Ligue 1: la prise de conscience écologique gagne-t-elle le football français?

Au moins 35.000 tonnes de CO2. C’est l’estimation dressée en 2011 par l’ancienne Fondation du football sur le bilan carbone annuel des déplacements de l'ensemble des clubs de Ligue 1. Depuis, l’écologie s’est plus que jamais imposée comme un sujet incontournable du débat public. Cela s’est accentué ces derniers mois, sous l’effet notamment des conséquences de plus en plus visibles du dérèglement climatique et sous l’impulsion notamment de la jeune porte-voix suédoise Greta Thunberg. En septembre, BFMTV rapportait que 72% des Français s’intéressaient davantage à cet enjeu. Les manifestations citoyennes sont de plus en plus nombreuses, à l’instar de celle programmée à Paris ce dimanche 8 décembre, journée mondiale du climat. Une prise de conscience dans la société qui a quelques effets dans le monde du sport, au point où la Formule 1 a même annoncé en grandes pompes l’instauration d’un objectif de neutralité carbone pour 2030.
Pour le football, comme de nombreuses disciplines, l’équation n’est pas simple. La faute, entre autres, à l’augmentation du nombre de matchs (l’ancienne Fondation du football avait estimé le bilan carbone saisonnier des déplacements des clubs à 35.000 tonnes de CO2 par an), aux chaînes de fabrication d’équipements textiles externalisées et gourmandes en ressources, ou encore à l’organisation de tournois dans des lieux peu adaptés (Coupe du monde 2022 au Qatar). Rien de bien surprenant, finalement, au vu de l’abondance financière du milieu. Une étude d’Oxfam montrait que les 10% les plus riches au monde étaient responsables de la moitié des émissions de dioxyde de carbone. Une autre enquête était formelle: si les classes aisées sont plus sensibles au respect de l’environnement, leur empreinte sur la planète est largement supérieure à la population dotée d’un faible capital économique. Ceci étant, les acteurs français du ballon rond tentent malgré tout de contribuer à l’effort collectif.
Les organismes écolo "accueillis à bras ouverts"
La Ligue de football professionnel encourage ce développement durable, comme elle l’explique auprès de RMC Sport: “La LFP accompagne les clubs dans la définition de leur démarche sociale et environnementale en assurant un rôle de conseil, d’expertise, de veille (...) ou encore en impulsant des initiatives à l’échelle nationale”. Parmi celles-ci, il y a la signature d’une charte d’engagements avec le ministère des Sports. La LFP mise également sur l'ajout d'un critère "stade éco-responsable" dans sa Licence club, qui octroie chaque saison quelques millions d’euros issus de la redistribution des droits TV. Aussi, un partenariat d’un an a été signé en avril dernier avec la branche hexagonale du Fonds mondial pour la nature (WWF France).
Celui-ci s’articule en plusieurs volets, dont l’un se concentre tout particulièrement sur les clubs. Ces derniers constituent l’élément central du projet, car ils possèdent les moyens d'agir auprès des joueurs, des spectateurs, mais aussi dans la gestion des stades et des centres de vie et d’entraînement. Pour les aider dans leur politique de responsabilité sociétale (RSE), le WWF a mis trois fiches pratiques à leur disposition. "Une sur les déchets, une plus spécifique sur le plastique parce que c’est en jeu sur lequel on souhaite faire un focus particulier et une fiche sur l’alimentation, explique Maël Besson, responsable sport de l’ONG, auprès de RMC Sport. Il ne suffit pas de sensibiliser, mais aussi de proposer des solutions. Là, l’objectif est de proposer des recommandations."
D’autres organismes proposent aussi leur aide. "Pour le dire franchement, on est accueillis à bras ouverts. On est un peu cette case qui manquait sur l’échiquier en étant un intermédiaire qui a une connaissance technique et peut libérer du temps et de l’énergie sur le sujet", soutient Antoine Miche, président de Football Écologie France, association travaillant directement avec plusieurs clubs, en étroite collaboration avec les collectivités territoriales, bien souvent impliquées car propriétaires de la plupart des stades français.
