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Les inquiétantes confessions de l’homme qui a arrangé une centaine de matches

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Devant la caméra de CNN, Wilson Raj Perumal a raconté comment il a truqué

24 février 1997. La Bosnie-Herzégovine participe à la Dunhill Cup, histoire, sans doute, de doucement monter en puissance en début d’année. Son adversaire du jour est prenable, il s’agit du Zimbabwe. Rien de terrifiant. Mais, plutôt qu’une victoire des Européens à Kuala Lumpur, c’est à un match nul 2-2 qu’assistent les 15 000 personnes présentes dans le stade. Bref, tout le monde est content. Tout le monde sauf un jeune homme de 32 ans. Son nom : Wilson Raj Perumal. Son occupation : « match-fixer ». Son bilan du jour : mauvais.

Ayant gâché son rêve d’une carrière de soldat dans l’armée singapourienne pour cause de casier judiciaire non vierge, Perumal est, en cet hiver 97, au début de sa carrière de tricheur. Et pour se faire les dents, celui qui prétend avoir truqué près d’une centaine de rencontres de football, avait voulu commencer par cet amical. Mal lui en prit, puisque son pari d’une victoire 4-0 des Bosniens ne fut pas tenu et que, malgré avoir promis 100 000$ à six internationaux zimbabwéens (c’est ce qu’il raconte aujourd’hui), le score final fut très loin de ses espérances. « Nous leur avions donné un résultat trop dur à obtenir et ce qu’il s’est passé, c’est que durant le match, un joueur a accidentellement poussé le ballon dans ses filets, semble presque regretter aujourd’hui Perumal. A 49 ans et après avoir été arrêté en Finlande en 2011, le tricheur sort une autobiographie et fait sa promo sur CNN. Entre-temps, celui qui fut membre du syndicat du match-fixing de « Dan Tan » (apparemment en prison à Singapour aujourd’hui) s’est un peu racheté en aidant les autorités compétentes à comprendre le système de triche. Un « Arrête-moi si tu peux » du foot en somme.

Un « arrête-moi si tu peux du foot »

Car on peut tout à fait comparer Perumal à Frank Abagnale Jr, le célèbre faussaire qui devint, en 2002, le héros d’un film de Steven Spielberg avec Leonardo Di Caprio dans le rôle principal. Pour jouer Perumal, encore personne, mais n’allez pas croire pour autant que le scénario de sa vie ne soit pas passionnant. A sa ceinture « entre 80 et 100 matches arrangés » durant notamment, prétend-il toujours, les JO, la Coupe du monde féminine, la Gold Cup et la CAN. Sur son compte en banque : près de 5 millions de dollars. Dans son carnet d’adresses : les contacts de 50 des 209 associations inscrites à la FIFA. Soit un quart du foot mondial. Rien que ça.

Et le plus grand complice du tricheur est…

Mais voici le chiffre le plus effrayant sur le CV de « Wilson » : son taux de succès à chaque tentative de corruption compris entre 70 et 80%. Chez un buteur, ce serait énorme. Chez un tricheur, ce n’est apparemment pas si difficile. D’abord, on commence à domicile, dans les petites divisions singapouriennes. « Parfois, j’étais sur les bancs de touche et je disais aux joueurs quoi faire. Je donnais des ordres aux coaches. C’était aussi simple que ça. Il n’y avait absolument pas de surveillance. » Mais, géographie oblige, il n’existe, pour tout tricheur, qu’un nombre limité de matches qu’il peut aller truquer depuis une ligne de touche. C’est là qu’entre en scène le plus grand et le plus génial complice de la carrière de Perumal. Le World Wide Web. « Nous pouvions voir toutes ces rencontres, partout dans le monde… J’ai eu l’opportunité de cibler les pays les plus vulnérables… Les gens étaient enclins à accepter des pots de vin, dit-il. J’ai donc créé une compagnie et commencé à envoyer des e-mails aux différentes associations pour construire des relations ». Merci internet.

Case prison, pas case regrets

Aujourd’hui, Wilson n’a plus de millions… Et encore moins de regrets. « Je ne regrette pas. C’était une phase de ma vie et j’en ai profité, j’ai voyagé à travers le monde. J’ai passé un bon moment. » Et le tricheur de justifier par la plus inquiétante de ses confessions (ce qui n’est pas peu dire) : « Le football n’est plus un sport, c’est un business désormais. Donc je pense que nous essayons juste de faire de l’argent à partir de ce business. Les gens veulent gagner et feraient n’importe quoi pour obtenir un résultat. » Ça s’appelle assumer. Celui qui aide aujourd’hui les instances compétentes à capturer les match-fixers, a eu le temps de réfléchir son message.

Ces dernières années, Perumal a en effet passé 38 mois derrière les barreaux. En 95, il écope de douze mois tentative de corruption sur un arbitre. En 99, de 26 pour avoir présenté un arbitre à un match-fixer. En 2000, Perumal vire carrément « Affranchi » en attaquant un joueur à coups de cross de hockey (acte qu’il « regrette beaucoup »). En 2011, fin du spectacle : Perumal, exilé en Finlande prend un an de prison après avoir été convaincu de truquage de rencontres en Veikkausliiga (la première division). S’en suit un début de collaboration avec la police hongroise pour aider à démanteler les réseaux de tricherie dans les Balkans. « Wilson est un peu une énigme, mais chaque information qu’il a donnée sur la Hongrie et la Finlande s’est avérée juste » explique Terry Steans, ancien enquêteur spécialisé dans le match-fixing à la FIFA. Bref, à Singapour, en Afrique, à la FIFA, en Finlande, en Hongrie, dans les Balkans et à la police, Perumal sait se faire des amis. Le football est vraiment universel.

Raphael Cosimano Journaliste RMC Sport