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Philippe Auclair : "Angleterre, l’imagination enfin au pouvoir ?"

Dele Alli, le milieu de terrain de l'Angleterre

Dele Alli, le milieu de terrain de l'Angleterre - AFP

Philippe Auclair, notre correspondant en Angleterre pour l’After et SFR Sport, analyse l’évolution et les nouveaux contours de l’équipe nationale. Des Three Lions, plus jeunes, qui sont prometteurs.

Ce n’est pas toujours dans les événements les plus fracassants que l’on doit lire les signes d’une transformation. Ils sont le plus souvent l’aboutissement d’un processus, pas ce qui l’a déclenché. Prenez le cas de l’équipe d’Angleterre, championne du monde en 1966. La presse britannique avait alors été presque unanime à saluer le début d’une nouvelle ère de domination de la nation où était né le football, d’une sorte de retour à la normale après une longue traversée du désert. Elle se trompait. Elle se trompait tant que, quatre années plus tard, la sélection anglaise allait entrer dans l’une des décennies les plus noires de son histoire, ne parvenant à se qualifier pour aucune des quatre grandes compétitions auxquelles elle avait été conviée à participer.

Mais, prise dans le souvenir de Wembley et les images d’un Mondial de 1970 où elle joua de malchance, l’Angleterre, au lieu de se demander pourquoi les lendemains chantaient faux, se replia sur elle-même, laissant à ses clubs le soin de faire flotter le drapeau de St George sur l’Europe – des clubs qui, bien souvent, ne se reposaient pas beaucoup moins sur des joueurs "étrangers", Écossais, Irlandais et Gallois, en l’occurrence, que ne le firent Manchester United et Chelsea lorsqu’ils s’affrontèrent en finale de la Ligue des champions de 2008.

Le mythe d’une Angleterre à laquelle il ne manquait qu’un petit coup de pouce du destin pour retrouver sa place "naturelle" dans le concert des nations n’était pas de ceux dont un pays obsédé par son passé glorieux pouvait se défaire facilement. En 2010, lorsque l’équipe de Fabio Capello s’envola pour l’Afrique du Sud, on s’imaginait encore qu’elle pourrait renouer avec lui. On déchanta vite, comme on avait déchanté auparavant. L’espoir a la vie chevillée au corps. Coupez les orties, elles repousseront, encore plus robustes. Les déraciner est la seule façon de s’en débarrasser pour de bon.

C’est chose faite aujourd’hui. L’Angleterre ne se voit plus en haut de l’affiche. Elle serait même plutôt tombée dans l’excès inverse. Je lus, juste avant la victoire 2-0 sur la Lituanie, la prose d’un collègue qui, égrenant les noms des joueurs alignés par Gareth Southgate, déclara qu’il s’agissait là du "pire groupe de joueurs" à porter le maillot des Three Lions dont il se souvînt.

Mon avis est tout autre. Ce groupe que j’ai vu face à l’Allemagne et aux modestes Lettons m’inspire confiance et dans son avenir, et dans celui de Southgate à la tête de la sélection. Ce n’est certes pas l’Angleterre qui nous est familière, prise dans le corset du 4-4-2 ancestral, solide, batailleuse – celle qui sortit aux tirs au but face à l’Italie lors de l’Euro 2012, par exemple, qui avait du courage à revendre, mais beaucoup moins de talent que celle qui séduisit – eh oui – en Allemagne et à Wembley.

Il n’y avait rien de fracassant là-dedans. Une défaite imméritée, mais une défaite tout de même, face à l’équipe B des champions du monde, et une victoire à domicile contre une sélection qui ne figure même pas dans le Top 100 de la FIFA ne constituent pas le genre de bilan qui font naître les espérances les plus folles.

Une transformation est cependant en train de s’accomplir sous nos yeux, dont les racines avaient pris lorsque Roy Hodgson était encore à la tête de l’équipe nationale. Je me souviens d’une première mi-temps étonnante contre l’Italie au Mondial de 2014, et d’une bien belle victoire 3-2 en Allemagne, dont Hodgson ne sut pas tirer les enseignements, à commencer par celui-ci : contrairement à ce que prévoyaient les Cassandres, une nouvelle génération de joueurs anglais est apparue, quand on pensait que l’obsession de la plupart des clubs de Premier League pour les footballeurs venus d’ailleurs allait l’étouffer. Et c’est à cette génération, pas aux survivants de la Golden Generation qu’il aurait fallu faire confiance.

Le problème, si c’en est un, est que les joueurs de cette nouvelle génération ne correspondent pas au portrait-robot du "joueur anglais" que nous avons hérité de…de 1966, en fait. Ils sont plus rapides, plus malins, plus fins, plus disciplinés et peut-être moins robustes que leurs prédécesseurs – leur dynamisme faisant plus que compenser cela. Ils sont très jeunes, aussi. Jermain Defoe ne fait que chauffer la place de Harry Kane, 23 ans. Kyle Walker a 26 ans, John Stones, 22, Michael Keane, 24. Dier, 23, Sterling, 22, Oxlade-Chamberlain, 23, Barkley, 23, Dele Alli, 20, Rashford…19. Et Pickford, 23, Rose, Henderson, Welbeck, tous trois 26 ans. Une nette majorité d’entre eux jouent pour des clubs du Top 4 ou du Top 6. Et y sont titulaires. Il ont pour sélectionneur un homme qui a mis fin à sa carrière de défenseur il y a onze ans seulement, qui a joué une finale de la Coupe de l’UEFA et une demie de l’Euro, et qui, à la tête des Espoirs anglais (dont beaucoup ont intégré l’équipe A depuis), a enregistré vingt-sept victoires en trente-trois matchs. Suite aux résultats en Slovénie et en Slovaquie – où elle a pris quatre points sur six face à ses deux adversaires les plus sérieux – cette jeune équipe anglaise a déjà quasiment assuré son passage pour la Russie, sans avoir encaissé le moindre but en cinq rencontres.

Pour Southgate, l’un des aspects les plus satisfaisants de cette semaine internationale aura été l’aise avec laquelle ses jeunes troupes ont alterné entre le 3-4-3 mis à la mode par Antonio Conte et Mauricio Pochettino en Premier League et un 4-1-4-1 d’apparence plus traditionnel, mais dans lequel les attaquants de soutien n’ont cessé de permuter. Oubliée, cette rigidité tactique si souvent reprochée (avec raison) à l’Angleterre depuis des lustres. Battu en brèche, ce poncif selon lequel les joueurs anglais seraient incapables de s’adapter à des changements de système. Aurait-on oublié que la plupart d’entre eux sont désormais à l’école de Guardiola, Klopp, Conte, Koeman et Pochettino ? Et sont plutôt de bons élèves. La nouvelle Angleterre pourrait se bâtir sur des fondations moins prometteuses que celles-là.

Philippe Auclair