’occupent des écoles de cyclisme. Ils ne s'occupent pas des cadets ou des juniors. Un, il faut revoir le contenu. Deux, c'est tout un système qu’il faut remettre en cause, qu’il faut bâtir. Notre système est complètement archaïque et dépassé. On fonctionne comme il y a 50 ans, ça ne peut pas le faire. Les choses, les mentalités et les individus ont évolué. On n’a pas la même maturité physique aujourd'hui à 15 ans qu’il y a 50 ans mais on fait toujours les mêmes choses.

Quel est le principal reproche que vous formulez?

Il y en a un, c’est la capacité à se remettre en cause et à remettre en cause le système. Si vous ne repartez pas avec des gens compétents pour analyser la situation et partir d’une feuille blanche... Si c’est pour remettre des sparadraps, ça ne sert à rien. Il faut faire un état des lieux, aller voir ce qu’il se passe ailleurs, regarder pourquoi ça marche ailleurs et ce qu’on peut faire par rapport à ça.

Alors, qu'est-ce qui fonctionne en Belgique, par exemple, que la France n'a pas?

Il faut aller voir. Je n’ai pas à dire ce qu’il faut faire, je ne détiens pas la vérité mais il faut aller voir. Je fais un constat. Quand on fait un constat, il faut essayer de comprendre, se mettre autour d’une table et voir comment on faut. Il n’y a pas qu’un seul paramètre.

Quel coureur français représente l’avenir?

Aujourd'hui, sur les plus de 18 ans, je ne connais pas de coureur qui ont le potentiel de ceux qui sont dans les World Tour. Vous voyez le fossé? Nous avons des coureurs de 18, 19 ans qui sont des bons petits coureurs sauf qu’à l'étranger au même âge, on est déjà en World Tour ou dans des équipes de deuxième division. Pour creuser le fossé, il faut du temps. Si je regarde parmi les potentiels coureurs, il y a un coureur qui a 16 ans. Si on le fait bien travailler, ce sera peut-être une chance mais pour l’instant, il a 16 ans.

De qui s’agit-il?

Ce n’est pas la peine de lui donner la grosse tête.

Vous avez évoqué aussi le manque de résultats dans d'autres disciplines comme le cyclo-cross...

En cyclo-cross, on a personne. Essayez de trouver quelqu’un qui va être dans les dix premiers des championnats du monde de cyclo-cross. On a une fille, Marion Norbert-Riberolle mais elle vit en Belgique, elle est dans les clubs belges et fonctionne comme les Belges. Elle est championne du monde. En France, on n’a que ça.

L’absence en cyclo-cross est-elle aussi une des clés de l’échec de la formation?

Il y a tout. La fédération dit: 'le cyclo-cross, ce n’est pas notre problème, c'est la piste'. La plupart des coureurs qui arrivent au plus niveau sont passés par le VTT, le BMX ou le cyclo-cross. Mais chez nous, ce n’est pas important. A ce niveau là, c’est trop compliqué à expliquer ou alors je vous fais une conférence de 4h. il y a un constat: on a personne entre 18 et 24 ans dont on peut dire qu’ils vont jouer les podiums et les victoires sur le Tour de France, les Paris-Roubaix, les Liège-Bastogne-Liège. Peut-être ce coureur de 16 ans qui a peut-être un vrai potentiel. Si on développe bien ses qualités, peut-être que...

Pinot et Bardet ont aussi été formés en France et ils réussissent pourtant…

Pour l’instant, ils n’ont pas gagné le Tour de France, ni le championnat du monde, ni Liège-Bastogne-Liège. Pinot a gagné le Tour de Lombardie (en 2018). Je ne veux pas faire le procès de Bardet, Pinot ou Alaphilippe même si lui est parti très tôt à l’étranger. Il y a tellement de paramètres que ce n’est pas Guimard qui va résoudre les problèmes. 

Quand vous étiez sélectionneur en 2017 et 2018, aviez-vous amené le sujet sur la table?

Oui, y compris par écrit.

Et ça ne s’état pas traduit par des changements?

Je ne suis plus à la tête de l’équipe de France.

Nicolas Couet