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Drame du Heysel : Il était au stade, il raconte

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Avant la diffusion du documentaire sur le drame du Heysel, ce jeudi sur RMC Découverte (20h45) dans le cadre de la série « Les grands drames du sport », l’ancien judoka Fabien Canu se souvient de cette catastrophe, lui qui était présent au stade.

Fabien Canu, que faisiez-vous au Heysel, ce 29 mai 1985 ?

Je me suis retrouvé dans ce stade un peu par hasard. Nous étions au repos avec l’équipe de France et puis le midi nous déjeunons avec trois athlètes de l’équipe et le kiné et l’un dit : "J’ai des places pour le Heysel". Une finale de Coupe d’Europe, ça ne se rate pas et comme on n’avait pas entraînement, on a pris la voiture et on s’est retrouvé au Heysel. Le stade était très, très désuet. Il fallait voir l’état du stade ! J’étais dans une tribune latérale, pas dans le virage en question. Et on a vu cet horrible spectacle.

Aviez-vous une mauvaise impression en arrivant au stade ?

La première mauvaise impression, c’est en arrivant aux portes du stade parce qu’on a été très, très mal fouillé. Je me souviens d’un tas de bouteilles et de barres de fer qui avaient été prises à des supporters mais j’étais sûr, comme mes collègues, qu’il y en avait autant dedans. C’était du grand n’importe quoi en termes d’organisation. A19h30, on rentre dans le stade et c’est là où c’était le summum de l’agitation entre les deux camps : les hooligans anglais et les supporters belges d’origine italienne. Ils ont été compressés et après le mur a lâché. A ce moment-là, dans la demi-heure qui a suivi, on a voulu quitter le stade. Mais on n’a pas pu, les portes étaient fermées. Les portes avaient été bouclées et du coup on est resté à attendre. C’était une souricière.

Sur le moment, vous êtes-vous rendu compte de la gravité de la situation ?

On n’avait évidemment pas de téléphone portable, aucune information. On se doutait qu’il y allait avoir quelques morts, on voyait des gens allongés. A un moment donné, il y a eu une information qui nous est parvenue disant qu’il y avait plus de trente morts mais on ne l’a pas cru. On s’est dit que ce n’était pas possible, on ne réalise pas. Et puis par la suite c’était la grande peur. J’avais l’impression que l’homme était redevenu un animal : les deux clans commençaient à s’opposer. Et l’instant de peur, c’est à 21h30 quand la décision de jouer ou pas a été annoncée. Si jamais ils avaient annoncé que le match n’aurait pas lieu, ça aurait été une boucherie. Je m’étais préparé et j’avais vu un poteau à escalader car si jamais ils avaient annoncé qu’il n’y avait pas de match, il fallait vite grimper sur les toits et partir.

« C'est la fin du monde, on y est ! »

Et le match a quand même eu lieu...

Oui. Mais pour vous dire l’état de folie des gens : Michel Platini marque un penalty et fait gagner la Juve, on s’en va avant la fin du match et à la sortie on tombe sur des Anglais et on se fait insulter par ces supporters, pas des hooligans, parce que Platini avait marqué ce but. L’atmosphère était vraiment particulière, délétère. En rentrant en France vers 2h du matin, en voyant les images à la télévision, c’est là où j’ai pris peur. Je me suis rendu compte après-coup de ce qu’on avait pu vivre.

Quelle était l'ambiance pendant le match ?

Il n’y avait pas d’ambiance, il n’y en avait plus. C’était horrible. Mais il fallait jouer sinon c’était la boucherie. Les Italiens auraient quitté leur tribune dans l’autre virage. Les gens étaient devenus fous. Les morts ont été évacués, cachés. Tout le monde était en état de choc. On regardait le match sans le regarder et on est parti avant la fin. Ça m’a marqué parce qu’après je suis parti en stage au Japon et j’en ai fait des cauchemars pendant des mois et des mois. J’ai même été plusieurs années à ne pas vouloir en parler. C’était une drôle d’ambiance. Je me suis dit : "C’est la fin du monde, on y est !" »

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