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Résultats en berne, stades désertés, problèmes structurels : le recul du football féminin français

Avant le dernier match de l'Equipe de France en 2022 contre la Norvège, force est de constater que le football féminin en France connaît un certain frein dans son évolution depuis quelques temps. À l'inverse de pays comme l'Angleterre et l'Italie où cette discipline commence à être de plus en plus prisée. Et ce pour des raisons que nous allons analyser.

Cette semaine place à l’Equipe de France. Avant que les Bleues s’envolent pour Alicante et un dernier match en 2022 face à la Norvège, le traditionnel rendez-vous médias/joueuses était organisé à Clairefontaine. Nous n’étions que trois présents pour deux médias: L’Equipe et RMC Sport. Ce qui était une tendance depuis de nombreux mois est inéluctable. La France n’a pas su capitaliser sur sa Coupe du monde.

Il est certain qu’avec une médaille, voire un titre des Bleues en 2019, l’engouement aurait été tout autre. Néanmoins, depuis 2019, il ne s’est pas passé grand-chose ou pas assez. Certes une commission fédérale du football féminin de haut niveau a été créée récemment par la "3F", mais bon nombre de dirigeants de D1 se demandent quelle est son utilité réelle, et n’ont aucune visibilité sur son travail. Le principe de pré-formation à Clairefontaine a été validé, tout comme une consolidation du contrat fédéral, mais la France semble être de plus en plus à la traîne par rapport aux autres championnats européens.  

Les autres championnats sont professionnels  

L’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, tous ces championnats sont passés au professionnalisme avec des moyens financiers importants. Outre-Manche, les droits tv ont connu ces dernières années une croissance sans précédent, qui va faire à moyen terme des clubs anglais les poids lourds du vieux continent. En France, Noël Le Graët ne veut pas lâcher le football féminin à la Ligue de football professionnel. L’unique poule de D2 la saison prochaine verra des effets bénéfiques d’ici 2 ans minimum, tout comme le retour de la D3. Mais en attendant on fait quoi ?  

Les stades de D1 sont toujours aussi peu prisés par le public. 684, 871, 907. Ce sont les affluences de trois matches de la 7e journée. À côté de ça, la championnat allemand bat des records d’affluence avec 119 000 spectateurs en autant de journées. On peut aussi citer le classico Barça-Real au Camp Nou. On en est très loin dans l’Hexagone…. D’abord parce que les structures de nombre clubs de D1 posent problème. Des stades ne pouvant accueillir que quelques centaines de spectateurs en tribunes où le diffuseur doit utiliser des échafaudages pour retransmettre les rencontres. Sans parler de l’hétérogénéité des pelouses entre herbe et synthétique de plus ou moins bonne qualité, dont beaucoup de joueuses se plaignent en l’absence d’un cahier des charges clair sur la question.  

Un gouffre marketing se creuse  

Ensuite, parce qu’aucune politique marketing globale pour mettre en avant le produit "D1" n’a été vraiment mise en place depuis 2019. En tout cas rien de significatif par rapport à ce qui se faisait avant le Mondial. Evoluant en Angleterre depuis 2019, la milieu de terrain Kenza Dali voit clairement la différence: "Le football en Angleterre n’est pas meilleur intrinsèquement, je ne dirais pas que c’est vraiment au-dessus. Mais ce qui fait la différence aujourd’hui entre la France et l’Angleterre, c’est la façon dont est vendu le produit. J’allume la télévision, je regarde un match Arsenal-Manchester United à l’Emirates, la manière dont c’est filmé, les angles de caméra, les lumières, le stade en lui-même, tout cela joue."

"Demain vous filmez un match du PSG masculin, vous mettez une caméra dans un stade au milieu "no where", avec des lumières très basses, cela ne va pas rendre un football super. Les filles c’est pareil. Il y a tellement mieux à faire en termes marketing. Aujourd’hui, une équipe même sur les réseaux sociaux si on prend une équipe comme Lyon, huit fois championne d’Europe, il y a tellement à faire. Et vous prenez une équipe comme Chelsea, on a été dépassé en France. Aujourd’hui on a pris du retard sur le plan marketing."

Vérification par les chiffres: le compte Twitter de l’OL a été créé en 2011 et totalise 110 000 followers. Créé la même année, le compte de Chelsea est suivi par plus de 711 000 personnes. En Italie, la Juventus possède 140 000 abonnés en deux fois moins de temps d’existence. La gardienne des buts Pauline Peyraud-Magnin, pensionnaire de la Juventus depuis 2021, a été agréablement surprise par l’engouement transalpin pour le football féminin et les matches proposés dans les grands stades au même titre que les homologues masculins: "On tend vers cette évolution, nous faire jouer dans les grands stades. Les clubs font énormément de choses pour ce football féminin. On est beaucoup suivi, on fait beaucoup d’échanges entre garçons et filles. Les gens nous suivent à Turin, ils s’intéressent vraiment au foot. Cela ne m’est jamais arrivé auparavant."

Palmarès vierge des Bleues, les clubs en difficulté en Europe 

Enfin, pour créer un engouement, il faut des locomotives fortes. Côté sélection, l’équipe de France a une nouvelle fois échoué dans sa quête de premier titre majeur lors de l’Euro cet été, deuxième échec consécutif pour Corinne Diacre. Il faut aussi que les jeunes filles se créent des idoles en les voyant au stade. C’est aussi là qu’un problème se pose. La FFF a décidé de choisir des stades "à taille humaine" pour être sûre de les remplir. A contrario d’autres pays comme l’Angleterre qui remplit Wembley (60 000 billets vendus en quelques jours pour la Finalissima) pour sa sélection. Depuis la prise de fonction de Corinne Diacre en août 2017, l’équipe de France a joué plus d’une trentaine de matches à domicile. Jamais les Bleues n’ont joué à Lyon, Montpellier, Paris, ou encore Toulouse. Depuis la Coupe du monde, elles n’ont passé la Loire qu’une seule fois pour Bordeaux.  

Et côté clubs, Lyon a dominé l’Europe ces dix dernières années, et Paris a réalisé de superbes parcours, mais force est de constater qu’un virage s’opère cette saison en Ligue des champions. Et pas à l’avantage des écuries tricolores avec un début de phase de poules plus que compliqué (aucune victoire en deux journées): "On stagne c’est sûr. L’avance que l’on avait avant, elle n’est plus là du tout. Les autres championnats avancent, progressent. On a du mal à faire venir les gens, remplir les stades, au niveau média on a énormément de mal. Il faudrait vraiment mettre un terme à tout ça car on est en train de se prendre une vitesse grand V par les autres pays européens, c’est triste", confie la Parisienne Elisa De Almeida. En cas d’absence de représentant français en quart de finale, cela serait seulement la 2e fois en dix ans, là aussi un autre signe.  

Anthony Rech