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"Nous devons être en Ligue 1": très rare dans les médias, le dirigeant Huss Fahmy en dit plus sur le projet de Saint-Etienne après un début de saison réussi

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Bras droit du président du club Ivan Gazidis, Huss Fahmy détaille auprès de RMC Sport la deuxième phase de construction de l’ASSE en mode "Kilmer Sports", après des premiers mois d’observation et d’actions dans le secret des bureaux à l’Etrat. Après ses études dans le domaine juridique mais également de la science du sport, Huss Fahmy franchira d’abord les portes d’un cabinet d'avocats avant de s’occuper des affaires juridiques et commerciales pour le groupe "Sky Sports", où il sera à l’œuvre notamment dans l'acquisition de différents droits sportifs. En 2014, il sera au juridique puis aux affaires commerciales de l’équipe cycliste Ineos Grenadiers où Ivan Gazidis, le débauche pour l’accompagner à Arsenal. Jusqu’en 2021, il est le directeur des opérations football chez les Gunners. Depuis la prise de pouvoir de Kilmer Sports, société détenue par l’homme d’affaire canadien Larry Tannenbaum, il incarne au quotidien la politique du nouvel actionnaire des Verts. Très rare dans les médias, il a accepté de répondre aux questions de RMC Sport.

Comment jugez-vous ce début de saison et la deuxième place actuelle en Ligue 2?

Nous avons effectué beaucoup de changements au cours de l’été, sur et en dehors du terrain : dans le staff, l’effectif, les services marketing et commerciaux. C’est une nouvelle dynamique et le travail porte déjà ses fruits. Je ressens à tous les niveaux une vraie ambition, individuelle et collective, et c’est ce qui m’ enthousiasme le plus. Nous avons bien démarré, mais ce n’est qu’une base sur laquelle construire avec l’envie de progresser chaque jour. C’est là l’essentiel.

L’impression domine que vous avez plus "subi" la descente en Ligue 2, car c’était peut-être plus facile de reconstruire votre projet depuis cet étage du football français? Beaucoup de supporters regrettent par exemple que le mercato ambitieux fait en juin 2025 n'ait pas été fait en janvier…

Nous ne voulions surtout pas aller en Ligue 2. Bien sûr, nous voulons toujours aller vite en faisant bien, sans confondre, comme on dit “Vitesse et précipitation”, ce qui est un exercice délicat. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les changements aperçus à l’été 2025 prennent réellement racines sur le travail, bien lance en amont : ces réflexions, ces discussions, ces décisions, tout cela prend du temps et il y a toujours un décalage entre, ce qui est fait en coulisses et les realisations concrètes que tout le monde peut voir. Sur le côté sportif, nous avions une vraie confiance dans certains joueurs arrivés plus tôt dans le projet, qui ont mis du temps à pleinement d’exprimer comme Lucas Stassin, Zuriko Davitashvili ou Augustine Boakye. Nous savions qu’avec un nouvel entraîneur, nommé en Janvier 25 et un style de jeu différent, ils pourraient performer. Il fallait leur donner du temps et cela paie : ils montrent désormais leur valeur. Être relégué a été une grande déception, bien sûr, mais cela ne change rien à notre feuille de route, qui vise à faire de Saint-Etienne, une force durable du football français et nous l’espérons, européen, ce qui est la place naturelle du club selon nous.

Qu’avez-vous appris de ces 15 mois à Saint-Étienne, avec une phase d’observation, difficillement “lisible” de l’extérieur d’autant que l’équipe première s’enlisait dans un maintien plus que difficile. Cette saison a fait varier votre projet initial?

On apprend en permanence. Nous (ndlr. Huss Fahmy, Ivan Gazidis, Jaeson Rosenfeld qui dirigent Kilmer Sports) sommes dans le football depuis longtemps. Nous avons tous occupé des postes en Premier League, en Serie A, à l’ECA, à l’UEFA… et dans d’autres clubs, que ce soit Arsenal ou l’AC Milan. Et nous arrivions à Saint-Etienne après avoir longuement étudié le club et le championnat. Mais quand on entre dans une organisation, tout devient plus précis, plus concret, plus nuancé. Nous avons voulu comprendre ce qui fonctionnait bien ce qui devait être poursuivi, et ce qui devait évoluer. Il a donc fallu prendre le temps, construire des relations avec les autres présidents, la Ligue, l’écosystème local et national.Nous avons toujours la volonté de ne pas simplement dupliquer ce que nous avons pu faire ailleurs. Chaque jour à Saint-Étienne, nous adaptons notre réflexion, nous affinons nos approches, nous ajustons notre feuille de route. Nous voulons mettre toute notre expérience, toutes nos ressources au service d’un seul objectif : faire de Saint-Étienne le meilleur club possible. Nous ne voulons pas que Saint-Étienne devienne Arsenal, ni Milan. Nous voulons que Saint-Étienne soit à nouveau un grand club français, fort, respecté et fier.

Désormais, et fort de ce bon début de championnat et des moyens de votre actionnaire, beaucoup vous voient comme le PSG de la Ligue 2, aux finances illimitées?

Non, je ne suis pas d’accord. La Ligue 2 est un championnat relevé et dense, avec de bons clubs, de bons joueurs, de bons staffs. Nous devons aborder ce défi avec humilité tout en gardant notre ambition et notre vision à long terme. Mais Paris Saint-Germain ou d’autres ont bâti leur réputation en gagnant. Nous n’avons encore rien gagné. Il faut donc poursuivre le processus de construction, ne pas brûler les étapes. J’aimerais qu’un jour, nous méritions cette comparaison, mais il faut d’abord prouver. Nous devons d’abord démontrer que nous avons les bonnes personnes et les bonnes infrastructures pour réussir.

