"Sinner devait être sanctionné": l'Agence mondiale antidopage reconnaît une erreur initiale sur le jugement du numéro 1 mondial

Beaucoup n'ont pas compris. Sanction trop légère, dissimulation... le cas Jannik Sinner affole le circuit de tennis et le sport mondial depuis des mois et la révélation de deux contrôles positifs de l'Italien au clostébol l'an dernier. S'il avait été initialement blanchi par l'Agence pour l'intégrité du tennis (Itia), l'Agence mondiale antidopage (AMA) a finalement sanctionné le numéro 1 mondial de tennis en lui infligeant une suspension de trois mois. Sanction que certains, à l'instar de Serena Williams, jugent trop clémente.
Invité de l'émission Les Grandes Gueules du Sport sur RMC, Olivier Rabin, directeur science et médecine de l'Agence mondiale antidopage (AMA), a expliqué en détail le cas Sinner et les étapes suivies pour aboutir à la sanction.
"Chaque cas doit être jugé au regard des faits qui existent et le rôle de l'Agence mondiale antidopage est de s'assurer que les règles du code mondial antidopage et des standards internationaux soient appliqués", précise-t-il en préambule. "Ce qui a été le cas dans cette situation pour cet athlète. La situation à laquelle il a fait face, avec une réduction de la sanction normative, est une chose qui a été appliquée précédement dans plusieurs dizaines de cas et correspond à une disposition du code mondial antidopage lorsque la sanction est jugée inappropriée, trop stricte au regard des faits. Je pense que le cas de cet athlète montre que le système fonctionne puisque le cas a été révisé de près par deux instances qui sont peut-être arrivées avec des conclusions différentes mais le rôle de l'AMA est de s'assurer que les règles du code mondial antidopage sont appliquées. C'est la raison de notre appel même si, au final, la sanction a été ajustée au regard du mérite et des faits du cas spécifique de cet athlète."
"C'est un fait avéré"
L'AMA assume son rôle de contrôle: les instances sportives des fédérations ou les agences nationales de lutte contre le dopage ont d'abord la main pour juger les cas qui se présentent et infliger une éventuelle sanction. L'AMA a elle le droit de se porter en appel et de corriger la décision initiale si elle juge qu'il y a matière à le faire. C'est ce qu'il s'est passé dans l'affaire Jannik Sinner.
"Sur la base des analyses qui ont été menées, cet athlète a été exposé à une substance interdite. C'est un fait avéré", raconnaît le membre de l'AMA. "La révision du cas, que ce soit sur un angle scientifique et médical - ce qui relève de ma responsabilité à l'AMA - ou sur un angle purement juridique est arrivé à la conclusion que l'athlète devait être sanctionné sous les règles du code mondial antidopage. Ce qui a été le cas. Maintenant la sanction a été ajustée au regard des informations scientifiques et médicales qui étaient disponibles. Et qui ont eu tendance à accréditer le fait qu'il était exposé au clostébol de façon claire par une action de son entourage."
"L'ITIA n'avait prononcé aucune sanction, ce qui n'était pas en ligne avec les règles du code. C'est la raison pour laquelle l'AMA a fait appel"
Olivier Rabin précise: "Les jugements que l'AMA émet sont basés non pas sur les émotions mais sur les faits et l'application du code au regard des faits. Dans un premier temps, l'ITIA n'avait prononcé aucune sanction, ce qui n'était pas en ligne avec les règles du code. C'est la raison pour laquelle l'AMA a fait appel de ce cas. Une fois que les éléments ont été avérés, discutés, échangés, il y a une provision du code mondial antidopage qui indique que lorsque la sanction est jugée trop stricte, il y a possibilité de réduire la sanction. Il n'y a pas eu de troc avec l'athlète lui-même, l'AMA applique les règles de façon stricte. Il y a eu à peu près 70 cas où cet article du code mondial antidopage a été appliqué. Donc le cas Sinner n'est pas un cas particulier, c'est un cas avec lequel un certain nombre de règles s'appliquent une fois que les faits sont échangés."