Du "made in France" au zéro déchet
Les mesures vertes sont nombreuses et variées et la France fait aujourd’hui partie des modèles, selon la LFP: "Lors des rendez-vous internationaux et européens, les actions des clubs professionnels français sont souvent citées en exemple." La gestion des déchets constitue sans aucun doute la problématique majeure actuelle. Amiens a annoncé son intention de faire du Stade de la Licorne la première enceinte sportive zéro déchet en France d’ici mai 2020. Le Montpellier HSC, qui peut s’appuyer sur l’expertise en la matière du Groupe Nicollin, ambitionne aussi le "zéro carbone" pour le successeur de La Mosson. Dans la pratique, pêle-mêle, des gobelets réutilisables sont d’ores et déjà présents dans 90% des lieux de matchs, les poubelles de tri sélectif de plus en plus nombreuses, tout comme les collectes de bouchons en plastique. Contacté par RMC Sport, l’OGC Nice dit permettre le recyclage de près de deux tonnes de bouchons chaque saison depuis 2015-2016. Il est aussi question du surplus de la nourriture lors des soirs de rencontre. Pour cela, la dimension solidaire s’ajoute bien souvent: l’Olympique de Marseille et l’Olympique Lyonnais collaborent avec la Banque alimentaire, tandis que l’OGCN apporte une contribution aux Restos du Coeur, tout comme les Girondins de Bordeaux qui redistribue à l'association les denrées alimentaires non achetées les soirs de matchs.
Ces efforts sur l’alimentation incitent des clubs à faire fonctionner l’économie locale et durable. L’OM nous assure notamment veiller sur la “localisation” et la “saisonnalité” des denrées. À l’Allianz Riviera, les buvettes s’approvisionnent dans les environs. Le Paris Saint-Germain promet aussi de faire appel à des producteurs locaux pour fournir en produits frais son “Training Center” attendu à Poissy en 2022. Dans le même esprit, visant à limiter l’empreinte carbone liée au transport, le Stade de Reims cherche à privilégier le “made in France” ou le “made in Europe” pour plusieurs produits de merchandising.
L’utilisation de l’eau est aussi un enjeu. Au Groupama Stadium de l’Olympique Lyonnais, un système de récupération des eaux de pluie existe pour contribuer à l’arrosage de la pelouse. Au centre Raymond-Kopa de Reims, l’utilisation de l’eau pour les terrains est "raisonné" et plus particulièrement "l’été en cas de fortes chaleurs." Ce même complexe bénéficie d’un éclairage faible consommation. À Nice, des panneaux photovoltaïques et des captures solaires thermiques permettent aussi aux centres d’entraînement et de formation d’être autonomes en eau chaude. Autant de démarches qui ont aussi un intérêt financier positif à long terme. C’est moins vrai pour certaines un peu plus marginales, telles que l’intervention hebdomadaire d’un fauconnier et la mise en place de ruches à l’Olympique Lyonnais pour préserver la biodiversité de ses installations.
Quid des déplacements?
“Dans le foot, le très gros impact carbone, c'est mine de rien les déplacements des supporters”, relève le dirigeant de Football Écologie France. Alors dans le but d’inciter les supporters à se rendre au stade en transports en commun, la plupart des clubs ont noué des partenariats pour proposer des offres préférentielles sur des navettes, des parking-relais aux abords des villes ou le covoiturage.
Mais cette thématique des transports implique également l’épineux sujet des déplacements pour les joueurs et membres du staff. Sur le plan européen, l’Ajax Amsterdam s’était offert une belle campagne de presse positive en se déplaçant en train pour affronter Lille en Ligue des champions. À l’inverse, de nombreux internautes avaient critiqué Kylian Mbappé pour un trajet Paris-Lyon effectué en avion alors que cette liaison peut être assurée par TGV en seulement deux heures.