Rester en Ligue 2 cette année serait-il un échec?

Pour être honnête, oui. Saint-Étienne est un club historique, reconnu partout: en France, en Angleterre, en Espagne, au Japon, au Canada. Les maillots verts sont partout. Le stade et son ambiance sont uniques, vraiment uniques. Avec un tel héritage, une telle ferveur, nous devons être en Ligue 1. C’est une responsabilité envers nous-mêmes, mais aussi et surtout envers les supporters et la ville. Mais en même temps, nous devons rester humbles : aujourd’hui, nous sommes en Ligue 2, avec des adversaires de qualité. Nous devons respecter cela, tout en ayant pour objectif clair de remonter.

Pour vous donner les moyens, votre actionnaire a procédé à une large augmentation de capital, opérée en deux temps cette année 2025 . C’est la clef de cet avenir durable dans l’élite?

Nous avons investi consciemment à St Etienne, un grand club, qui occupe une place particulière dans le paysage sportif français, et même européen. Nous savons aussi qu’il s’appuie sur des supporters uniques, au-delà même des frontières françaises. Notre mission est de reconstruire pas à pas ce club, ce qui réprésente un engagement à long terme. Et nous le faisons en apportant le même soin à chaque élément, sur et en dehors du terrain, pour que Saint-Etienne atteigne à nouveau tout son potential.

Quand vous décidez de ne pas vendre Lucas Stassin, est-ce aussi une manière de montrer que vous avez les moyens de vos ambitions?

Non, il ne s’agissait pas d’envoyer un message. Cette période estivale nous a permis de renforcer le staff et l’effectif avec des profils exceptionnels. Notre réussite dépendra de ce collectif. Nous plaçons notre confiance dans des joueurs ambitieux, car nous le sommes aussi. Lucas Stassin, Zuriko Davitashvili, Agustin Boakye, Ben Old, Chico Lamba, Mahmoud Jaber, Ebenezer Anan… Tous ont en commun cette ambition individuelle et collective. Et peut-être que le moment viendra où, ils auront d’autres projets excitants, ou qu’il sera le moment de se séparer. Mais aujourd’hui, nous construisons ensemble et voulons faire avancer le club, en gardant une certaine stabilité, essentielle pour revenir en Ligue 1. Nous sommes très fiers des joueurs et du staff, qui travaillent dur chaque jour.

La crise des droits TV en France vous inquiète-t-elle?

C’est évidemment un vrai défi pour le football français. Un Saint-Étienne fort doit s’inscrire dans une Ligue 1 forte. J’ai moi-même travaillé huit ans chez Sky à négocier des droits TV, donc je sais combien cet univers est complexe et évolue rapidement. C’est une période difficile mais aussi une opportunité : celle de faire évoluer le football français vers un modèle plus moderne, plus attractif. Cela prendra du temps, mais nous croyons que la Ligue 1 retrouvera sa place. Nous faisons confiance aux acteurs en charge de ce dossier. Et comme notre projet s’inscrit sur le long terme, nous restons sereins: cette crise n’affecte pas nos ambitions.

Votre actionnaire solide est-il une arme supplémentaire pour remonter rapidement?

Cela nous donne surtout les moyens de construire, même si les moyens seuls ne suffisent pas. Il a pu arriver dans certains clubs que de l’argent soit mal dépensé (rires). Nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir développer le club dans toutes ses dimensions.

L’objectif à cinq ans, c’est d’être dans le top 5 de la Ligue 1?

Je ne veux pas donner d’horizon trop précis : cinq ans, six ans, peu importe. L’objectif, c’est la montée, puis la stabilisation et la progression. Nous voulons redevenir un club qui compte, de plus en plus fort dans le football français. C’est notre ambition, quelle que soit la durée nécessaire.

Vous avez recruté beaucoup d’experts dans les services supports. Pourquoi miser autant sur cet “invisible”?

Parce que tout le monde compte, du coach à la personne qui lave les maillots. Il faut une culture du progrès, de la curiosité, de l’ambition. Chaque 1 % compte. Pour réussir, chacun doit être aligné, à tous les niveaux. Si les joueurs donnent tout, le staff aussi doit pousser, être ambitieux et tout donner, et inversement. C’est cet équilibre et cette emulation au sein du club qui créent la performance. Nous avons pris le temps d’observer, et nous commençons à ajuster. Cela prendra du temps, mais peu à peu tout fonctionnera à plein régime.

Concrètement, avant des travaux d’envergure à l’été 2026, qu’avez-vous déjà fait comme changements dans les locaux des professionnels, fort de vos constatations et de la longue période d’observation?

L’une de nos premières interrogations, fut ce regard très souvent tourné vers le passé : il y a beaucoup de photos d’hier, des aventures européennes, des victoires. Il faut s’en inspirer c’est certain. Mais nous n’avons pas vu le future dans tout cela. Et nous nous sommes dits : “nous devons trouver l’équilibre entre ce passé et ce futur”. Cela nous a marqué aussi, quand nous avons découvert des installations de qualité, mais trop cloisonnées. Nous avons ouvert les espaces, fait tomber des murs et mis du verre partout pour que tout le monde se voie et se parle. Nous voulons créer de la connexion. Les entraîneurs, analystes, kinés, étaient dans trois salles différentes. Désormais, tout le monde partage un grand espace commun. Cela change l’énergie. La deuxième étape portera sur les infrastructures physiques: salle de musculation, espaces de rééducation, lien entre la formation et les pros. Nous voulons un lieu qui inspire l’avenir, pas seulement la nostalgie du passé. L’histoire du club est magnifique, mais notre devoir, c’est d’écrire le prochain chapitre.

Propos recueillis par Edward Jay