La directeur science et médecine de l'Agence mondiale antidopage ajoute, à propos des arguments de Jannik Sinner sur la contamination accidentelle par le biais d'un tiers: "Ce n'est pas un changement de politique, c'est la façon dont différentes instances peuvent interpréter le code mondial antidopage. Le choix de l'ITIA a été de déclarer qu'il n'y avait pas de faute de l'athlète. Or le code - on peut peut-être nous reprocher d'être trop stricts à ce sujet - dit clairement qu'à partir du moment où une substance est retrouvée chez un athlète et qu'il y a négligence, même de l'entourage, on ne peut pas invoquer un cas de "no fault". D'autant que c'est l'entraîneur fitness qui avait fourni la substance. Il y a tout un contexte que l'on doit prendre en compte. C'est la raison pour laquelle il y a sanction mais qu'elle a été réduite au regard des faits qui ont été avérés et reconnus, à la fois du côté de l'athlète et dans toutes les informations qu'on a pu regarder de près ans ce cas particulier."
L'Agence mondiale antidopage vient finalement assurer une cohérence de traitement entre les différentes fédérations internationales, comme le précise Olivier Rabin: "L'AMA a un rôle de colliger les attentes de différents acteurs des instances sportives ou de l'autorité publique afin d'édicter dès règles qui s'appliquent à tous. Il y a, dans tous les systèmes juridiques, une première instance. Et la première instance ne relève pas de l'AMA mais des fédérations sportives ou des agences nationales antidopage. Cela existe également en France avec l'AFLD qui a possibilité de jugement en première instance. Même chose avec les fédérations internationales, et la fédération internationale de tennis n'y échappe pas. Le rôle de l'AMA est un peu différent. On a un droit d'appel, de façon à nous assurer que les règles du code mondial antidopage et les standards internationaux soient correctement appliquées. Il est tout à fait normal qu'un athlète dans le tennis soit jugé en première instance par les autorités de son sport, ça a été le cas avec l'ITIA. Ensuite si la décision est considérée non conforme au code mondial antidopage, le droit d'appel de l'AMA peut être exercé, c'est ce qu'on a fait dans ce cas. Et cela se passe pour des dizaines de cas chaque année, il n'y a pas de traitement de faveur."
"Je ne veux pas connaître la nationalité de l'athlète ni son nom. Je regarde les faits scientifiques"
Y a-t-il un deux poids deux mesures qui bénéficie aux grands noms du sport qui ont pour eux la renommée, l'impact médiatique et les moyens financiers? "C'est faux", assure Olivier Rabin. "D'abord parce que le code mondial antidopage s'applique à tout le monde et ça a été la volonté, il y a 25 ans maintenant d'avoir un code uniforme qui s'applique dans tous les sports et tous les pays. Cela a quand même été la grande avancée, sous le mandat de l'AMA, d'avoir un code qui s'applique à tout le monde. Moi je vois quand je révise des cas, et je le fais régulièrement: je ne veux pas connaître la nationalité de l'athlète ni son nom. Je regarde les faits scientifiques. Parce que lorsqu'on doit juger un cas et qu'ensuite ce cas peut être l'objet d'un appel devant le tribunal arbitral du sport, ce sont les faits scientifiques qui doivent parler."
Le représentant de l'AMA reconnaît en revanche un possible avantage dans la préparation de sa défense (via notamment des contre-expertises) pour ceux qui ont des moyens financiers supérieurs: "Des athlètes ont des moyens financiers différents, et certains peuvent s'offrir les services d'avocats et de scientifiques pour avoir un regard beaucoup plus pointu sur leur cas et peut-être avoir des explications ou un angle de défense que n'auraient pas forcément un athlète moins bien financé et ayant moins la capacité d'avoir accès à ce type d'analyses. Là il peut effectivement y avoir une différence. Et encore aujourd'hui, il peut y avoir des fédérations internationales qui permettent de mettre des dispositions pour les aider dans une démarche antidopage. L'AMA a même créé un médiateur, de façon à ce que des athlètes, y compris ceux qui n'ont que très peu de moyens financiers, puissent se tourner vers lui et bénéficier d'informations et conseils de premier ordre. Le procès, un peu facile à mon avis vu de l'extérieur, ne se vérifie pas. Maintenant dans les moyens mis à disposition des athlètes pour se défendre, il peut y avoir une certaine disparité."