"C’est un sujet complexe, car il touche aussi bien à la sécurité qu’au bien-être des joueurs", nuance la LFP, précisant sans les nommer que neuf clubs s'efforcent de faire attention. "Par exemple, le train ne permet pas de sécuriser aussi facilement un déplacement, ni de rentrer à la fin d’un match en soirée. Néanmoins, de nombreux clubs réfléchissent sérieusement à ces enjeux et des actions concrètes devraient être mises en oeuvre dans les prochains mois", ajoute la Ligue, confrontée à des critiques en début de saison pour l’organisation du Trophée des Champions en Chine. "C’est l’équation que tout à chacun a à résoudre", avait à l’époque admis la présidente Nathalie Boy de la Tour.
Les joueurs bientôt en première ligne?
Le travail écolo du football français s’opère aussi sur les joueurs. Les jeunes sont plus particulièrement ciblés. Dans plusieurs centres de formation, des modules de sensibilisation sont mis en oeuvre. À Marseille, le collectif "Clean my Calanques" a organisé une journée ramassage de déchets sur une plage méditerranéenne avec les U11 du club. Par ailleurs, des U17 étaient montés sur le bateau Blue Panda du WWF pour une sortie en mer afin d'en savoir plus sur la pollution plastique. Maël Besson est convaincu de l’impact positif de ce type d’opération: "J’ai revu les responsables du club de l’OM quelques mois après. Ils m’ont dit qu’ils en parlaient encore en interne."
À la conférence 2018 de l’ONU sur le climat, la COP24, l’ancienne gardienne de but canadienne, Karina LeBlanc, avait lancé: "Regardez Cristiano Ronaldo. Il peut toucher plus de 340 millions de personnes sur les réseaux sociaux. Imaginez si on pouvait avoir quelqu’un comme lui pour parler de ce dont on parle maintenant." Pour l’heure, les joueurs professionnels en activité sont globalement peu présents médiatiquement sur le sujet. Il existe tout de même des initiatives, comme celle du défenseur angevin Ibrahim Cissé qui avait participé à une campagne de lutte contre la déforestation.
"Façonner durablement les habitudes des spectateurs"
Sans tomber dans l’écueil du devoir d’exemplarité, le WWF imagine un prolongement de l’engagement des footballeurs sur les questions de la "dimension sociale" à celle de l’écologie: "Au-delà de travailler sur la réduction de l’impact du football français sur l’environnement, les joueurs pro ont un vrai pouvoir d’influence, pour nous aider à promouvoir des gestes éco-responsables. Ça nous paraît ultra-intéressant d’étendre ce rôle des sportifs de haut niveau." Il n'est pas impossible que cela bouge bientôt. Antoine Miche de Football Écologie France l'assure: "On a échangé avec l'UNFP (le syndicat des joueurs, ndlr) qui nous a dit que, dans les prochains mois, beaucoup de joueurs allaient s'engager sur des causes écologiques, de type déforestation, pollution dans les océans, etc. On sent qu'il y a vraiment des joueurs qui ont envie de s'engager et qu'il y a une prise de conscience."
Car à le dernier (ou premier) maillon de la chaîne, ce sont les supporters et donc une grande partie de la société. Thierry Aldebert, directeur général adjoint en charge des opérations au sein de l’OM, acquiesce: "Par la mobilisation de notre public et l’engouement suscité, nous avons la possibilité de façonner durablement les comportements et les habitudes des spectateurs pour apporter notre contribution à l’évolution de la norme sociale." Jean-Pierre Massines, directeur projets du MHSC, abonde pour conclure: "Par l’intermédiaire de nos joueurs et joueuses, on tâche de sensibiliser le public. Par exemple, avec les garçons, on plante cinq arbres à chaque fois qu’il y a un but. Je ne sais pas si c’est significatif, mais c’est symbolique. Et en la matière, le symbole peut avoir son importance."